31 mars 2018






HAÏKU   Partie LXXXI
  
°°°°°°°°°

cette année
le printemps hésite -
leçon de patience


chatons de printemps

à peine sortis
rendez-vous des abeilles


sans queue ni miaulement

pourtant dix sur la branche
les chatons de printemps


devant ce monde de folie

seul plaisir
les cerisiers en fleurs


où porte le regard
la neige embellit tout
quand neigera-t-il sur l'homme ?




30 mars 2018

" Check-point "  De  Jean-Christophe Rufin   15/20


      Dans la Yougoslavie de 1995, deux camions fatigués avancent sur les routes défoncées de la Bosnie, en pleine zone de guerre. Cinq humanitaires sont à leur bord : Lionel, le responsable du convoi, qui, pour noyer son appréhension fume joint sur joint, Maud, la seule fille du groupe portant en elle un mal de vivre doublé d'une grande méfiance de la gente masculine, sans oublier Alex et Marc, deux anciens militaires peu communicatifs, voire grandement taciturnes, et enfin Vauthier, le mécano de l'équipée. Chacun s'est engagé dans cette ONG pour des raisons différentes, chacun porte en lui des blessures secrètes, qui, sous les aléas du voyage, finiront par sortir au grand jour, au risque d’alourdir une atmosphère qui n'en avait pas besoin. 

      A travers ces cinq protagonistes, Jean-Christophe Rufin nous donne à repenser l'humanitaire : après ses heures de gloire, notamment avec son action héroïque au Biafra et ses missions clandestines en Afghanistan, elle fut mise en relief grâce à ses fameux french doctors. En ce temps là, avec son côté aventureux, l'oeuvre humanitaire s'inventait au fur et à mesure, aujourd’hui, la mise en place d'une véritable organisation a-t-elle tué son âme originelle ?
      De plus, une question fondamentale revient comme un boomerang à chaque fois qu'une population souffre à cause d'une guerre : de quoi ont réellement besoin les victimes : de vivres, de médicaments pour survivre ou d'armes pour se battre et se défendre légitimement ? Faut-il leur apporter de la nourriture ou les moyens de combattre l'adversité, fut-elle suicidaire ? Là réside l'un des leviers du roman, où nos cinq militants humanitaires, voulant venir en aide aux populations bosniaques, verront l'ébranlement de leurs certitudes. Devant les horreurs de la guerre, où certains n'hésitent aucunement à se livrer à des règlements de compte personnels : des frustrés, des voisins envieux ou encore toute sorte de pervers qui voient là l'occasion trop belle de se déchaîner, de libérer leurs pulsions profondes et abjectes. Devant tout ce capharnaüm, ces hommes de bonne volonté devront-ils rogner, puis renier le sacro-saint principe de neutralité de l'humanitaire ? Chacun devra trouver ses propres réponses, même si au final, elles deviennent parfois paradoxales. Cette expérience altruiste les renverra à un cas de conscience, une casuistique, qui fatalement les fera grandir, tel un voyage initiatique. Tous auront appris sur eux-mêmes, car dans l'adversité, chacun se révèle... inévitablement.

      Avec ces questions soulevées pendant une partie du roman, on pouvait s'attendre, à lire une vraie fiction basée sur l'humanitaire, avec en toile de fond une vision géo-politique de la situation en ex-Yougoslavie. En fait, le récit se limite à un road-movie digne d'un bon thriller. L'intrigue principale se bornant à une poursuite folle entre deux camions, dans un paysage hivernal. Néanmoins, la psychologie des personnages, leurs interactions, l'inévitable histoire d'amour et le suspens de l'intrigue, font de ce roman une lecture attrayante et intéressante. Toutefois, moins de mélodrame et plus de géo-politique auraient donné une autre dimension à ce récit. Cependant, la postface rehausse la qualité de l’ensemble, à lire et relire pour bien s'en imprégner, tant la lucidité de l'auteur nous gifle de sa pertinence.

