30 oct. 2018

" A la lumière de ce que nous savons "   de Zia Haider Rahman   13/20


      D'emblée, le titre impressionne et interpelle fortement par sa beauté, sa sagesse et sa modicité. Accepter d'être des ignorants de tant de choses ; en sous-entendu se savoir plein d'insincérités, plus ou moins conscientes et inconscientes, relève d'une douce et lucide humilité ; malheureusement ce sentiment profond est loin de rayonner en chacun de nous. Dès ce titre, implicitement, la barre est élevée, le niveau général du roman doit être de haute tenue, digne de son intitulé... fâcheusement il l'est, mais d'une façon si pointue, si intellectualisée qu'il sème quelques lecteurs en route.

      Tout débute dans le quartier chic de Kensington à Londres en 2008. Zafar, un anglais originaire du Bangladesh, sac à dos, squelettique et l'air hagard, se présente au domicile du narrateur, un vieil ami perdu de vue depuis des années, actuellement banquier d'investissement. Ce dernier va mettre quelques minutes avant de reconnaître son ancien camarade d'université d'Oxford. Généreusement, il lui offre l'hospitalité, ce sont les prémices d'un long dialogue entre eux, d'autant que leur vision du monde s'avère quelque peu asymétrique.

      L'ensemble du roman relève d'une part de ce que Zafar va vouloir raconter au narrateur, et d'autre part à ce que ce dernier souhaite raconter au lecteur. L'histoire de leur vie puissamment séparée par une indélébile barrière sociale va ainsi se mêler, puis s'emmêler au rythme de leur amitié, de leur séparation - due à la vie professionnelle - puis de leurs retrouvailles, dans des circonstances que le destin s'amuse à leur imposer. Dans une sorte de flash-back kaléidoscopique, où parfois le lecteur s'égare quelque peu, le roman aborde et enchevêtre ensemble une ribambelle de thèmes : l'indépendance du Bangladesh, les mathématiques, la crise financière, la guerre en Afghanistan, l'incursion humanitaire, l'exil, le regard et la perception d'autrui, etc. Le propos est large, cérébral, politique et un rien sensuel.

      A travers ce récit, Zia Haider Rahman s'amuse à déchirer le voile des apparences ; toutes ces choses que nous croyons connaître, nos certitudes, qui sont en fait instables, non fondées, souvent bâties sur du sable. Au final, le monde n'est-il pas qu'illusion, que grotesque et sinistre tromperie, gorgé de sophismes à ne plus savoir qu'en faire ? Cependant, pourquoi faut-il absolument accepter de vivre avec ces foutues certitudes ? D'où vient cette incapacité de vivre sans l'incertitude ? Pourtant, douter, se méfier, être dans l'interrogation systématique, n'est-il pas plus sain, plus équilibré, même plus stimulant de vivre ainsi, en alerte perpétuelle, tel un suricate, face à tous ces beaux parleurs, ou plutôt ces beaux emberlificoteurs ?

      Autre thème intelligemment visité : la difficulté de franchir, de s'affranchir de l'immuable frontière sociale, vécue telle une trahison, peu importe le sens du franchissement, comme le dit si bien l'auteur : on est toujours dans une position qui fait qu'il y a constamment quelqu'un à qui on tourne le dos. Cette dimension humaine s'élargit d'une considération géographique avec la question éternelle des migrations, plus que jamais à l'ordre du jour ; Zia Haider Rahman l'aborde en évoquant la difficulté de l'exilé, qui, en changeant de pays, apporte avec lui une inévitable possibilité de rupture au sein de sa propre famille.

      Dans leur discussion, le narrateur, issu d'une famille aisée, prend peu à peu conscience de la supériorité intellectuelle de son ami Zafar, qui, à cause de la modestie de sa famille, a dû s'investir sans compter, prendre de gros risques, afin d'essayer de s'extraire de la glaise de son humble condition. D'ailleurs, derrière les mots et les phrases échangés, il est plaisant de discerner une irritation du narrateur, souvent pris à contre-pied par la lucidité d'esprit de Zafar.

