28 janv. 2019





HAÏKU   Partie CXII

°°°°°°°°°

journées sans soleil
nuits sans étoile
se nourrir de patience


petite pluie du matin
sur l’arbre nu et gelé
naissance de feuilles d'eau


une bise aiguë 
entre les arbres nus
le baiser de l'hiver


fort vent de janvier
les branches nues secouées
carillon de l'hiver


les peupliers sans feuille
gênés de leur nudité
s'habillent de brouillard


24 janv. 2019

" Chimères "   de Nuala O'Faolain   15/20

      Originaire d'une petite ville d'Irlande, Kathleen de Burca est journaliste pour un magazine de voyages à Londres.  A vingt ans, elle a fui sa terre natale et sa famille, sans un regard en arrière, voulant se libérer des poids des traditions qui étouffe la moindre velléité féminine. Depuis elle vit à Londres et parcourt le monde pour son métier où se côtoient horreur et beauté. Cependant, à l'approche de la cinquantaine, avec le décès brusque de son meilleur ami gay et le constat de son corps vieillissant, une faille par laquelle va s’immiscer son passé prend naissance. Une remise en question devient urgente et vitale. Dès lors, elle se prend quelques semaines de liberté et retourne en Irlande, trente ans après, sous le prétexte d’enquêter sur un fait divers remontant aux années 1850, époque de la grande famine : une aristocrate anglaise, Mme Talbot Marianne, est tombée follement amoureuse de son palefrenier irlandais, William, scandale monumental à l'époque. Quand la loi imprévisible de la passion s'affranchit de toutes les conventions. Sur place elle devra jongler avec ses émotions et faire des choix.

      D'emblée, c'est le style qui séduit, d'un naturel bienvenu, d'une simplicité étonnante et d'une lucidité transcendante, sans la moindre contrainte ni esbroufe mais avec une vraie profondeur. Ces singularités en font une histoire hautement plausible d'où suinte un vécu et une sensibilité toute féminine. D'ailleurs, ce livre écrit par une femme, sur les femmes et pour des femmes, vibre d'un bout à l'autre d'un mécontentement sinon d'un traumatisme, où constamment, de tous les pores de l'écriture remontent une finesse, une émotivité et un humanisme. A priori, ce roman n'est pas pour nous, les hommes, grossière erreur, bien au contraire, il nous met en face de notre égocentrisme tout masculin, et nous aide à mieux comprendre la condition féminine, opprimée par tant de siècles d'asphyxie patriarcale.

      L'histoire d'amour entre une aristocrate et un simple valet d'écurie, qui revient comme un fil rouge dans le roman, se glisse en parallèle, de façon même troublante, avec la vie de la narratrice, celle-ci parvenant même à s'identifier à Marianne. Ce portrait en miroir, outre le fait que nos vies ont déjà été vécues par d'autres, en devient universel, bravant les frontières et les années, né d'un instinct remontant à l'aube de l'humanité, inappréhendable et donc condamnable pour une société puissamment religieuse comme l'était - et l'est peut-être encore - l'Irlande.
      Dans la même veine,  Kathleen de Burca, avec sa conscience atavique d'irlandaise, s'interroge sur les compromissions pour ne pas dire les trahisons dont se sont inévitablement avérés coupables tous les survivants de la famine - hormis ceux qui ont immigré durant cette tragédie - en commençant par ses propres ancêtres. Et ses propres parents - enterrés depuis longtemps - et leur manque d'amour manifeste envers leur progéniture, est-il encore temps de leur pardonner ? Et enfin Kathleen de Burca s'interroge sur la haine antique des anglais envers le peuple irlandais, qu'ils considéraient - et considèrent peut-être toujours -  comme des êtres inférieurs, était-il temps de tourner la page, et d'enfin vivre autrement ?

      Les protagonistes bénéficient d'une belle mise en lumière, chacun vivant comme il peut avec les stigmates d'un passé et d'un présent bien lourd, où, trouver son propre équilibre de vie est loin d'être une panacée.