      Check-point est un livre angoissant et émouvant, basé sur d'authentiques actions de guerre civile - dont les cruelles images ont rempli les journaux télévisés des années 90 - vécues par l'intermédiaire de cinq jeunes idéalistes aux motivations diverses, qui, sous le joug des épreuves, devront revoir leurs priorités. Jean-Christophe Rufin nous interroge intelligemment sur l'avenir de l'action humanitaire, ses véritables buts, son impossibilité de rester neutre, mais aussi sur l'horrible possibilité de voir à nouveau l'Europe se déchirer pour de sordides raisons discriminatoires, comme dans ce sombre passé yougoslave. Devant les tensions incessantes entre européens, le pire est toujours à craindre, du fait de la montée incessante d'une lame de fond extrémiste dans de nombreux pays de la communauté. Connaîtrons-nous enfin une Europe apaisée ?




25 mars 2018



HAÏKU   Partie LXXX

°°°°°°°°°


lune toute ronde
miaulements rauques
chat contre chat


nuit de pleine lune
en admiration
le chat assis sur son ombre


étirements au réveil

étirements dans la journée
toujours plus grand monsieur chat


miaulements incessants

à peine entré déjà ressorti
tout chat pour chat


rayons de soleil
derrière la vitre -
ronronnements *


* D'après une idée de Virginie, une amie libraire. 



15 mars 2018

" Vernon Subutex 1   de Virginie Despentes   18/20


      La star de la musique Alex Bleach vient de décéder, noyé dans sa baignoire suite à une overdose. Vernon Subutex, la quarantaine, perd avec lui un ami, mais aussi celui qui payait généreusement son loyer. Vernon était un disquaire indépendant parisien, son commerce fonctionnait plutôt bien avant l'arrivée de la musique sur le web, malheureusement, comme tant d'autres, il dut déposer le bilan. La suite logique fut l'expulsion de son appart et un début d'errance dans la rue. Ayant toujours été d'une nature insouciante, débonnaire et flegmatique, se laissant porter par le courant de la musique, le voici contraint de faire appel à ses vieux potes, plus ou moins perdus de vue, pour le loger quelques jours. Trop fier pour avouer son indigence, il bidonne des raisons qui ne trompent personne. Il va ainsi connaître une succession d'hébergements momentanés, prétexte pour nous faire découvrir toute une galerie de portraits réalistes, tous d'anciens clients, d'anciens enfants du rock, véritables idolâtres de la galette vinyle. Le fait que Vernon détienne un précieux enregistrement filmé d'Alex Bleach, où il se confie, lance à sa poursuite une flopée de journalistes et autres, avides de faire fructifier ce qui pourrait se révéler être les confessions intimes et ultimes de la star défunte.

      Virginie Despentes est douée pour brosser cette agrégation de portraits, chacun ayant droit luxueusement à son chapitre. L'auteure sculpte chacun d'eux dans une matière brute, sachant la travailler avec habileté, jusqu'à en sortir un personnage ciselé, souvent haut en noirceur, abîmé par la vie, mais criant d'authenticité. Virginie déploie alors une singulière faculté à les décortiquer intrinsèquement, jusqu'au noyau central afin de nous permettre de comprendre leur personnalité, à défaut de nous la faire aimer. Aucun jugement de valeur n'est porté, l’auteure décrit juste les étapes qui ont bâti leur caractère. Avec le temps, certains sont devenus trans, réacs, bien rangés ou toujours insurgés. Certes, le fil rouge est incontestablement Vernon Subutex, cependant, il existe essentiellement pour mettre en valeur une foultitude de personnages, comme en orbite autour de lui. Il apporte la lumière sur ces hommes et ces femmes qui ont comme point commun de rechercher un peu de plaisir dans un monde où le cynisme tient trop souvent lieu de loi absolue.

      Naturellement, Virginie Despentes y met beaucoup d'elle-même dans le premier tome de ce triptyque, à l'instar de chacun de ses romans d'ailleurs. Sa sensibilité exacerbée, sa rébellion toujours vivace, sa dénonciation d'une société de sophisme, transforme un banal roman en une réelle comédie humaine contemporaine, voire en un bilan générationnel sur une période révolue où toute la technologie 2.0 était encore à l'état embryonnaire, ce qui permettait encore de privilégier la communication directe.

