26 août 2018

" Falaise des fous "   de Patrick Grainville   18/20



      La côte d'albâtre inspire, la preuve avec Patrick Grainville. Il nous y invite dans un voyage autant historique et pictural que majestueux et effroyable.
      De 1868 à 1927, soit de l'arrivée de l’impressionnisme à la traversée de l'atlantique par Lindbergh, Charles Guillemet, le narrateur, choisit l'entreprise hallucinée et grandiloquente de nous faire le récit de sa vie. Après avoir participé à l'aventure coloniale en Algérie et être rentré gravement blessé, Charles s’installe à Etretat, dans l'une des maisons de son oncle. S'offre à lui une vie d'oisiveté nichée dans la splendeur des falaises. Le hasard lui fait croiser la route de Monet, pour un jeune homme néophyte de l'art pictural c'est une révélation, un choc. Il deviendra, par l'intermédiaire de Mathilde sa maîtresse et sa pygmalionne, un fervent admirateur de tous ces hommes et femmes consacrant bonant malant leur vie à la peinture, et n'aura de cesse d'en suivre les évolutions, les transfigurations, même si parfois la folie guette. Avec ce fil rouge improbable mais si jouissif, Patrick Grainville convoque une manne d'artistes ayant de près ou de loin approchés ce célèbre lieu aux deux portes de calcaire, celle d'Amont et celle d'Aval : Maupassant, Courbet, Dumas père et fils, Boudin, Flaubert, Pissarro, Manet, Degas... et naturellement Victor Hugo !

      Nous baladant de Villerville à Dieppe, en passant par Fécamp ou Veules-les-roses, l'auteur avale les kilomètres au fil des pages avec une verve qui déborde de partout. Il laisse courir sous sa fougueuse plume une érudition intarissable, multipliant sans vergogne les envolées lyriques, les digressions insensées, les écarts artistiques et les à-côtés scabreux. Il y a un tel panache derrière ce style qu'il se traduit en véritable plaisir de lecture. Et là est bien l'essentiel.

      De la débâcle de 1870 à l'exploit de Lindbergh, de l'affaire Dreyfus au gouffre effroyable de la Grande Guerre, inexorablement, un nouveau monde effleure puis bouscule l'ancien, avant de l'enterrer bel et bien sous un monceau de poussière et de cendres. Toute cette métamorphose peut bien être, les falaises elles, de par leurs immarcescibles permanences, jetteront leur luminosité sur cette agitation avec un regard qui en a vu tant d'autres.

     Quelques pisse-froid vilipenderont cette débauche de mots et l'improbabilité de telles rencontres. Certes, ce roman fourmille de partout, l'overdose culturelle n'est pas loin, car Patrick Grainville n'est pas homme ni d'élagage ni d'épure. Comment retenir une plume si débridée qu'elle semble animée de sa vie propre ? Toutefois, devant ces détracteurs et leurs clabauderies, n’oublions pas que Falaise des fous est avant tout une grande fête, une célébration de l'art, une exaltation d'enthousiasme de toute cette vie artistique si pétillante à la charnière de deux siècles.

      Confrontant l'art sous le prisme de l'Histoire en cours d'écriture, qu'elle soit inhumaine, sociale, révolutionnaire ou lourdement meurtrie par la boucherie de 14/18, Falaise des fous est une danse flamboyante et cruelle aux couleurs éclaboussantes de l’impressionnisme. 
      Un hymne aux falaises inoubliables, une fresque historique bouleversante, une saga endiablée, une louange aux artistes et à leur pulsion créatrice... comment passer à côté de ce monument de vies atypiques ?


21 août 2018





HAÏKU   Partie LXXXXVII

°°°°°°°°°

sous la fraîcheur de la forêt
tandis qu'autour
un soleil incandescent


sous la canicule
même les tournesols
tournent le dos au soleil


la toison dorée des prairies
vire peu à peu...
au brûlé !


chaque été
forêts en feu
sempiternel refrain


même sous le chêne
fouillant l'ombre
des langues de feu

16 août 2018


" Le trône de fer " Tome 2  " Le donjon rouge " de Georges R.R. Martin   18/20

      Le royaume des sept couronnes vit des temps troubles depuis la mort du roi Robert Baratheon. Pas moins de quatre prétendants revendiquent le trône dont a hérité Joffrey, le fils aîné du roi. Mais, selon la rumeur, est-il réellement de son sang ? 
      Dans les coulisses du pouvoir, de perfides intrigues se nouent et se dénouent. Des alliances se tissent au fil de l'évolution des puissances en recherche de pouvoir absolu, peu importe les trahisons et les sacrifices humains. Quand on veut s’asseoir sur le Trône de fer, tous les coups sont permis, seuls les plus forts et les plus retors s'en sortiront indemnes, à condition de savoir en payer le prix lourd.
      Pendant ce temps-là, par-delà le Mur de glace, une autre armée se met en marche, une armée de ténèbres, détruisant tout sur son passage. Malheureusement, les postulants au trône de fer n'en ont cure, juste obnubilés par leur propre intérêt, et puis, le nord du nord est si loin !

