Dans la France du XII et XIIIème siècle, une jeune paysanne de 16 ans nommée Loéla, lasse d'une vie misérable sous le joug d'un seigneur qui ne considère les paysans que comme des bêtes domestiques tout juste bonnes à travailler les terres du maître, à réparer ses chemins, à laver son linge, à charrier et couper du bois pour ses cheminées, lasse disais-je, d'une vie de travail harassant, Loéla, profitant de circonstances dramatiquement inopinées, revêt l'armure d'un chevalier mort (Il faut dire qu'à l'époque, pour tromper l'ennui, les seigneurs passaient leur temps à s'affronter entre eux, histoire de s'occuper, de se distraire) et part à l'aventure. Dès lors, métamorphosée en chevalier, la vie de Loéla va prendre un chemin, certes dangereux, mais enrichi de mille rencontres, parfois merveilleuses et instructives, mais parfois aussi autant redoutables que vénéneuses.
Nynève la rousse sera sa fidèle compagne de route, à moitié sorcière, à moitié guérisseuse, elle deviendra son guide et l'aidera à grandir et à faire sa route de femme indépendante dans ce moyen-âge où tout constitue un danger potentiel.
Traité comme un roman d'initiation, ce livre, au travers du parcours d'une jeune paysanne décidée à s'extraire de sa condition de corvéable à merci, sert de prétexte pour évoquer les guerres de religion, entre les catholiques et les cathares, la corruption et le fanatisme de l’Inquisition. Inhérente à tout cet obscurantisme ostensible, la condition de la femme se voit condamner à subir une fois de plus un manque aveuglant de liberté. Ces tares sont malheureusement toujours d'actualité, même si les contextes ont changé, elles semblent comme collées aux semelles de toutes les sociétés du monde, tel un sparadrap qu'il serait impossible de se défaire, un sparadrap terriblement borné, et intarissablement assoiffé de sang et de profit.
Rosa Montero ne cherche pas une crédibilité absolue, son moyen-âge est à la fois réel et fantasmé, son but est avant tout d'amener le lecteur à se questionner sur cette période de l'Histoire, où l'autorité des rois et seigneurs primait, et où la religion était érigée en paradigme ultime, où la moindre entorse vous faisait passer pour un hérétique, et vous finissiez grillé au bûcher sans avoir le temps de vous en rendre compte. Soit un siècle bien turbulent et déroutant... à l'image de tant d'autres, et du notre en particulier.
Elle a également souhaité, au travers de son héroïne, saisir les mythes et les rêves, l'odeur et la sueur de ce temps là, ce temps des troubadours, du raffinement des mets, des parfums et des tissus. Epoque aussi où des notions de liberté, de bonheur et d'individualisme éclosent graduellement dans le coeur des hommes, avant qu'un vent inquisiteur de folie viennent balayer, comme un fétu de paille, ce balbutiement de renouveau.
Roman volontairement foutraque, dans le bon sens du terme, où des figures historiques viennent, au détour d'une rencontre fortuite, faire un bout de chemin avec Loéla. Il y a d'abord la célèbre Aliénor d'Aquitaine, son fils Richard Cœur de Lion, Héloïse, toujours folle amoureuse de son désormais émasculé, Abélard. On y croise aussi la fameuse et dramatique Croisade des enfants, et on accompagne Loéla pendant la résistance héroïque de la bastide de Montségur, tombée après dix mois de siège, le 16 mars 1244. Cependant pour faire coexister tous ces personnages et événements, Rosa Montero joue allègrement avec la carte de l'anachronisme, elle revendique d'ailleurs ces sauts temporels afin de rendre au mieux l'impression d'une époque, plutôt que la véracité d'un plombant livre historique. Tout son art d'écrivaine est à l'oeuvre, allié à une imagination sans limite, pour nous amuser d'un récit fleurant (bon) le parfum d'un autrefois heureusement révolu... enfin... aujourd'hui je n'en suis plus si sûr !
Certes, avec Le roi transparent Rosa Montero signe une fresque épique qui fustige le poids du catholicisme et la haine de l'autre, gangrenant la France au point de la voir irrémédiablement plonger dans les torpeurs de l'Inquisition, mais l'auteure, avec sa façon baroque de voir les choses, rend ce livre addictif et épique, imaginatif et distrayant, voluptueux et sanglant, au point d'avoir la nette impression de l'entendre rire encore de jubilation, à la manière d'une folle sorcière, notamment, avec son twist final.