      Tragédies personnelles et historiques s'entremêlent avec talent dans ce roman écrit tout en émotion contenue. Malheureusement disparue depuis 2008 à l'âge de 68 ans, cette fougueuse et émouvante écrivaine nous livre une réflexion sans concession sur le poids de la société, sur la liberté individuelle et sur l'exil volontaire... tout un programme, tout un pan de vie sous le signe de la condition humaine.



20 janv. 2019

" Le portrait de Dorian Gray "   de Oscar Wilde   14/20




      Est-il  nécessaire de résumer ce grand classique de la littérature anglaise ? Peut-être... pour les plus jeunes !
      Le jour où Dorian Gray, jeune homme de 17 ans, se fait peindre le portrait en pied par son ami Basil Hallward, il tombe littéralement en admiration devant la beauté de l'oeuvre réalisée. Sous l'imparable influence perverse de l'ami du peintre, Lord Henry Wotton, Dorian fait le voeu que le tableau vieillisse à sa place afin de garder tout l'éclat et la fraîcheur de sa jeunesse. Bien mal lui en prit, car par un fait inexplicable, le tableau se modifie au fur et à mesure des actes déloyaux et sournois qu'il commet ; telle une belle âme qui se corrompt peu à peu sous les perfidies de la vie de Dorian Gray.

      L'histoire a de grandes allures faustiennes, en effet, comment ne pas voir en la personne de Lord Henry Wotton : le diable lui-même. Par sa faconde, par son cynisme, par son immoralité, Lord Henry pervertit la pureté d'âme de Dorian. Son influence néfaste rebondit à chaque page, tel un leitmotiv obstiné, profitant de chaque nouvelle rencontre pour émettre de nouvelles théories spécieuses et empoisonnées. Dès le chapitre premier, l'inéluctable déchéance suinte, elle planera tout du long, telle une épée de Damoclès. Le dernier chapitre bouclera la boucle en restituant une sorte de pureté originelle, une paix enfin recouvrée. Mais à quel prix ? Combien de personnes auront eu à en souffrir jusqu'à leur anéantissement irrémé-diable ?

      En lisant entre les lignes, l'homosexualité et la bisexualité affleurent, pas bien étonnant quand on connaît la personnalité d'Oscar Wilde, néanmoins il fallait un certain courage à l'époque, dans la société victorienne, pour évoquer, même en filigrane, ce qui était considéré comme une perversion.

      Certains passages sont d'un accès complexe : outre la densité du propos fait d'entrelacs entre esthétique et éthique, des considérations, à la limite de l'abscons, nagent ouvertement dans des eaux philosophiques ; la relecture s'avère donc parfois utile, si ce n'est nécessaire. De quoi faire faire demi-tour à bon nombre de lecteurs ! De plus, même si le style marque une époque, l'écriture s’avère assez pompeuse, ampoulée et grandiloquente ; tel le onzième chapitre où Monsieur Wilde s'amuse à en faire des tonnes pour évoquer pêle-mêle : la course aux sensations par la psychologie des parfums, les pierres précieuses, les instruments de musique primitifs ; les doctrines matérialistes du darwinisme allemand ; les mystères de l’alchimie ; toutes sortes de pierreries aux singulières particularités ; un roman de Lodge... que sais-je encore, donnant l'impression d'un déballage d'érudition virant à l'autosatisfaction. A deux pas du narcissique Dorian Gray... il n'y a pas de hasard : Dorian Gray c'est lui : Oscar Wilde ! Ou devrait-on dire Dorian Wilde ? Ou Oscar Gray ?
      A noter également cette affirmation dite par Lord Henry Wotton : Je suis certain que les femmes apprécient la cruauté, la vraie cruauté, plus que n'importe quoi, résonne effroyablement après l'affaire Wienstein et le mouvement Me Too.