      Avec une verve toujours aussi féconde, Georges R.R. Martin, une fois de plus, nous emporte dans les coulisses et les chaos du pouvoir et de ses cyniques jeux. Par un engrenage pléonastiquement infernal, il nous décortique les strates d'une société en grande mutation, parce qu'instable de par sa nature et ses origines. 

      Ce deuxième tome, plus sanglant que le premier, fait remarquablement avancer l'intrigue, chacun des nombreux personnages est contraint d'évoluer s'il veut continuer d'exister d'une façon ou d'une autre. Ils auront des choix à faire entraînant des conséquences inexorables et infinies. Là est l'une des clés de cette saga :  jouer avec la casuistique, et l'auteur y révèle tout son talent, il excelle en ce domaine.
      L'autre force de ce récit est d'approcher au plus près les arcanes du Pouvoir, de celui qui rend fou et paranoïaque, d'y saisir toutes les subtilités du discours officiel regorgeant d'innombrables sophismes et autres arguties. Toute cette mécanique, toujours obscène et immorale, métamorphose cette banale histoire de successions en passionnante partie d'échecs où être un fin stratège vous donne l'avantage des blancs.
     Enfin, tout ceci aurait un intérêt moindre si cela ne nous renvoyait pas à la nature profonde de l'homme, à sa part de machiavélisme cachée, certes, mais également, à sa propre possibilité de rédemption.

      Rien à dire face aux rouages admirablement huilés de cette diabolique machinerie, tout y est : jeux de pouvoir, félonie, fratrie, alliance, bataille navale, sacrifice et cas de conscience. Il me faut juste déplorer quelques lourdeurs d'écriture trouvant peut-être son explication dans la traduction. Rien de bien gênant face à la monstruosité de tout le reste !


      

12 août 2018




HAÏKU   Partie LXXXXVI

°°°°°°°°°

fin juillet
belle éclipse de lune
enfin... derrière les nuages !


entre les branches du pommier
ce fruit tout blanc
la pleine lune


vers l'ouest
toujours elle file
l'obstinée lune


blanche de peur
terrifiée par la nuit
la lune


au coeur d'une nuit d'été
détalant sous la lune
les culs blancs des lapins


10 août 2018

" Un monde sans fin "   de Ken Follett   15/20


      En l'an de grâce 1327, quatre enfants sont les témoins involontaires d'une poursuite dans les bois. Deux soldats de la reine Isabelle y trouvent la mort, un chevalier gravement blessé enterre au pied d'un arbre une lettre mystérieuse, sa connaissance risquerait de mettre en grand danger la couronne d'Angleterre. Si l'un des enfants raconte ce qu'il a vu, ils seront tous assassinés. Désormais, leur sort dépend de leur silence.

      Suite à son magnifique et célèbre roman, Les piliers de la terre, Ken Follett, dans Un monde sans fin, reprend l'histoire de la vie des habitants de la ville de Kingsbridge, mais deux siècles plus tard, de 1327 à 1361. Tous les éléments qui ont fait le sel du premier tome et qui ont réjoui beaucoup de lecteurs se retrouvent transposés en plein coeur du XIV ème siècle, malheureusement, l'effet de surprise n'est plus là. 
       Dans les rôles titres, censés être les lointains descendants des personnages du premier opus : Godwyn, un prieur conservateur et carriériste,  régnant d'une main de fer sur une tripotée de moines, ne supportant aucune contestation de son autorité ; Merthin, un jeune bâtisseur prometteur, vivant sous la coupe de Elfric, un patron abusif et déloyal ; Edmond, le prévôt de la ville, un riche marchand de tissus dont la sa fille Caris possède un fort esprit d'indépendance ;  Raph, un simple écuyer, prêt à tout pour devenir chevalier, vivant uniquement pour le combat et les femmes. J'aurais pu continuer encore longtemps tant les personnages sont pléthores.
      Après le décalquage des protagonistes d'un tome à l'autre, la même similitude s'opère autour des situations. Dès lors, la construction de la cathédrale se mue en construction d'un pont de pierre ; le prieur bon et généreux dans le tome 1, devient un être machiavélique, plus préoccupé de profit et de gloire personnelle que du bonheur de sa communauté ; après avoir lutté, dans le premier opus, contre les jalousies meurtrières des villes environnantes, Kingsbridge doit affronter une chute vertigineuse de son commerce de laine, puis l'arrivée funeste de la peste noire. On reprend donc tous les agencements du livre premier pour les faire évoluer dans l'espace et le temps. Cependant, malgré toute la bonne volonté de l'auteur avec la magie de ses rebondissements, on ne peut s'empêcher de songer à la saveur d'un plat au goût de pages déjà dégusté ailleurs, déjà lu antérieurement.

