26 mars 2020

" Némésis "   de Philip Roth   19/20


      Début juin 1944 aux Etats-Unis, se déclare le tout premier cas de polio. Bucky Cantor, lanceur de javelot, haltérophile et spécialiste du plongeon, est un jeune homme de 23 ans qui anime un terrain de jeu pour les enfants du quartier juif de Weequahic à Newark. Sa plus grande honte : ne pas avoir été réquisitionné par l'armée à cause d'une mauvaise vue. Très vite, l'épidémie de polio s'étend parmi les enfants dont il a la responsabilité.

      Philip Roth frappe fort, une fois de plus, avec ce roman aussi poignant que bouleversant. Avec maestria il développe le thème de  la fierté doublée d'une très forte culpabilité pour déboucher sur un sacrifice ultime en accord avec une personnalité digne et responsable.

      Bucky Cantor n'a pas eu de chance, sa mère est morte en couche et son père est un voleur. Dès lors, ses grands-parents maternels s'occupent de son éducation. Une éducation exemplaire basée sur l'honnêteté et le dévouement. Il est heureux de faire la fierté de ceux qui l'ont recueilli. Son exemption militaire lui fait honte, lui, l'athlète accompli. Quand l'épidémie frappe, cela lui donne enfin l'occasion de pouvoir mettre en oeuvre son sens du devoir, alors, naît dans le quartier de Weequahic : colère et incompréhension.

      Un sentiment d'angoisse grandit au fur et à mesure de la lecture pour se clore par un déchirement inévitable. Philip Roth décrypte, avec un cruel réalisme, les mécanismes intellectuels d'un homme qui, sauf une bonne vue, a tout pour lui : une condition physique extraordinaire, un métier qui le passionne et une femme qui l'adore. Cet homme là, dans un souci de haute responsabilité, n'hésitera pas à immoler sa vie sur l'autel de la culpabilité.

     La question, bien légitime, de nos croyances face à l'inacceptable est admirablement traitée. Sans oublier celle de l'absurdité de la vie, de la fatalité et de la destinée, celle qui frappe au hasard. Chacun peut s'y retrouver et s'y interroger longuement.

      Némésis, c'est du très grand Philip Roth, l'un de ses meilleurs romans. Quand je pense que les Nobels de la littérature l'ont ouvertement boudé !?!

24 mars 2020

" Si je t'oublie, Jérusalem "   de William Faulkner  7/20


      En 1938, dans la basse vallée du Mississipi, un couple adultère part à l'aventure avec pour seul bien leur amour exclusif. Ce sont deux êtres purs qui désirent ardemment s'affranchir des valeurs bourgeoises et de tout mercantilisme. Tout indique que cette fuite en avant va mal finir, mais l'intention est légitime et respectable. A cette histoire, vient s'intercaler le récit de deux bagnards réquisitionnés, pendant la crue du Mississipi de 1927, afin de venir en aide aux sinistrés.

      Le titre est tiré d'un psaume qui remémore la captivité des Juifs à Babylone. Dans le roman, le thème de la captivité et de la négation de toute liberté est sensée, sous la plume du grand maître nobélisé, être factuelle, volontaire et métaphorique. Que ceux qui auront eu le courage d'aller au bout s'en face leur propre idée. La mienne tient en peu de mots : tout ça pour ça ! On m'annonce, en quatrième de couverture,  un roman où la souffrance atteint une acmé rare, une intensité inégalée dans l'oeuvre de Faulkner, et je tombe sur un texte interminable, empêtrer dans un style d'une lourdeur abyssale, semblant patauger dans une glaise froide et paralysante. Car comment avoir un début d'empathie pour une douleur, soit-disant extrême, quand elle est diluée dans un éboulis de mots, de phrases et d'une ponctuation distribuée au petit bonheur la chance ? De surcroît, les deux narrations distinctes ont si peu de rapports entre elles, que malgré leur entortillement on a l'impression de lire deux romans différents.
      Et que ça pisse ou déblatère du texte, encore et toujours ! Pourquoi faire simple et court quand on peut faire compliqué ? Juste un extrait qui résume parfaitement mon propos : C'est alors qu'il entendit un bruit. Il ne pouvait l'identifier parce que c'était la première fois qu'il l'entendait et de toute façon il n'aurait jamais pu s'attendre à l'entendre de nouveau, car il n'est pas donné à tout le monde d'entendre un bruit pareil et il n'est donné à personne de l'entendre plus d'une fois dans sa vie. Et maintenant il n'avait pas peur non plus parce qu'il n'en avait pas le loisir, car bien que devant lui la visibilité, si claire fût-elle, ne s'étendit pas très loin, à peine pourtant eut-il entendu le bruit qu’il vit aussi quelque chose qu'il n'avait jamais encore vu. Un exemple est souvent plus parlant qu'un long discours !