      Malgré de grandes qualités et de bonnes intentions, j'ai eu du mal à achever ma lecture, courant sur plus de huit cent pages. Certes, les propos géopolitiques sont passionnants, les considérations humanitaires sont intéressantes, les pages sur le sentiment d'exil sont poignantes, cependant ces longs passages sur la haute finance, les tergiversations interminables entre hommes de l'ombre, une romance qui traîne en longueur et en langueur m'a fait songer à un bienvenu élagage substantiel. Cependant, Zia Haider Rahman est tellement investi par son sujet qu'il n'élude rien, couchant sur le papier l'entièreté de son vaste et puissant sujet.

      Roman ambitieux et lettré, peut-être un zeste de trop !


25 oct. 2018

" Le bureau des assassinats "   de Jack London & Robert L. Fish   17/20


  
      Une organisation internationale orchestre des assassinats à la seule condition que ces-dits meurtres soient dûment justifiés... et payés d'avance. Ce syndicat du crime est constitué essentiellement d'intellectuels, de personnes censées porter au plus haut la belle chose qu'est la réflexion. Ivan Dragomiloff, le fondateur de ce très secret Bureau des Assassinats, devient, par un bien hasardeux concours de circonstances, la prochaine victime de l'association. Dés lors, une grande partie d'échecs pleine de péripéties se met en branle pour la plus grande joie du lecteur.

         Aux antipodes de son univers traditionnel où la nature est omniprésente, Jack London nous propose un roman sorti de nulle part. En tant qu'inconditionnel de ce grand écrivain, je ne pouvais passer à côté de cette histoire pleine de rebondissements, qui se révèle être une tragi-comédie où l'humour et le non-sens s'épanouissent dans une folie débridée.  J'en veux pour preuve cette phrase qui résume bien l'idée générale : Croyez-moi, quand on travaille en marge de la loi, il est essentiel d'observer les règles de l'honnêteté la plus scrupuleuse.

     Intellectuellement et philosophiquement corrompus, ces assassins sont paradoxalement d'une intégrité, d'une probité sans la moindre tache ; l'honneur avant tout, même si cela entraîne des conséquences pour le moins fâcheuses, sinon irrémédiables, mais que voulez-vous, se parjurer serait leur plus grande honte, une honte indélébile aux yeux de leur propre conscience. Dès lors, la mort devient plus une célébration de leur droiture qu'une infâme punition.

      Ce roman, par son propos atypique, pour ne pas dire subversif, pose deux questions : Certaines personnes, par leur comportement inacceptable, méritent-elles de vivre ?  A-t-on le droit légitime de les mettre à mort, sans que la moindre notion de culpabilité n'ait sa place ici ? A partir de ce point de départ louchant sur la casuistique, les intellectuels assassins bâtissent une réflexion d'une logique implacable, mais en rognant allègrement sur la morale. On imagine facilement Jack London jubiler devant une intrigue aussi divertissante que frappadingue à écrire. Imaginez des assassins se targuant d’œuvrer pour le bien commun ; imaginez la philosophie, la morale et le devoir se muant en sophisme à tout va ; imaginez n'importe quel haut responsable qui s’adjuge l'autorité d'un juge ; imaginez la logique d'un raisonnement existentiel qui permet de tout justifier, tout ceci vous le lirez sous la plume caustique de Jack London, un roman aussi décapant que jouissif.
      Le comble du non-sens est atteint, quand, par souci d'élégance et de convenances, les meurtriers trinquent allègrement au champagne avec leur future victime, une fois la bouteille vide, les bonnes intentions s'évanouissent et la sinistre besogne reprend.

      Néanmoins, derrière cette burlesque comédie, l'auteur nous questionne sur le caractère sacré de la vie humaine, est-il dû au concept social ou aux religions, voire les deux ? Ce côté sacré a-t-il même réellement un sens ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une aberration bien fallacieuse, d'une chimère qui nous rassure ? Car depuis les temps préhistoriques, l'homme, dans toute sa splendeur, n'a jamais beaucoup hésité à trucider son prochain ou sa prochaine. Et si c'est notre intelligence, toute relative, qui nous confère ce stade de sacré, que dire de certains animaux doués eux aussi d'une certaine intelligence ? Ces mêmes animaux que l'homme tue allègrement en leur récusant, souvent avec arrogance, toutes considérations de l'ordre du même sacré. Mine de rien, ce petit livre possède de quoi ouvrir d'acharnées discussions.

