Quelques réalisations originales :
24 mai 2021
20 mai 2021
" Transparence " de Marc Dugain 18/20
Un audacieux et indispensable roman futuriste.
En 2068, Cassandre Lanmordottir, la présidente française de Transparence, une société du numérique implantée en Islande, est accusée d'assassinat. Son entreprise est sur le point de commercialiser le programme Endless : un projet révolutionnaire portant à rendre les personnes immortelles en transplantant l'âme humaine dans une enveloppe corporelle artificielle, mais identique à l'originale. L'espèce humaine étant sur la voie de sa propre destruction due au réchauffement climatique et à toutes les pollutions industrielles, tous les espoirs de survie s'orientent désormais vers cette entreprise à la pointe de la technologie informatique. Pourra-t-elle redonner espoir à un monde en déréliction ?
Marc Dugain frappe un grand coup avec ce roman d'anticipation particulièrement fascinant et pertinent. Avec une maestria certaine, il nous décrit le monde de demain pour mieux nous faire prendre conscience de celui d'aujourd'hui. Par la même occasion il nous met en garde contre tous les réseaux sociaux, qui nous épient infiniment plus que l'on ne pense.
Brassant large, allant du transhumaniste à la terre en souffrance, en passant par la fin de l'écriture et de la lecture, la disparition de notre sphère privée, l'annihilation de notre avis critique et de la douce tyrannie des géants comme Google, il évoque toutes les raisons amenant à la perdition de l'Humanité : la consommation à outrance, l'avidité de l'Homme et la vénération absolue du Dieu Argent. Posant les cartes sur la table, il questionne l'Humanité sur sa volonté réelle : la résignation conduisant à un l'holocauste ou un sursaut tardif de lucidité, synonyme d'intelligence.
Transparence est un impressionnant roman d'anticipation sous forme de critiques de la révolution numérique et de ses dérives, doublé d'une magistrale réflexion sur nous-mêmes face au défi climatique. Vertigineux, à lire absolument !
12 mai 2021
" Un fils en or " de Shilpi Somaya Gowda 18/20
Dans l'ouest de l'Inde, autour de l'an 2000, Anil, l'ainé de la famille Patel, après avoir entamé des études de médecine dans le Gujarat, part au Texas faire son internat. Même si le mal du pays le fait souffrir, même s'il est confronté à la différence de culture, même s'il peine à s'affirmer dans ce grand hôpital public, sa volonté de réussir s'affranchit des épreuves, de la distance et du temps. Mais quand un lointain amour d'enfance, sous les traits de Leena, la fille d'un pauvre métayer, remonte inexorablement à la surface, il devra faire preuve de maturité pour témoigner de ses désirs face à une mère engluée dans des traditions séculaires. Cependant, dans cette Inde où des millions de jeunes femmes sont victimes de mariages arrangés, auront-ils simplement le droit au bonheur ?
Voici un roman qui séduit par la pureté de son intrigue. Pas de rebondissements factices, pas de phrases ampoulées ; seulement la justesse des sentiments, la volonté de braver l'iniquité d'ancestrales coutumes et la vérité d'un jeune homme qui s'émancipe. Avec, chevillé au corps, le doute, ô pas celui qui plombe, qui nihilise toute action, qui mine et vire à la suspicion, mais celui qui est source d'exploration, celui qui est indispensable à toute mise en perspective qui se respecte. Ainsi, grâce à la beauté noire du doute, Anil progressera sur le tortueux chemin de la vie, humainement, professionnellement comme sentimentalement. Tel un récit initiatique qui se respecte.
En jouant sur les deux cultures, si opposées, Shilpi Somaya Gowda multiplie les points de vues, pointe les différences, dénonce la discrimination et fustige l'intolérance. Ce rêve américain est-il vraiment cet Eldorado si convoité ? Peut-on légitimement braver les dictats familiaux ? Les fossés des cultures, entre l'Inde et les Etats-Unis, sont-ils condamnés à rester insurmontables ? Jusqu'où les responsabilités familiales peuvent-elles nous faire dévier de nos intentions ? Le choix d'une vie, doit-il se faire au détriment d'autrui ?
Avec un déterminisme affiché, l'auteure ouvre les portes de nos retranchements philosophiques. Dans la jungle du monde elle indique la voie d'une humanité en devenir, où l'altérité devient un voyage, une découverte, un agrandissement. Où grandir intelligemment ne peut se faire sans les autres. Où se bâtir une vie en harmonie ne peut se faire sans un irénisme salutaire.
La plume, toute en légèreté, coule tel un grand fleuve serein. Ces plus de 500 pages défilent si aisément qu'aucune longueur ne vient gâcher notre plaisir de lecture et de découverte.
Un fils en or est indéniablement une oeuvre intelligente et sensible où les destins croisés d'Anil et de Leena versent vers un universalisme bienfaisant et providentiel. Même la fin, loin d'être à l'eau de rose, possède toute la force du côté roublard et imprévisible de la vie. Un séduisant roman universel à conseiller sans vergogne. Une vraie réussite !
5 mai 2021
" Le crépuscule et l'aube " de Ken Follett 15/20
Une histoire de la mécanique de la haine et du pouvoir.
