Mai 1940, Berlin fête la capitulation de la France. L'enthousiasme nazie excelle de tous les berlinois... enfin presque. Le couple Quangel vient d'apprendre que leur fils unique est tombé sur le champ de bataille. Affligés et désespérés, ils chercheront un exutoire à leur douleur et le trouveront dans l'écriture de cartes postales, dénonçant les crimes d'Hitler, qu'ils déposeront dans les cages d'escalier d'immeubles berlinois, inondant ainsi la capitale de messages subversifs visant à soulever une armée de résistants contre le pouvoir en place. Ils déjoueront la Gestapo pendant plus de deux ans, avant de connaître une cauchemardesque descente aux enfers, dans une dignité remarquable.
Ce roman inoubliable raconte, sur plus de 700 pages, ce qui se cache derrière la façade éblouissante et triomphale du troisième Reich, en plein coeur de Berlin. On y découvre la vie de tous les jours des berlinois habitant de modestes immeubles où règnent bien souvent la misère, la méfiance et la terreur. Il y a Frau Rosenthal, juive, sans nouvelle de son mari arrêté depuis plusieurs semaines, qui trouvera un réconfort auprès de l'un de ses voisins, alors que d'autres pilleront son appartement ; il y a Baldur Persicke, jeune recrue des SS qui terrorise sa famille et s'autorise toutes les permissivités ; il y a Frau Eva Kluge, postière, quasi abandonnée par son mari, se tuant à la tâche pour élever dignement ses deux enfants et qui sera inconsolable d'apprendre que l'un d'eux commet les pires atrocités sous l'uniforme SS ; il y a Frau Trudel, une jeune communiste qui rêve de résistance mais que les aléas de la vie rendront plus sage, avant de se voir dramatiquement rattraper par son passé ; il y a Escherich, l'inspecteur charger de dénicher l'auteur des cartes postales, policier perspicace qui se verra mettre en face de ses responsabilités par le traître à la nation nazie qu'il poursuit (l'une des plus belles scènes du roman) ; il y a toute une flopée de berlinois vivant sous le joug d'une dictature, tremblant de la moindre dénonciation pour n'importe quoi, des motifs futiles, des broutilles pouvant vite conduire dans les sous-sol délétères de la Gestapo, avec l'accusation de haute trahison suspendue comme une épée de Damoclès au-dessus de leur misérable existence.
La puissance intrinsèque de ce roman est de nous faire partager les conditions de survie réelle des simples citoyens allemands, juifs ou non, pendant le début des années 40 à Berlin. Le tableau est décrit avec un réalisme troublant, d'une sincérité totale. Tout y est, du lâche au convaincu ; du craintif au courageux ; du vautour cherchant à se repaître sur le dos de nombreux allemands dans le besoin, à l'extraordinaire comportement d'un simple quidam envers une personne en grand danger ; du nazi le plus autoritaire et corrompu, à la grandeur d'âme d'un homme ordinaire tout en lutte silencieuse pour une cause ultime : la liberté entière de penser et d'agir. Chacun agira en fonction de sa conscience, encore que pour certains, elle est plus que bien cachée.
Ces quelques 750 pages se lisent, presque, d'une traite tant la tension est vite portée à son paroxysme, tant l'histoire nous touche, tant l’empathie fonctionne sans frein, tant l'ambiance dramatique de cette époque est parfaitement retranscrite grâce au talent de Hans Fallada
L'écriture, toute en délicatesse, se tient au plus près des personnages, privilégiant, avec une grande aisance, les scènes de dialogues où chacun ne peut cacher longtemps ses sentiments profonds. Une écriture au service de l'histoire, voire de l'Histoire
Écrit en 1946, ce roman se verra décrit par Primo Lévy comme : L'un des plus beaux livres sur la résistance allemande anti-nazi.
Ce roman n'est heureusement pas uniquement noir et funèbre, il se referme sur une magnifique page d'espoir, apportée par une jeunesse digne et respectable, comme-ci un monstre, un moloch, avait accouché miraculeusement d'un vent salvateur pour demain.
Seul dans Berlin, livre tiré de faits réels, est un hommage à tous ces héros résistants, courageux et anonymes, dont l'Histoire, cette grande amnésique, n'aura pas su ou pas voulu retenir leurs noms. Hans Fallada excelle dans la description de la force morale, de la dignité, de l'absence de tout compromis et de l'importance du sacrifice qu'il faut pour s'engager sur la voie de la contestation, du désaveu et de la révolte, surtout en 1940. De ce fait cette oeuvre est hautement universelle, à lire absolument.
A noter que personne n'est parfait, car même parmi les héros de ce roman, certains partagent un fond d'antisémitisme latent, peut-être hérité d'une propagande démagogique (pléonasme), ou d'un atavisme indélébile (re-pléonasme), comme quoi tout n'est jamais tout rose ou tout noir, les nuances sont partout, du moins chez ceux qui savent reconnaître les extrêmes.
Tout petit bémol : la facilité avec laquelle les protagonistes principaux se retrouvent, par hasard, dans les rues de Berlin. Mais tout lecteur comprendra vite qu'afin de ne pas multiplier de façon exponentielle les personnages, il faut s'autoriser quelques raccourcis, l'essentiel est ailleurs.
Oeuvre époustouflante avec deux niveaux de lecture, celui d'un
extraordinaire polar haletant d’angoisse et de suspens, et celui, essentiel pour moi, d'un témoignage poignant sur la vie faite de souffrance et de persécution d'un peuple vivant sous le joug d'une dictature. Roman absolu, primordial et donc... indispensable !
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