27 janv. 2020


" La fin d'une liaison "   de Graham Greene   16/20



      Été 1939 à Londres. Lors de la première rencontre entre Maurice Bendrix, écrivain en peine de reconnaissance, et Sarah, jeune épouse du haut fonctionnaire Henry Miles, c’est le coup de foudre. Dans les flammes de la passion, ils entament une folle histoire d'amour qui prendra soudainement fin lorsqu'un obus tombe sur la maison londonienne où ils ont l'habitude de se rejoindre. Bien qu'ils sortent tous les deux vivants des décombres, Sarah, sans la moindre phrase d’explication, prend la fuite, mettant abruptement fin à leur union passionnée.
      Janvier 1946, Bendrix croise par hasard Henry qui lui confie des doutes sur la fidélité de sa femme Sarah. Rongé depuis des années par une curiosité malsaine et une hideuse jalousie, Bendrix engage un détective privé...

      Toute véritable histoire d'amour n'implique-t-elle pas des sentiments aussi opposés, aussi antinomiques, aussi incompatibles que sont l'amour et la haine, la passion et la jalousie, la vénération et la rancoeur ? Tel est le propos de Graham Greene, qui, non comptant de torturer psychologiquement ses trois personnages principaux, y ajoute un élément perturbateur : la religion. Dès lors, après avoir sévèrement secoué l'ensemble, l'expérience peut commencer. 
      La fin d'une liaison ouvre ainsi de nombreuses portes aux thèmes flirtant avec la philosophie. Quand les démons de l'amour jouent avec l'éthique du christianisme ; quand la recherche de purification perturbe puis bâillonne tout déterminisme ; quand les apparences sont le contraire de la réalité ; quand un homme est accablé par l’accumulation des hasards jusqu'à ne plus les croire ; quand amour et douleur sont indissociables... comment vivre ?

      Ecrit en 1951, au goût délicieusement suranné et inspiré grandement de la vie de l'auteur lui-même, ce roman s'amuse, avec une certaine ingéniosité, à bouleverser la chronologie habituelle de la narration pour mieux en faire ressortir l'essence même de cette complexe et atypique histoire d'amour. Cette originalité en fait un roman singulier, d'une part par sa construction et d'autre part par le prisme sous lequel le lecteur regarde ce triangle amoureux.
      Difficile d'en dire plus sans déflorer le noyau dur du récit ; d'ailleurs, je le déplore une fois de plus, parcourir la quatrième de couverture s'avère être une grave erreur : il est fichtrement trop bavard ! Je veux bien qu'il faut mettre l'eau à la bouche du futur lecteur, cependant, révéler l'essentiel de l'intrigue gâche une grande partie du plaisir de lecture. C'est dommageable et stupide !

      La fin d'une liaison est un roman d'une grande originalité, jonglant adroitement avec la frontière si ténue entre amour et haine, tentation charnelle et spirituelle. Un intelligent moment de lecture ouvrant la porte à une vaste réflexion sur la puissance de la foi face à la force de l'amour.


18 janv. 2020


" Nos richesses "  de Kaouther Adimi   18/20


      Edmond Charlot à 20 ans en 1935. Il vit avec le rêve de créer à Alger un espace pour célébrer la littérature, l'art, l'amitié et la région méditerranéenne. Le 3 novembre 1936, après des vicissitudes inhérentes aux finances,  il ouvre au 2bis rue Charras une librairie, maison d'édition, bibliothèque et galerie d'art, sous l'enseigne " Les vraies richesses " emprunter respectueusement à un roman de Jean Giono. Albert Camus lui confiera l'édition de son premier texte de dramaturge "Révolte dans les Asturies" (interdit par le maire d'Alger), puis un recueil d'essais intitulé "Noces". Il sera le premier à imprimer "Le silence de la mer" de Vercors dès octobre 1943, puis Saint-Exupéry suivra, et tant d'autres... et non des moindres. Pourtant, les difficultés dues aux périodes traversées ne manqueront pas : pénurie de papier, absence d'encre, censure politique. Cependant, bon gré mal gré, il esquivera les obstacles pour toujours rebondir. Edmond Charlot ne fut jamais riche, il mourut même dans la misère en 2004, mais pour lui, pour Giono, comme pour tant d'autres, la seule vraie richesse était ailleurs.

      Alger 2017, Ryad, un étudiant stagiaire parisien, est embauché pour vider entièrement la librairie et la repeindre, afin de la transformer en commerce de beignets, sous le regard désapprobateur et vigilant d'Abdallah, le dernier gardien des lieux.