      Néanmoins, ce roman vaut par la profondeur du propos : traiter du rôle des influences dans le destin d'un homme... tout un programme ! Et en corollaire, amène de légitimes interrogations :  Jusqu'où est-on prêt à se compromettre pour conserver cette chose si fragile et si éphémère qu'est la beauté de la jeunesse ? Peut-on agir de façon égoïste indéfiniment sans que notre conscience nous rappelle à son bon souvenir ? La beauté n'appartient-elle qu'à l’art ? Toute rédemption peut-elle être sincère ?

      Ce roman est un véritable festival d'aphorismes, en voici juste deux pour l'exemple : Le seul moyen de se débarrasser d'une tentation est d'y céder. Aujourd'hui, chacun sait le prix de toutes choses, et nul ne connaît la valeur de quoi que ce soit.

      Nonobstant tout cela, Le portrait de Dorian Gray est un exercice de style poussé à bout, tout y est en excès, tout déborde d'un trop plein, tel un déferlement de mots, si ce n'est un tsunami littéraire !



13 janv. 2019





HAÏKU   Partie   CXI

°°°°°°°°°

aller dès l'aube
par les chemins
à la rencontre du matin


premier de l'an au jardin
un jour comme les autres
pour le rouge-gorge


table de jardin
 toute gelée
l'été aux antipodes


jour après jour
ciel tricoté
de gris et de pluie


gros fêtard de l'an neuf
depuis
le soleil est malade


8 janv. 2019

" Les cavaliers "   de Joseph Kessel   19/20


      Grand reporter invétéré et voyageur infatigable, Joseph Kessel développa une vraie passion pour l'Afghanistan, pays qu'il sillonna de nombreuses fois. De là à en faire la toile de fond d'un roman hors du commun, où ses personnages accèdent à une stature épique donc universelle, il n'y a qu'un pas. 
Tout débute par un défi équestre très populaire dans la tradition afghane, le bouzkachi : des cavaliers, appelés des tchopendoz, munis d'une cravache au bout ferré s'affrontent violemment sur un parcours ; le but étant de ramasser la dépouille d'un bouc sans tête et de le transporter jusqu'à une cible dessinée au sol, chacun des cavaliers joue pour soi et tous les coups sont permis. Ces hommes à cheval, aux qualités équestres incomparables, sont animés tout à la fois d'une fureur démentielle, d'une violence inouïe et d'une noblesse patente ; risquant leur vie à chaque instant, ils sont considérés comme des Dieux vivants par tous les afghans avides de ces compétitions de sueur et de sang. Parmi eux, il y a Ouroz, fils du grand Toursène : un Maître des écuries d'Osman Bay et ancien champion du bouzkachi. Aveuglé d'orgueil, Ouroz rêve de gloire pour lui-même, mais aussi pour effacer le nom de son père gravé dans les mémoires collectives comme étant le champion des champions. Seulement, le destin lui réserve autre chose... ressemblant à une longue marche au bout de l'enfer. Son palefrenier Mokkhi verra son avenir s'infléchir sous le poids de la haine et la découverte de la femme... Zéré, qui dans une vendetta dangereuse cherche à abolir les stigmates et le déshonneur d'une misère qui remonte à la nuit des temps.
      Je ne veux surtout pas vous en dire plus, il faut accepter d'en savoir peu pour mieux s'imprégner de l'oeuvre, car il s'agit bien de cela, de communier avec les mots, de partir sur les chemins poussiéreux et de s'emplir d'espace et d'émotions.

      Toute une galerie de portraits défilent sous nos yeux, des hommes et des femmes aux multiples tourments, aux multiples désirs. Il y a les mégalomanes imbus de leur personne, leur arrogance n'ayant d'égal que leur sottise, s'autorisant tout, leur naissance étant synonyme d'intouchabilité. Et puis, il y a les faibles, ceux qui doivent tout supporter, tout endurer, dans une résignation sans limite, tel un fardeau qui ne s’allégera... qu'avec la mort. Entre ces deux mondes antonymes, il y a un homme, un conteur très vieux, avec un corps usé jusqu'à la trame, sans chair ni poids : Guardi Guedj, nommé également L’aïeul de tout le monde, un homme de grande sagesse, il a tout connu, tout vécu, il est la conscience de ce monde, sa parole est d'or, tout le monde le considère et l'écoute avec une extrême vénération. Chacune de ses apparitions illumine le roman d'une lumière de vérité, il est la charnière du roman, celui qui unifie les âmes, les êtres et les peuples égarés dans l'épouvantable tumulte de leur désir, de leur révolte, de leur soumission et insoumission. D'ailleurs, la longueur et la richesse de sa vie pourraient à elles seules suffire à remplir un ouvrage entier.