      Il parait qu'un roman de Faulkner se mérite, qu'il requiert une grande intelligence de la part du lecteur. Je ne pensais pas être si indigent côté neurones ! Pourtant, Zone de Matthias Enard, auteur réputé hermétique, m'a laissé le souvenir d'une belle mécanique littéraire bien huilée !

      Malgré tout, avec un élagage drastique, avec un réglage idoine de la ponctuation et une recherche d'épure, l'auteur aurait pu atteindre une histoire efficace et diablement plus prenante. Seulement voilà, on veut faire son petit malin, épater la galerie, faire de l’esbroufe pour laisser une trace dans l'histoire du monde des lettres ; résultat : 350 pages d'une bouillie littéraire !

      Néanmoins, je dois être dans l'erreur et totalement me fourvoyer, car sinon, comment les jurés du Nobel de littérature auraient-ils pu choisir un tel écrivain pour décerner leur prix de 1949 ? Pauvre de moi, que je suis bête !!!


19 mars 2020

Visite du jardin en ce premier jour de printemps 2020. 
Partie 1



Donnez-vous la peine d'entrer !



Pendouillant dans l'azur,
les géantes gousses de la glycine.



Toute la blancheur délicate,
des fleurs de prunelliers.



Persistant même au cœur de l'hiver,
le royal persil.



Ah ! Les doux chatons du saule marsault.



Pas un printemps sans muscari !



S'extrayant d'une végétation effervescente :
une timide jacinthe.



Plein ciel bleu entre les feuilles naissantes du sureau.



Impression soleil couchant
sur les violettes.



De moins en moins farouches :
les jeunes pousses de pivoines.



A l'entrée de la serre,
des myosotis s'immiscent.



Devant le muret de silex,
les framboisiers prennent le soleil.



Entre lierre et ficaires,
le muret disparaît !



Ne rien faire,
écoutez l'herbe pousser !




Nul printemps sans primevères !




Au pied du saule marsault,
la mousse se complaît.



Bouquet final de fleurs de camélia.


16 mars 2020



HAÏKU   Partie CXLI

°°°°°°°°°

en période d'épidémie
les jonquilles du jardin
encore plus belles


peur sur le pays
le virus est partout
sauf dans nos cœurs


bagarres au supermarché -
je rêve d'un nouveau virus
anti-cons !


gestes barrières
toujours moqués
la bêtise est immortelle !


plus de sortie possible
comme le dit la chanson de Sting
walking on the moon


14 mars 2020

Visite du jardin en cette fin d'hiver.
Partie 2



La rhubarbe se rue à notre barbe !
Enfin, pour les barbus !



Derniers poireaux d'hiver.
Pied d'artichaut (qui fait coucou)
en arrière plan !



Telles des étoiles dans la nuit verte,
les ficaires !



Naissance timide de l'ail des ours !



Beau spécimen de moineau !



Bouquet champêtre de lamier pourpre.
Miam, miam !



Autre bouquet de lamier blanc.
Là aussi, tout se mange !



Mes amis les plus chers du jardin,
les vers de terre !



Premiers semis de salade.
Des Reines de Mai,
sans leurs rois !



Toute la délicatesse,
et la fragilité,
de la Véronique !



Bah, fallait bien illustrer,
les eaux de Mars !



Laissons parler le sureau !



A vous de deviner ce dont il s'agit !
Mais garantie 100 % jardin.



L'if aussi... fleurit !




Bouquet final de jonquilles !

13 mars 2020


" Ouragan "   de Laurent Gaudé   18/20



      A la Nouvelle-Orléans, humant l'air du petit matin, Joséphine, une femme noire bientôt centenaire, sait que la grande vicieuse est de retour et que sa force dépassera celle de tous les ouragans qu'elle a vu s'abattre sur son pays de cœur, la Louisiane.

      A partir de la catastrophe climatique de 2005, où les forces de la nature se déchaînent avec une fureur inédite, Laurent Gaudé nous propose une hétéroclite galerie de personnages n'ayant pas pu quitter la ville pour se mettre à l'abri. Devant la colère des éléments, chacun d'eux sera confronté à sa vérité profonde. En effet, quand le chaos et la peur règnent, quand il n'y a plus personne pour faire respecter la loi, l'anarchie prend le relais avec ce qu'elle a de plus détestable. Dans ce pays ravagé où tout repère social ou moral est banni, l'Homme se révèle à lui-même, les masques tombent.

      Parmi la dizaine de protagonistes qui vont se croiser, formant une chorale symbolisant les cris et les pleurs d'une ville abandonnée à son sinistre sort, l'une de ces voix, celle de Joséphine, rappelle la condition humaine du peuple noir. Elle chante la douleur de toutes les tragédies qu'il a vécues, de toutes les injustices qu'il a subies et subies encore aujourd'hui. Malgré tout cela, ou à cause de tout cela, Joséphine ne plie jamais le genou, sa dignité est sa seule force et sa détermination est d'être, en toutes circonstances, une femme debout.