      Grâce aux possibilités infinies et jouissives de la fiction, Kaouther Adimi fait revivre l'histoire vraie d'un homme diablement insoumis et fou de littérature méditerranéenne. D'ailleurs, Edmond Charlot avait inscrit sur sa vitrine : Un homme qui lit en vaut deux.
      Par le truchement d'un journal imaginaire, l'auteure nous embarque dans une époque où l'histoire, avec un grand H, est pleine de soubresauts et de convulsions. Pour un insubordonné et un frondeur comme Edmond Charlot, quand tout contribue à vous mettre des bâtons dans les roues, il faut faire preuve d'une volonté de fer, d'une abnégation totale et d'une créativité débridée, afin de  métamorphoser ses rêves en réalité. Loin des vérités officielles et de la chape de plomb bâties par la France, l'héroïque M. Charlot veut choisir la littérature comme boussole, en construisant une contre culture, une autre vision du monde méditerranéen où seul le profit est source d'épanouissement.
      En opposition à cette idée culturelle, Kaouther Adimi invente, Ryad, ce personnage d'étudiant n'ayant aucun goût pour la littérature et les livres en général. Il est venu de France pour faire place nette, pour tout jeter : livres, affiches, tableaux et étagères aux profits d'une boutique de...  beignets !!! Quand le commercial tue toutes notions de réflexions. Quand le futile assassine l'utile. Quand  seul le mercantile est source d’épanouissement !
      C'est cette judicieuse opposition qui nous permet de voir le monde en relief, tel un soleil algérien couchant qui accentue les ombres pour mieux y lire l'altérité.

      La seule ombre au tableau, qui n'en est pas vraiment une, vient de la brièveté du texte. J'aurais voulu plus d'Alger, plus de convivialité, plus de soleil, plus de bleu, plus de tout ! Kaouther Adimi se distingue dans une concision humble. Elle se veut la voix d'une passeuse, de celle qui dit pour que l'on n'oublie pas, de celle qui raconte pour que la passé est un sens et la vie aussi. Un grand petit livre !


13 janv. 2020

Quand la pâtisserie prend les couleurs de l'hiver...






... puis de Minnie...





... et enfin de Minecraft !


A plus !

9 janv. 2020

" Mets le feu et tire-toi "   de James McBride   18/20



      Écrivain, scénariste, compositeur et musicien de jazz, James McBride s'aventure sur les innombrables traces d'une figure mythique de la musique noire américaine : James Brown. De rencontres plus ou moins impromptues, en entretiens plus ou moins crédibles, il s'ingénie à démêler le vrai du faux de la vie cotonneuse du dénommé Monsieur Dynamite. En effet, l’icône de la soul fuyait comme la peste les interviews ; et quand il y était contraint, son discours divergeait d'un micro à l'autre. L'homme aimait s'entourer de mystères. Et l'écran de fumée qu'il laissait planer sur sa vie, non seulement lui était nécessaire, mais salvateur. D'ailleurs, son manager, Charles Bobbit, ne disait-il pas : Beaucoup de gens prétendent qu'ils le connaissent. Oh, je vois des livres, j'entends les gens dire qu'ils le connaissent. C'est que des conneries. La plupart ne le connaissant pas parce qu'il ne leur a pas permis de le connaître. Il ne le voulait pas.

     Mets le feu et tire-toi ne ressemble absolument pas à une biographie classique, James McBride choisit des chemins de traverse, des digressions musicales ou historiques, dans le dessein d’esquisser en creux le parcours d'une sommité de la musique noire. Ainsi, il gagne en puissance et en émotion, dégageant au final le portrait d'un homme empêtré dans une vie choisie, certes, mais qui recèle de nombreux chausse-trappes. Notamment ceux d'un boss qui gérait tout, devant se démener comme un forcené devant la puissante industrie du disque (toujours dirigée par des blancs), subissant moult critiques pour son comportement vis-à-vis de ses musiciens, comme tout perfectionniste. Néanmoins, son chemin de vie (une enfance pauvre et trépidante, une entrée précoce en délinquance, la découverte du monde de la musique qui chamboule le gamin et dévoile son génie pour le chant et la danse) pouvait-il être autre quand celui-ci fut gangrené par les inégalités sociales, scolaires et raciales ?

      D'après l'auteur, jusqu'ici les biographies du parrain de la soul contenaient de nombreux mensonges, sans parler du biopic de Tate Taylor intitulé Get on up, sorti en salle en 2014, qui frise les 40% d'inexactitude. Avec le travail de fourmi réalisé par James McBride, beaucoup d'approximations sont corrigées, naturellement, les faits deviennent moins spectaculaires, cependant, ils n'en sont que plus signifiants.

           Chaque chapitre peut se lire individuellement, car chacun recèle une facette d'un être véritablement polymorphe. Chacune est racontée par une personne de son entourage proche, chacune vibre d'une énergie singulière et d'un écho inattendu. L'ensemble forme un kaléidoscope reflétant au plus propre de la réalité la personnalité d'un homme cherchant la lumière dans un monde de ténèbres.