Quand les vertus de l'honnêteté se font broyer sous le joug autoritaire d'individus immoraux.
En l'an 997, issues de Norvège, de nouvelles attaques de Vikings viennent semer le chaos sur les côtes anglaises.
Durant les dix années qui vont suivre, le destin de deux hommes et d'une femme va s'entrecroiser : d'abord il y a le jeune Edgar, fils intelligent d'un constructeur de bateaux, qui voit sa vie basculer le jour où un raid viking détruit son village côtier de Combe et assassine son père ; ensuite il y a la belle et rousse Ragna, une jeune noble normande rebelle qui tombe en amour pour l'ealdorman de Shiring : l'anglais Wilwulf, mais les us et coutumes de son pays d'adoption auront vite fait de la déstabiliser ; enfin il y a Aldred, un moine idéaliste qui souhaite transformer son humble abbaye en un lieu de culture possédant une belle collection de livres. Au péril de leur vie, ces trois protagonistes s'opposeront à la corruption généralisée mise en place par l'autorité suprême des lieux : l'évêque Wynstan.
Ken Follett nous avait enthousiasmer avec Les piliers de la terre, paru en 1989 et signant ainsi le début de la saga Kingsbridge. Avec ce nouvel opus, il nous propose la préquelle de ce cycle.
Ce que Ken Follett sait faire, c'est mettre ses personnages dans un contexte historique précis, de les soumettre à des forces de coercition féroces et éprouvantes, puis de tirer les fils de l'intrigue jusqu'à ce que la grosse bobine soit entièrement vide. C'est avec ce même schéma qu'il a écrit ses quatre tomes de la série Kingsbrigde. Bien sûr, avec le temps, le lecteur est de moins en moins surpris parce que c'est toujours le même genre de personnages qui nous sont donnés de lire, à savoir : un constructeur ou un bâtisseur, un religieux et une gracieuse jeune femme, tous pétris de sentiments purs, tous en guerre contre l'inique. Seul change le fond historique car il y a toujours un décalage de deux siècles entre les oeuvres. Néanmoins, même si on a parfois la désagréable impression de lire le même livre, même si on devine facilement qui finira avec qui dans l'épilogue, la façon d'écrire de Ken Follett est tellement addictive, avec tous ses rebondissements et la lutte de ses personnages pour un monde meilleur, qu'il gagne malgré tout notre sympathie. Evidemment, une plume plus littéraire, des descriptions plus fouillées, une présence plus accrue des chefs vikings, auraient augmenté notablement la valeur intrinsèque de cet opus.
L'intérêt de cette lecture vient aussi de l'éclairage que l'auteur apporte sur cette période qui suit le déclin de l'Empire romain où la Grande-Bretagne régresse par la perte des connaissances. Après avoir connu les maisons de pierres des villas romaines, les anglais se logent dans des maisons en bois, d'une seule pièce... et sans cheminée ! Toute la science des céramiques romaines sombra aussi dans l'oubli. Et pire que tout : l'analphabétisme se généralisa ! Les 500 ans qui séparent la fin de l'Empire romain et le début du roman peuvent être comparés à une époque de ténèbres, une époque de déclin. Puis, sous l'influence des Normands, issus eux-mêmes en partie des Vikings, les choses vont enfin évoluer vers une période plus fastueuse avec en point d'acmé : les cathédrales. D'où, pour souligner la dégénérescence d'un pays avant son redressement le titre explicite de ce tome : Le crépuscule et l'aube.
L'auteur nous ouvre aussi les yeux sur la polygamie des anglais, très répandue chez une bonne partie de la noblesse, même si l'église ne voit pas cela d'un bon œil, les hauts personnages ne se privent pas de l'aubaine de profiter de plusieurs épouses. De surcroît, nous apprenons aussi que l'esclavage était légal dans l'Angleterre du Xème siècle. Principalement issus des prisonniers de guerre, notamment avec le Pays de Galles, des femmes et des hommes se retrouvaient ainsi sous la coupe d'individus fortunés qui avaient le pouvoir de vie et de mort sur ces pauvres âmes.
Avec sa verve intarissable, à travers cette société où les hommes d'influence sont pour la plupart corrompus jusqu'à la moëlle, Ken Follett nous offre une belle réflexion sur le pouvoir, ce pouvoir qui ne va pas sans son corollaire, à savoir la corrosion inhérente à la puissance toute subjective d'une fonction. Tout homme à responsabilités est-il inexorablement condamné, un jour où l'autre, sous l'influence d'un lobby quelconque ou sous son propre sentiment d'impunité, de faire le contraire de ce pourquoi il a été mis sur un piédestal ? La gangrène de la malhonnêteté est-elle nichée en chacun de nous, n'attendant que son heure pour se révéler ? L'Homme est-il impitoyablement condamné à n'espérer qu'en vain un âge où les loups auront disparu ? Les batailles entre le bien et le mal sont-elles éternelles ?
Si vous avez envie d'une prose qui se lit sans grande difficulté, d'une histoire où des stratégies de domination ou des manœuvres de survivance se mettent en place, d'un fond historique glaçant tout plein de méchants, et, d'un récit sinueux où l'amour triomphe après mille péripéties, n'hésitez pas, ce roman est pour vous. Alors bonne lecture !