      Evidemment, ce livre n'est pas à mettre entre toutes les mains, issue du slogan générationnel : "Sex, drugs et rock & roll", l'auteure écrit la dureté de la vie, ses angoisses, ses désillusions, ses eaux glauques, sans le moindre filtre. Les milieux sociaux, auxquels Vernon se frotte, illustrent parfaitement le propos cash voire hardcore sans pour autant être trash : celui d'une ex-star du porno en reconversion, d'un trader aux relents fascistes, d'une jeune islamiste déboussolée, d'une gauchiste riche, d'une transsexuelle épanouie et accomplie, d'un producteur outrancièrement mercantile et vaniteux, d'une SDF écœurée...

      Virginie Despentes fouille dans les poubelles de la vie pour sublimer ces déchets en une chronique rugueuse, amère et toxique de notre société. Avec Vernon Subutex comme symbole d'une époque quasi caduque, bousculée par une autre, plus cynique encore, aux agissements et aux modes de pensée inédites, gravissant chaque jour une marche de plus vers un capitalisme inacceptable et une hégémonie dictatoriale.

      Vernon Subutex est un décapage en règle de notre société, brutale mais juste, pas la société, le roman. L'Homme y est harponné dans ce qu'il a de plus vil, de plus infâme. Avec sa vision acérée d'une telle lucidité, je tends de plus en plus à comparer Virginie Despentes à Michel Houellebecq. Un Houellebecq au féminin quoi ! Rien de plus, mais rien de moins !



12 mars 2018



HAÏKU   Partie LXXIX

°°°°°°°°°

le jour s'est levé
le premier sans lui
le temps déborde toujours

loin du supermarché
un caddie renversé
une tentative d'évasion ?

en voyage en Afrique
trois repas par jour
me donne honte *

juste pour un jour
le revoir -
imploration

n'attendre personne
sourire sans raison
amour du silence

* Cet haïku n'est pas de moi, je n'ai plus retrouver son origine, mais sa pertinence m'oblige à vous le faire partager.


3 mars 2018



" L’événement "   de Annie Ernaux   18/20


      A l'occasion d'un anecdotique examen dans un cabinet médical, Annie Ernaux replonge plus de 30 ans en arrière, en janvier 1964, quand elle décide de se faire avorter. Malgré le temps passé depuis, le souvenir de cet événement reste gravé de manière indélébile dans son esprit. Pendant les deux premiers mois de sa grossesse, n'osant se confier à personne, surtout pas à ses parents ni à ses amis proches, elle erre, paumée et désargentée, à la recherche d'une faiseuse d'anges. C'est à Paris qu'elle dénichera une infirmière clandestine...
      Ce récit est loin d'être anodin, il me marquera longtemps par la terrifiante vérité d'une époque, pas si lointaine, où l'avortement était interdit en France, et où des milliers de femmes y ont laissé leur vie.

      Avec son style direct, sec et saccadé, Annie Ernaux exprime le rejet d'une société qui ne veut rien entendre, de l'abandon de son petit ami, du refus des médecins qui risquent gros, et du discours ambigu de ses ami(e)s d'université. Il y a dans ces pages, un cri, un hurlement face à une société pétrie et engoncée dans des principes d'un autre temps, et des tabous de tous les temps, inutile de donner des exemples, tout le monde les aura reconnus, ils sont toujours dans nos rues, à manifester la croix au cou.

      Cette autobiographie est racontée avec une économie de mots, mais qui, judicieusement choisis, frappent et bouleversent le lecteur. Sans parler de la scène où, allongée sur son lit dans sa chambre universitaire, après moult douleur, le fœtus jaillit de ses entrailles, pour choir entre ses jambes, tel un acte sacrificiel ultime. Elle écrira plus loin : Je sais aujourd'hui qu'il me fallait cette épreuve et ce sacrifice pour désirer avoir des enfants. Pour accepter cette violence de la reproduction dans mon corps et devenir à mon tour lieu de passage des générations. Propos tout à la fois psychologique, choquant et contradictoire de son geste. Difficile de juger la dignité d'un tel acte, car quand cela arrive, c'est toujours seule que l'on prend la décision.

      Au-delà des préjugés, Annie Ernaux ose dire l'indicible, en s'affranchissant par l'écrit d'un pesant fardeau, au risque d'être montrer du doigt comme une femme indigne et méprisable. Rien que pour cette preuve de courage, elle mérite, à défaut de notre assentiment, notre respect.