      James McBride est un biographe qui écrit en marchant, mais de surcroît, c'est aussi un érudit en matière de musique noire. Il éclabousse de son talent musical de larges pages, poussant de façon subliminale chaque lecteur à glisser en musique de fond toute une série de titres du génie de la soul.

      Sous les méandres chaotiques de la vie d'une star de la musique noire, toute l'intelligence du livre, est de nous faire voir en perpendiculaire toute l'âme noire d'une Amérique blanche confrontée à ses démons intimes : la réussite absolue, le culte de l'argent et l'éternelle discrimination raciale. En effet, en amorçant son récit à partir de l'homme au 45 disques d'or, James McBride nous délivre une enquête intolérable sur la terre d'inégalité qu'est encore et toujours l'Amérique.
      

4 janv. 2020

" Les singes de Dieu "   de Patrick Lasowski   17/20


      Nous sommes à Paris, dans la deuxième partie du XVI ème siècle, pendant cette terrible période qui fut celle des guerres de religion. Du haut de sa chaire, le docteur en Sorbonne et curé de Saint-Benoît, Jean Boucher, harangue avec véhémence la foule de ses fidèles. Orateur hors pair, sa bouche fielleuse est une arme redoutable qui appelle, sans la moindre indulgence, à mettre à mort tous les hérétiques, le Roi, tous les subalternes du Roi, tous les faux catholiques, tous hommes et femmes à la vie dissolue, enfin... un peu tout le monde ! A la tête du groupe des " Seize", il enflamme par ses sermons un peuple qui ne demande que cela. Sa puissance de nuisance est telle que le 12 mai 1588 il oblige Henri III à prendre la fuite lors de la journée des Barricades. La place est libre, dès lors, les Seize tente de remplacer la monarchie par une dictature théocratique, aussi violente que sanglante.
      Toute cette terrible histoire nous est racontée par le capucin Pierre Tison, le plus aimé des disciples de Jean Boucher ; il sera son secrétaire et confident pendant une trentaine d'années. Cependant, cet homme de foi porte un lourd secret au fond de son coeur, un secret ou plutôt une blessure qui ne cesse de le tourmenter et de le torturer. En effet, quand l'immonde machine de haine s'est mise en route, plus personne n'est à l'abri.

      Patrick Lasowski nous raconte des destins perturbés, notamment ceux d'Henri III et d'Henri de Navarre. Pendant leur règne, ils sont confrontés à l'intolérance de prédicateurs catholiques habités par une haine si farouche, qu'elle vous conduisait rapidement à un procès, inévitablement tronqué, pour hérésie. Il est bon de rappeler qu'à cette période, tout comme aujourd'hui, l'intolérance religieuse est un sujet brûlant. Peu importe la religion, elle porte toujours en elle les germes potentiels du fanatisme, or les bases de chacune d'elle ne prône-t-elle pas la paix et la tolérance ? Devant les effroyables déchirements qu'ont causé les religions au fil des siècles, je ne peux m'empêcher de songer à un monde sans aucune d'entre elles. Le monde n'en serait-il pas moins violent ?

      " Les singes de Dieu ", est-il vraiment un roman ? Tous les faits narrés sont décalqués sur la vérité historique ; la force tellurique et ténébreuse de l'écriture intensifie encore un peu plus la froideur d'une narration très factuelle. En effet, l'auteur se permet si peu de romanesque ou d'imaginaire que ce "roman" relève plus d'un livre d'histoire, pour autant cela n'a rien de péjoratif, c'est juste plus épineux à lire. De surcroît, devant tous ces hommes aveugler par une haine farouche, le lecteur cherche celui qui pourra lui inspirer une once d'empathie, histoire d'amener une lueur non pas de joie mais d'espérance... avant de simplement renoncer. 

      Dans ce chaos obscurantiste, même si cela ne joue qu'à la marge, il y a l'ébauche d'une romance, un peu d'amour candide au travers de la belle Madeleine Longeville. L'époque ne pouvant accepter des mœurs contraires aux canons, elle devra rendre des comptes pour son comportement inapproprié ; malgré tout, sa présence est une petite flamme, certes trop fugace, mais une faible raison d'espérer et d'envisager un hypothétique demain des possibles.

      La plume de Patrick Lasowski à la fois belle et tragique, solennelle et froide, appliquée et féroce, renforce par un ton quasi clinique, le cynisme de l'ensemble.

      Les singes de Dieu est au final un roman miroir, dénonçant les agissements d'hommes de foi aveuglés par leur frustration ou/et par la peur viscérale de l'autre. Sous couvert de faire respecter la loi de Dieu, ils sont prêts à toutes les cruautés les plus ignominieuses. Certes, parfois exigeant et aride à lire, par son côté impitoyable, mais néanmoins si universel.