      Néanmoins, le fond historique, l'écartement du pouvoir du roi Edouard II par la reine Isabelle, sa mort douteuse avant l’avènement de son jeune fils Edouard III, amène au récit un écrin, une véracité et une intrigue supplémentaires. De plus, la terrible peste noire, épidémie la plus meurtrière ayant touché l'espèce humaine, agit comme un révélateur sur les habitants de la ville de Kingsbridge.  En affectant chaque famille, ce fléau oblige chaque individu à laisser transparaître sa véritable personnalité.

      L'incroyable personnage de Caris, de par son esprit d'entreprise, sa liberté chevillée au corps, sa volonté de combattre tout esprit obscurantiste et son sacrifice pour le bien d'autrui, devient une insoumise, une femme d'exception, admirable pour la clairvoyance de ses combats face à l'ignorance têtue, bête et méchante de toutes sortes d'autorités, principalement religieuse. Cependant, une telle modernité est-elle plausible dans cette première moitié du XIVème siècle ?

      Ken Follett réussit à décrire avec minutie, un rien jouissive, l'ambition aveugle dénuée de tout scrupule, la vanité infinie et l'avidité intarissable de ses protagonistes les plus détestables, ne tirant jamais le moindre enseignements de leurs erreurs, bien au contraire : Rien de tel que l'orgueil pour faire perdre à un homme tout bon sens. Ou bien encore : C'est étrange comme Dieu nous prive parfois des hommes les meilleurs pour nous laisser les pires. De même, devant la montagne d'injustices qui accable Caris, l'un des protagonistes répond : La gratitude n'est pas de ce monde ! Tout est résumé.

      A la vue de ses 1337 pages ou 415 000 mots, ce livre aurait pu s'intituler Un livre sans fin, tant les personnages, les manipulations et les intrigues sont abondantes ! D'ailleurs vers la fin du roman, Ken Follett se permet de résumer telle ou telle péripétie située dans les premières 500 pages du pavé, avoir besoin de repréciser les choses dénote que son histoire a vraiment trop duré ! A l'avenant, son roman aurait pu paraître en feuilleton dans un journal, comme cela se faisait jadis, puisque chaque chapitre s'achève par un rebondissement, et des chapitres il y en a 91 ! C'est pas un peu trop ? De même, les malheurs qui pleuvent sur la tête de Caris, de Merthin, de Wulfric ou de Gwenda sont si nombreux et si variés, toujours manigancés avec un machiavélisme le plus sournois possible, qu'ils font perdre de la crédibilité au récit. Trop de noirceur tue l'obscurité 

      Avec Ken Follett, le style est toujours soigné, sans être ampoulé, c'est un vrai raconteur d'histoires. De plus, la richesse de toute ses descriptions, quelles soient architecturales, décoratives, vestimentaires, mécaniques ou alimentaires traduit un phénoménal travail de documentation. Cependant, à la vue de sa pléthorique production littéraire, je soupçonne Ken Follett de travailler en équipe. Ce qui n'est pas honteux, mais ce point n'est jamais soulevé lors de ses interviews.

      Quand j'entends le prieur Godwyn déclamer en vue d'expliquer l'origine de la peste à ses ouailles : La peste nous est envoyée par le Seigneur en punition de nos péchés. Le monde est devenue mauvais. L'hérésie, la luxure et l'irrévérence y règnent en maîtres... ...Dieu est en colère et son ire est terrible. Vous aurez beau vous démener pour échapper à sa justice, son bras vous débusquera où que vous vous cachiez. Je ne peux m'empêcher de songer à toutes ces idéologies contemporaines qui prônent toujours ce même discours péremptoire et obscurantiste. Malgré ces allures d'effroyables contes pour enfants pas sages, elles drainent toujours, dans leurs sillages nauséabonds, une grande partie d'une humanité lobotomisée pour qui les expressions "esprit critique", "libre arbitre" ou "libre penseur" sont comme des utopies, des options ou pire des hérésies !

      En conclusion, Un monde sans fin parle de nous, de nos petitesses, de nos manigances, de notre étroitesse d'esprit, nous empêchant de voir la lumière, de voir l'homme derrière l'homme. Cependant tout ceci était déjà dans l'extraordinaire tome 1, alors faut-il lire le 2 ? Oui si on adore son univers. Non, si on dispose de peu de temps ! Quand je pense que le tome 3 vient de sortir !!!


   

3 août 2018



HAÏKU   Partie LXXXXV

°°°°°°°°°

le soleil ne décroche plus
même la nuit il sévit
déguisé en lune !


ces hautes chaleurs
encore et toujours
telle une punition divine !


même à l'ombre
elles mordillent
les dents de la canicule


fol été
les jours sont en feu
les nuits... en braises !


homme démuirge
capable de muer la terre
en barbecue géant