      Seul petit souci : les personnages sont un rien trop bavards, on pourrait croire à une pièce de théâtre tant les dialogues affluent, en effet, il y a peu de place pour les descriptions, les divagations, les flâneries littéraires dont Jack London est passé maître.

      Mais où Jack London a-t-il été chercher cette intrigue improbable ? Peut-être dans les réminiscences de son passé politique, n'oublions pas qu'en 1897 il adhère au Socialist Labor Party, révélant ainsi ses préoccupations politiques. Son adhésion durera vingt ans, le temps qu'il se rende compte de l'inégalité du combat, mais ses idées humanistes rejailliront dans ses multiples écrits. 

      A noter qu'il s'agit d'un roman inachevé de Jack London, dont il écrivit les treize premiers chapitre, les six derniers furent rédigés par Robert L. Fish d'après les propres notes de l'auteur, le roman fut publié de manière posthume en 1963.


20 oct. 2018



HAÏKU   Partie   CIV

°°°°°°°°°

jardin d'automne -
pause lecture interrompue
par chutes de châtaignes


même en octobre
au coeur de l'automne
une pluie de lumière


dans le trou du feuillage
approchant l'oreille
le murmure du ruisseau


chagrin automnal
le vieux châtaignier
tout en larmes de feuilles


récolte de châtaignes
sous un soleil d'été
cherchez l'erreur



18 oct. 2018


" Moby Dick "   de Herman Melville   14/20



      Bien qu'avançant en âge, jusqu'alors je n'avais jamais lu ce livre que je prenais pour un simple roman d'aventure, dans la lignée d'un Stevenson ou d'un Jules Verne, s'adressant aux adolescents en mal de dépaysement océanique. Bien mal m'en a pris ! Ma surprise fut totale et mon fourvoiement abyssal !

      Ismaël, le narrateur, las de la vie terrestre, rêve d'aventures au grand large, là où le coeur de l'océan bat, là où il aura l'impression de vivre intensément sa vie - il ne croit pas si bien dire. Avec son nouvel ami, Quiqueg, un harponneur originaire d'une île du Pacifique, il s'embarque sur le Péquod, un baleinier commandé par le tyrannique capitaine Achab. Ismaël comprend rapidement qu'Achab poursuit un autre dessein, obsessionnel, celui de se venger d'un monstrueux cachalot blanc éminemment féroce qui lui a arraché une jambe lors d'une précédente chasse. 
      Cette trame, somme toute basique, est l'arbre qui cache la forêt, ou plutôt la vague qui dissimule l'océan ! En effet, ce récit sert de prétexte à mettre en place une foultitude de thèmes universaux, notamment celui du Bien contre le Mal, symbolisé par la lutte entre Achab et Moby Dick, où comment par orgueil un homme obnubilé par sa quête vengeresse n'hésitera pas une seconde à risquer la vie de tout un équipage, qu'il voit uniquement comme un moyen d'aboutir à son insatiable besoin de châtiment.

      Toute l'information qui existe sur la connaissance de la baleine et de sa pêche - du moins jusqu'à la publication du roman en 1851 - figure sous la plume diserte d'Herman Melville ; c'est simple, Moby Dick est un traité zoologique, un dictionnaire océanique, une bible, une vaste encyclopédie aux inflexions prophétiques voire apocalyptiques - ce n'est pas une bible pour rien - dont les concepts résonnent en refrains universels d'un bout à l'autre de l'oeuvre.
      Cette forte inspiration biblique commence par le nom du narrateur : Ismaël (dans la bible fils aîné d'Abraham et Agar, servante égyptienne de sa femme Sara), ou Achab (roi d’Israël et époux de Jézabel, il introduira le culte de Baal en Samarie et se repentira sur les injonctions du prophète Elie), sans oublier Moby Dick, comment ne pas y voir le Léviathan, ce monstre marin à plusieurs têtes, ou, la baleine qui avale Jonas pour avoir refusé d'obéir à Dieu, du moins d'après le récit de la bible, quant à son authenticité...