      Dans le roman, comme dans la vie afghane traditionnelle, la place de la femme se voit reléguée dans l'arrière cour de l'arrière cour des cuisines. Officiellement, son existence est simplement niée, reléguée juste à la procréation... et encore. Si elle avait le désir d'assister à une compétition de bouzkachi, cela relèverait d'une peine exemplaire. Joseph Kessel a glissé deux portraits de femmes révélant des êtres bafoués, humiliés, mortifiés dans leur chair, l'une restera servile et obéissante jusqu'à la mort, l'autre, dans un désir fou de vengeance ultime, tentera d'infléchir un sordide destin.

      La plume de Joseph Kessel est magistrale, sans esbroufe, sans grandiloquence, elle dissèque avec une infinie précision les émois et les afflictions des protagonistes. Pas de réflexion philosophique pesante, aucun jugement de valeur ne soulignent l'inconduite des uns ou des autres, mais seulement une palette de sentiments humains, si générationnelle et si universelle, qu'elle transcende l’histoire pour la muer en conte à jamais indémodable.

      Avec une maestria digne des plus grands, Joseph Kessel orchestre un ballet de la vie hors pair, animant ses protagonistes dans des décors magistraux, faits de steppes interminables, de défilés rocheux étroits, de montagnes aux crêtes en forme de crocs déchirant un ciel où un soleil brûlant aveugle qui le défit ; ce pays de sable et de pierres, de chaleur torride et de froid glacial, de souffrances et de prières, héberge de si beaux chevaux, à l'image de Jehol, à l’intelligence, au caractère et au courage si bien trempés, à la loyauté si incorruptible, qu'il rivalise allègrement avec les autres personnages.

       De nombreux passages mériteraient mes éloges, tant leur sensibilité est à fleur de peau, tant la vérité transpire derrière les mots, tant l'affectivité suinte de la parole devenue pure sous le joug du destin. Citons juste Ouros, qui, attendant le sommeil dans un caravansérail de misère, descend un instant de son piédestal et prend conscience d'avoir, pendant tant d'années, fortifié son dédain pour le troupeau de ses semblables ; ou encore lorsque L’aïeul de tout le monde met Toursène en face de ses inhumanités, avec des mots simples il émeut l'un des hommes les plus respectés pour ses innombrables victoires au bouzkachi ; c'est simple, ce roman est une succession de moment d'anthologie.

      A la fois roman d'honneur, de sueur et de sang, c'est un fabuleux voyage aux travers des steppes et des montagnes de l'Hindou Kouch, Les cavaliers est une oeuvre remarquable par son souffle épique, par l'humanité de la narration, par sa violence gratuite, par la force intrinsèque de la honte et l’ambiguïté du déshonneur, par l'outrecuidance des uns et l'humilité des autres, par la découverte de peuplades trop souvent dévalorisées, par sa légitime déférence pour les chevaux et pour la très haute qualité de la narration. Impressionnant de justesse et donc totalement inoubliable, Les cavaliers, est un chef-d'oeuvre !


1 janv. 2019



HAÏKU   Partie   CX

°°°°°°°°°

nouvelle année -
partout cette espérance...
de bonheur


matin du nouvel an
ce marteau dans la tête
champagne de la nuit


jour de l'an 
confettis dans les cheveux
de l'année dernière


premier janvier
nus sur le trottoir
les vestiges d'un sapin


nouvel an en Normandie
nouvelles résolutions
sous la même pluie