17 sept. 2023

 


" Sonietchka "   de Ludmila Oulitskaïa   18/20

   

      Sonietchka est une jeune fille russe qui ne vit que pour la lecture. De 7 à 25 ans, elle tombe dans l'univers des livres comme on tombe en amour. A la veille de la seconde guerre mondiale, elle accepte la demande en mariage de Robert, un peintre bien plus âgé qu'elle avec qui elle partage le goût des romans français. De cette union naît Tania. Désormais Sonia n'est plus seule. Avec une joie profonde elle assouvit en même temps les désirs de l'enfant et de son père. Sonia ne cesse de s'étonner de son bonheur familial qu'elle considère comme indu. Un jour, devenue adolescente, Tania introduit à la maison une amie polonaise Jasia...

      Par son épure, par sa légèreté, par sa candeur et par son aspiration à la pureté, ce roman m'a fait songé à Un Cœur simple de Flaubert, il en est une sorte son pendant russe. 

      Longtemps après sa lecture, le personnage de Sonia demeure en mémoire. Cette femme se pare dans une sorte de joie de vivre quoiqu'il arrive. Elle sait prendre possession des petits bonheurs de tous les jours sans trop se soucier des malheurs qui planent sur sa vie. Elle positive tout, peut-être de peur de ne pas supporter psychologiquement l'environnement immédiat, n'oublions pas, très présente en arrière plan, une Union Soviétique à la peine où la misère est le quotidien. Même quand les épreuves devraient l'accabler, par candeur aussi peut-être un peu, Sonia irradie d'un bonheur résolument paisible et singulier. Et puis le monde des livres est toujours là pour l'envelopper dans un cocon protecteur et si douillé.

      Parfois la plume devient lyrique, parfois elle est plus prosaïque avant de repartir vers de belles ellipses.

      Sonietchka, réussit en 100 pages à résumer une vie, une vie minuscule, mais qui manquerait au monde, si elle n'était jamais apparue.


9 sept. 2023

 


" Au vent mauvais "   de Kaouther Adami  12/20

      Leïla, Tarek et Saïd grandissent à l'Est de l'Algérie dans les années 1920. Leïla, mariée à 13 ans contre son gré, décide de partir avec son fils et de retourner vivre chez ses parents, dans une réprobation générale. Né pauvre, Tarek devient un simple berger, toujours discret et timide, il est frère de lait de Saïd, né d'une famille aisée, parti en Tunisie poursuivre des études. Tous deux sont secrètement amoureux de Leïla.

      Avec ce roman en partie biographique - en effet on apprendra en dernière page que Kaouther Adami nous raconte la vie de ses grands-parents maternels - nous suivons trajectoire de trois protagonistes bousculés par l'histoire de leur pays : l'Algérie. En 80 ans, entre espoir et tragédie, ils affrontent la colonisation, la lutte pour l'indépendance et la guerre civile débutée en 1992 et qui durera 10 ans. Ces destins abîmés, brisés, disloqués, auront peu de choses auxquelles s'agripper pour ne pas défaillir : leurs enfants et le magnifique ciel algérien.

      Ce roman interroge le pouvoir de l'écrivain d'utiliser le réel, en s'imprégnant du lieu de vie et des noms d'hommes et de femmes ayant existés, juste pour faire oeuvre. Sans se préoccuper de l'effet néfaste que cela peut avoir sur leur destin. Ainsi, la littérature vue principalement comme libératrice, peut-elle elle aussi souffler tel un vent mauvais ? Ce récit questionne également les traditions ancestrales, les anathèmes lancées à la vindicte populaire, la stupidité de leur soi-disant bien fondé, et tous ces troupeaux d'écervelés qui ne savent penser par eux-mêmes, qui ont besoin d'une caution morale pour agir. Par opposition, Tarek est un homme effacé au début, restant silencieux face aux soubresauts du destin, mais vite il suivra une belle évolution psychologique, sa rencontre avec le réalisateur italien Gillo Pontecorvo va orienter sa destinée au point de débarquer un jour à Rome pour devenir le gardien d'une villa paradisiaque. Il sera profondément ému et bouleversé par le beau, par l'art, jusqu'à ne plus avoir envie de rentrer au pays. Cette parenthèse enchantée en dit long sur toutes ces personnes qui pensent que l'art n'est pas pour eux, qu'il s'adresse uniquement aux érudits. Tant de préjugés à démonter, la tâche est énorme, mais œuvrer en ce sens en plus qu'honorable.

      Kaouther Adami manie le sens du détail autant que l'art de l'ellipse, cela peut se comprendre dans certaine histoire, mais quand en quatrième de couverture on nous parle de grande fresque de l'Algérie, je suis désagréablement surpris, il me manque des pans entiers, tout est survolé, enjambé, parcouru à vitesse hypersonique ! Pensez-donc : parlez de saga en seulement 250 pages, et je compte les blanches !?! De surcroît, le personnage de Saïd est quasi inexistant, il apparaît au début avant de faire une courte réapparition entre deux pages, pourtant son influence est l'un des moteurs du roman. Le faire exister un peu plus aurait bénéficié à l'ensemble, dommage.

      Fresque familiale, Au vent mauvais mêle les petites histoires à la grande, dans un souci de concision époustouflant mais malheureusement frustrant.


5 sept. 2023


" Les Méditerranéennes " de Emmanuel Ruben   11/20

      Décembre 2017, lors de la fête des lumières de Lyon, Samuel retrouve sa famille maternelle, juive et exilée, tous fêtent Hanoukkah. A cette occasion, le chandelier familial s'allume bougie après bougie, chacune étant le prétexte pour les membres de la famille d'éclairer un morceau du passé en se remémorant leur propre histoire. Samuel, le petit-fils de Mamie Baya, s'imbibe de tous ces récits. Ainsi, 57 ans après l'exil des siens, il décide de découvrir de ses propres yeux les lieux, ou ce qu'il en reste, où vécut, entre bonheur et tragédie, toute sa famille maternelle.

      Emmanuel Ruben prend le prétexte du destin improbable d'un objet pour raconter les soubresauts du monde depuis des siècles ; à savoir, une ménorah, plusieurs fois perdue dans la poussière du temps et autant de fois retrouvée par la grâce d'un hasard bienveillant. De cette manière, le lecteur se voit ballotté de la Constantine du XIXème à Guelma en passant par Paris, Philippeville ou Jérusalem. Emmanuel Ruben a un certain talent pour construire des personnages hauts en couleur, à la gouaille indépassable, aidé en cela par une plume agile et malicieuse qui glisse admirablement sur les contours et les débordements de la narration. Ses précisions historiques ne manquent pas de pertinence et de revendications. Agréable plaisir de circuler dans la ville atypique de Constantine en sa compagnie, il sait mettre les accents où il le faut et le doigt où il ne faut pas, sous peine de réécrire l'Histoire.

      Néanmoins, malgré l'intelligence de la première partie, ça fini par partir dans tous les sens, à coups de flash-back systématiques, de liens familiaux sans fin et de passages obscurs. Epuisé et essoufflé par toutes ces allées et venues, je finis par décrocher avec une nette impression de gâchis. En effet, en voulant entremêler dans un tourbillon incessant le passé avec le présent, l'histoire se prend les pieds dans le tapis du temps et se casse irrémédiablement la gueule. Pourquoi vouloir à tout prix ce capharnaüm narratif ? Pour faire moderne ? Stop aux arabesques temporelles, un récit plus maitrisé m'aurait enthousiasmé, au lieu de cela j'ai perdu le nord plus d'une fois sans jamais le retrouvé, dommage.