      L'écriture, tel l'océan parcouru par le Péquod, semble d'une audace et d'une liberté insensées : elle se déploie, s’exhibe, s'allonge, se redresse, se rallonge, s'étale ou se fige au rythme oscillant des vagues, des courants, des vents, des tempêtes, symbolisant la folie des passions humaines, de leurs intransigeantes nécessités d'aller au bout de leurs envies, peu importe si cela implique le malheur d'autrui. Ce roman n'est pas écrit, il est surécrit.

    C'est presque avec toute la force sauvage de l'animosité qu'Herman Melville plonge dans l'antre de la frontière étroite entre l'obstination et l'aveuglement, entre l'acharnement et la folie. Les courts chapitres avec Achab sentent le souffre, la rage et l'aliénation. Cet homme refusant l'échec ne survit que dans l'espoir fou de vaincre la bête de ses cauchemars : Moby Dick, le cachalot, cette titanesque montagne blanche, blanche mais maudite, d'où ce surnom osé : le Maudit Dick !

      A travers cette lecture dantesque, il apparaît qu'Achab n'est pas un homme comme les autres : il jure, il délire, il veille, il discourt avec théâtralité et grandiloquence, il proclame de véhémentes allocutions au ciel, il ne supporte pas d'avoir le pied sur la terre ferme - à quai, il demeure sur son bateau - il se tient éloigné de toute amitié, de toute tendresse, de toute sexualité. En tant qu'homme il n'existe pas ! En vérité, Achab ne serait-il pas la réplique humaine de Moby Dick ? C'est son double, son frère ennemi, sa moitié détestée, son pendant terrestre, son insupportable lui-même séparé par le prégnant miroir de la vie. Ou alors n'est-il qu'un damné qui n'a plus le pouvoir de jouir des choses ? Pire, la moindre beauté lui devient source d'angoisse, expliquant son isolement, son retrait. Moby Dick fait alors figure d'idole provocatrice avec sa blancheur immaculée. De plus, cette force de la nature l'a privé d'une jambe, l'enlaidissant à jamais. Quel plus bel acte de rébellion consistant à tuer, à anéantir cette aveuglante blancheur, au pire, sa propre mort ne peut être que douce libération.
      Suivant sa sensibilité, à l'aura de son vécu, inévitablement, chacun y fera une lecture différente. Peut-être était-ce le souhait profond d'Herman Melville : en faire une constellation d'interprétations possibles, rendant l'oeuvre soumise à de perpétuelles réévaluations. Elle devient dès lors immortelle, se mue en classique à deux pas du chef-d'oeuvre !

      Cependant, pour être franc, je n'ai pas lu le livre que je voulais lire - comme certainement beaucoup de lecteurs - je souhaitais une intrigue puissante doublée d'un fort relationnel entre les membres de l'équipage, le tout romancé par la belle plume de l'auteur. Que nenni ! Ce n'est que dissertations cétologiques, fines descriptions sur la chasse à la baleine et détails explicatifs sur la navigation au grand large, tout ceci s'étalant sur les trois-quarts du roman Moby Dick, qui lui-même n’apparaît que dans les trois derniers chapitres, il y en a 135 ! Certes, le récit est là, idem pour le charisme fou d'Achab, mais l'ensemble est tellement segmenté par d'interminables et d'incessantes parenthèses, qu'il faut bien se rendre à l'évidence : Herman Melville prend le subterfuge d'une campagne de pêche à la baleine pour réécrire la bible, la muer en histoire américaine, puis étaler copieusement son insondable érudition maritime.
      Naturellement, ce récit force l'admiration pour de magnifiques passages dignes des plus grands écrivains, cependant une bonne grosse cuillerée d'épure, une pincée de modestie, une bonne louche de romanesque, sans retirer tout le symbolisme et les allégories chers à l'écrivain, aurait émulsionné l'oeuvre pour en faire un repas littéraire plus digeste. Bon appétit quand même à tous ceux qui se lanceront dans cette aventure que je qualifierais de "gargantuesque" !