      Dans ce capharnaüm, un religieux se croit autorisé à être la main de Dieu, la main qui punit, la main de l'apocalypse, celle qui poursuit l'oeuvre dévastatrice de l'ouragan. Puisque Dieu a décidé de punir cette ville, il m'autorise à parfaire sa dévastation. Je suis le prolongement de sa volonté, je suis l'homme qui condamne et l'outil qui châtie au nom du seigneur tout puissant ! Toute la folie du monde est représentée dans ce personnage illuminé.

      Une fois de plus, Laurent Gaudé évite les clichés et nous raconte l'histoire de miséreux non seulement démunis, mais usés, épuisés et vaincus par la vie. Ils devront, une fois encore, livrer un combat de plus, un combat de trop ? Quand ce n'est pas une lutte contre la discrimination absurde et assassine du peuple blanc, c'est une bataille contre un ouragan d'une force inouïe. N'ayant pu fuir par faute de moyen, contrairement à la majorité blanche, ce peuple de douleur devra faire le dos rond et prier pour implorer la clémence de forces incontrôlables : celle de la tempête, celle de l'eau qui monte, celle des alligators profitant d'une manne inespérée et celle des hommes sans morale.

      Ouragan est l'histoire d'une tragédie, portée haut par une langue incisive et poétique, et dont certaines phrases résonnent dans nos têtes, telles des incantations.


6 mars 2020

Visite du jardin en cette fin d'hiver.




Impatientes de soleil, les jacinthes.




L'un des premiers arbustes à fleurir, le forsythia.




Quelle belle dame, le camélia !




Honteuses, les jonquilles au regard baissé.




Perdues entre lierre et fraisiers des bois, les violettes.




Déjà les pivoines s'élancent !





Délicates fleurs de romarin.




Pressée de garnir nos salades, la ciboulette !




L'envie de ciel des pois de senteur.




Feuilles de lupin après la douche !




Naissance des petits pois !




Jonquilles noyées dans la bruyère d'hiver.






Petite visiteuse de la serre, la pisaure.


A bientôt !


4 mars 2020

 L'honneur perdu de Katharina Blum "   de Heinrich Böll   18/20



      Dans l'Allemagne des années 1970, comment une jeune femme droite, serviable et courageuse, peut-elle se retrouver incarcérée pour une durée de 8 ans ? Où comment une personne ayant toute ses facultés mentales et morales peut-elle du jour au lendemain devenir une criminelle ?

      Là est la question brillamment soulevée par Heinrich Böll, prix Nobel de littérature en 1972.

      Katharina Blum est une honnête travailleuse qui se voit malheureusement impliquée dans un simple fait divers. Aussitôt, elle devient la cible d'un journal à scandales. Dès lors sa vie privée devient publique, sa réputation est outrageusement salie, sa vie paisible se transforme en enfer, touchant même, telle la chute des dominos, tout son entourage.

      Heinrich Böll, dans sa vie privée, avait lui aussi souffert de cette même presse, une presse de calomnie, une presse à sensation, une presse qui ne vérifie aucune information. Ne souhaitant nullement rentrer dans le jeu sordide de ces journaux en les invectivant, Böll attaque à son tour ses médisances et autres allégations mensongères avec ses propres armes : la littérature, d'où l'origine de ce roman imaginaire, mais si pertinent.

      Par ailleurs, Boll, en témoin de son temps, nous décrit une société toujours confrontée à ses vieux démons, qui, à y regarder de plus près, possède les relents rances d'un fascisme que l'on aurait voulu définitivement enterré. De surcroît, apparaît en filigrane tout au long du roman toute la crainte et la défiance de la RFA face aux exhalaisons de la pestilence rouge venue de l'autre côté du mur : la RDA. Rappelons que l'histoire se déroule pendant les années 1970, celles des années de plomb.

      Néanmoins, la narration de style chirurgical à coup de procès verbaux, de résultats d'investigations et d'articles du fameux journal, est heureusement enrobée par la voix du narrateur qui fluidifie l'ensemble dans un court mais judicieux texte. De toute façon, et en dépit d'une certaine sécheresse de l'écriture, le personnage de Katharina Blum et ce qu'elle subit est si poignant et si attendrissant que l'empathie fonctionne d'emblée ; et ce n'est pas l'aspect clinique de l'ensemble qui viendra à bout de la volonté du lecteur.

      Outre cette mise au point avec la presse de caniveau, Böll aborde maints thèmes : celui de l'interprétation d'un fait ou d'une phrase ; le thème du harcèlement sexuel constamment présent dans toute société dite civilisée ; et le thème de la probité exemplaire, de la droiture de vie qui devient à force soupçonneuse par tant de suspicieux.

      Devant une presse à scandales qui déverse sa boue, Heinrich Böll répond avec intelligence mais sans manichéisme, juste avec la morale qui sied à tout bon peuple souhaitant vivre avant tout en bon entendement avec autrui. Un livre original, un livre aux messages forts, un livre à lire !