" Baïkal-Amour " de Olivier Rolin 12/20
Depuis Krasnoïarslsk, en plein coeur du continent sibérien, jusqu'à Sovietskaïa Gavan, au bord du Pacifique, Olivier Rolin nous emmène le long des 4 000 kilomètres de voie ferrée, sur la Grande ligne Baïkal-Amour. Pour faire simple, visionnez une transversale qui partirait des rives septentrionales du Baïkal pour courir jusqu'à la côte Sud-Est de la Russie... et même un peu plus, puisque l'auteur nous entraîne au delà du Détroit de Tartarie, jusqu'à l’île de Sakhaline, celle que Tchekhov visita en 1890, et dont il écrira son célèbre et terrible récit éponyme.
Cette ligne de chemin de fer, (comme une suite logique du Transsibérien) tracée en grande partie par les prisonniers de nombreux goulags, ne fut achevée qu'en 1984 ! Sous les mâchoires de ces kilomètres de rail, si on tend l'oreille du coeur, on peut entendre une douce voix plaintive égrainer, un à un, les millions de noms issus de la poudre d'os de ceux et de celles qui les ont édifiés. Ce n'est plus un voyage, c'est un pèlerinage sur un cimetière de fer ou d'enfer ; comme rouler sur la mort. La plus grande et la plus affreuse route du monde, comme l'écrivait Tchekov.
Ce périple se vit au rythme de vies croisées, de forêts infinies, de rivières interminables, de tunnels gigantesques et de paysages glacés ; comment ne pas être saisi par la magie des lieux et par la dimension hors catégorie d'un tel pays ? Le plus grand du monde !
De façon éphémère, Olivier Rolin évoque ses compagnons de voyage en une multitude d'anecdotes, comme une infime partie d'un tout, un tout à jamais inaccessible, tant les facettes sont nombreuses. Pourtant, ce qui unit tous ces peuples slaves ne porte-t-il pas le nom d'Âme russe ? Issue de ce grand ours triste, à la souffrance insondable depuis tant de décennies, mais qui, sous une motivation nouvelle est encore capable de se redresser, et d'un brusque coup de patte, de faire trembler le monde entier ?
Avec ces images à couper le souffle, l'auteur nous raconte cette Sibérie orientale, dont la voie ferrée et les villes furent construites au prix de la vie de centaines de milliers de déportés morts de froid et de faim ou simplement assassinés. La mémoire de ces sacrifiés peine toujours à être reconnue, en effet trop peu de monuments ou plaques commémoratives leur rend un hommage sincère, comme si la Russie n'avait pas de mémoire, qu'il fallait savoir oublier pour avoir la force d'avancer. Qui a dit qu'oublier sa propre histoire, c'est être condamné à la revivre ?
En fin de lecture, malgré la beauté à couper le souffle des paysages démesurés, le voyage s'avère éprouvant tant les hécatombes se succèdent les unes aux autres ; cette terre slave est remplie jusqu'à l'excès de désespoir, de chagrin, de meurtrissures, de déchirements et d'afflictions sans nom. Pourquoi tant de souffrance au nom d'une idéologie machiavélique ? Y-a-t-il un peuple au monde qui aie payé un plus lourd tribu humain ? Poser la question est déjà y répondre.
Premier bémol, la brièveté du livre (178 pages). J'aurais aimé voir les sujets évoqués plus développés, entendre d'avantage la voix du petit peuple. Malheureusement on reste souvent en surface, beaucoup de choses ne sont qu'effleurées. Peut-être ce récit de voyage n'est là que pour nous donner envie d'aller consulter d'autres ouvrages plus denses et plus fournis.
Second bémol, l'auteur qualifie systématiquement comme sympathique et aimable toute belle jeune femme ; à l'inverse, dès qu'une personne est laide ou grosse, voire les deux ensemble, elles sont automatiquement décrites comme peu agréables et pénibles ! Tout ceci est-il bien objectif monsieur Rolin?
Baïkal-Amour est une bouffée d'air frais, voire glacial, dans un pays où on fait peu de cas du mot mémoire, à moins de l'utiliser de façon spécieuse. Un territoire dantesque et sublime, malheureusement sali par un rêve devenu cauchemar, et quel cauchemar, tous ces millions de vies ravagées qui hantent pour toujours cette étendue inouïe de terre encore bien énigmatique et insaisissable pour tous les non-russes.
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