11 oct. 2018



HAÏKU   Partie CIII

°°°°°°°°°

soleil d'octobre
sur les herbes folles
l'ombre fatiguée des arbres


sans un souffle de vent
le bruit sourd d'une pomme
parfaite maturité


plume toute légère
perdue par l'oiseau
puis posée sur le vent


capter la réalité de l'instant
Monet ou Bashô
même défi


voix silencieuses
attendant notre regard
les livres


Quelques décors originaux :








Nounours sur son nuage !









Poirier avec casque de pompier... en chocolat !



Tipi en chocolat lait, et...




en nougatine.



A bientôt les gourmands !










6 oct. 2018



HAÏKU   Partie   CII

°°°°°°°°°

auprès de ce hêtre
aïeul végétal
le temps s'absout


sous cet arbre remarquable
agenouillé par respect
tout devient spirituel


à l'abri de la ramure
comme isolé du monde
par la magie du végétal


les mains à plat
sur son tronc buriné
en recherche de plénitude


racines nouées et moussues
tel un banc douillet
invitation à la méditation



5 oct. 2018




HAÏKU   Partie   CI

°°°°°°°°°


huit septembre
première marche pour le climat
sourire crispé de la nature


au bord du volcan
danse de l'humanité
avant la phase cuisson


début septembre
grande braderie de Lille
génocide chez les moules


au coeur de l'humanité
tant de loups
si peu d'agneaux


toxicomanie chez les abeilles
abus de pesticides
quand les drogues tuent !


1 oct. 2018

" On dirait nous "   de Didier Van Cauwelaert   11/20

      Yoa et Georges sont un vieux couple de nonagénaire irrévocablement sur le déclin. Yoa est originaire d'une tribu indienne d'Alaska, les Tlingits, et souffre de la maladie de Charcot ; ses jours sont comptés. Georges est un ancien professeur universitaire de linguistique, très amoureux de sa femme, et qui souhaiterait lui faire un cadeau inestimable pour son départ. D'où leur recherche d'un jeune couple, qu'ils pensent avoir déniché, afin de leur faire une proposition aussi alléchante... qu'improbable : concrétiser leurs rêves. Seulement, pour se faire, les deux jeunes en question - Soline, une violoncelliste de grand talent, et Illian, un spécialiste des plantes vertes, du moins de leur utilisation à des fins pour le moins sécuritaire - devront accepter un deal si atypique, qu'ils ne pourront faire l'économie d'une vraie réflexion sur leurs valeurs intrinsèques, la force de leur engagement en tant que couple et leur vue sur l'avenir.
      Difficile d'en dire plus sans dévoiler ce qui fait tout le sel de ce roman.

      Partant de cet original et improbable spitch, Didier Van Cauwelaert va faire bouillir son imagination - qu'il a très fertile - dans son chaudron, son dessein : nous servir une soupe littéraire digne d'un grand cuisinier des mots. Seulement, à vouloir trop bien faire en y mettant un excès de tout, ce mets en devient trop roboratif tant les péripéties foisonnent. Les certitudes des protagonistes varient souvent et les changements d'humeur jouent les girouettes en pleine tempête ; plus une somme de rebondissements, de coups de théâtre qui jouent les kangourous hystériques ; sans parler d'un homme de 92 ans qui nage le dos crawlé comme personne et qui au volant fonce à 170 Km/h. STOP ! On se calme, on respire, et on prend du recul.

      Il est dommageable qu'une plutôt bonne idée de départ se mue en course furieuse. D'autant que toute la partie historique sur le passé de la tribu Tlingits : sa façon de vivre, ses traditions et ses terres annexées, petit à petit, sous les coups fourbes de la politique américaine, tout ceci méritait un généreux développement qui aurait certes plombé le rythme fou du roman, mais qui l'aurait fait entrer dans une autre dimension en ouvrant le champ des possibles, des digressions et autres considérations adventices. Du reste Didier Van Cauwelaert en est parfaitement capable, d'autant qu'il possède une écriture belle et agréable, il a juste cédé à la facilité, on lui pardonne.