" Le rêve du celte " de Mario Vargas Llosa 19/20
Dans une prose digne des plus grands, Mario Vargas Llosa nous raconte la vie d'un homme oublié de l'Histoire : Roger Casement, pourtant son parcours exceptionnel fait d'ombre et de lumière mérite éminemment de retenir notre attention ; il fut un fervent combattant anticolonialiste, un défenseur des droits de l'Homme et des cultures indigènes et un artisan de la future indépendance de l'Irlande.
Le roman débute en 1916 à Pentoville, près de Londres, Roger Casement vient d'être condamné à mort pour haute trahison. En effet, sa volonté chevillée au corps d'oeuvrer pour l'émancipation de l'Irlande, l'a conduit à pactiser avec l'ennemi allemand, crime impardonnable aux yeux d'un Empire Britannique englué dans les tranchées de la première guerre mondiale. En isolement total, dans sa cellule, le condamné se remémore les étapes cruciales de sa vie.
En tant que jeune homme idéaliste d'origine irlandaise, il a 20 ans en 1884, quand il se joint, en tant que consul, à une expédition au Congo dont fait également partie le célèbre aventurier des terres africaines : Henry Morton Stanley. Sur place il assiste à l'exploitation du caoutchouc dans les forêts du Congo, alors propriété du roi Léopold II de Belgique. Au fil des ans, il ne peut que constater les effroyables conditions de vie des peuplades autochtones, considérées comme esclaves par les colons qui n'hésitent nullement à les torturer, voir à les assassiner quand les indigènes ne rapportent pas les quantités exigées. Ulcéré par cette barbarie sans nom, Roger Casement écrira un rapport qui fera grand bruit dans l'Empire Britannique.
En 1910, maintenant diplômate du Foreign Office, Roger Casement se voit confier la mission de se joindre à une commission d'enquête sur des assassinats commis sur des autochtones dans des exploitations d'hévéas à la frontière entre le Brésil et le Pérou, où opére une compagnie anglaise, côtée à la bourse de Londres : la Peruvian Amazon Compagny. Là aussi, Roger Casement fera l'amère constatation que le sauvage n'est pas celui que l'on croit, que l'argent roi peut acheter toutes les consciences et que la violence est sans limite quand le profit prime avant tout. De surcroît, par effet papillon, la corruption s'étend à tous les niveaux de la société dans les régions d'extractions.
De retour en Angleterre, écoeuré par toutes formes de colonialisme exacerbant l'âme noire des colons, il prend conscience que son pays natal vit lui aussi sous le joug de la botte britannique. Dès lors, il n'aura de cesse de tout mettre en oeuvre pour obtenir l'indépendance de l'Irlande, sans trop réfléchir à la méthode employée.
Non seulement Mario Vargas Llosa exhume une fascinante et contreversée figure historique, mais il déploie un talent fou pour la replacer exactement dans son époque. Egalement avec maestria il pénètre dans l'âme de Roger Casement, nous dévoilant l'entièreté de ses tourments, de sa personnalité, de ses attirances, sexuelles ou intellectuelles. Au final, il en ressort un homme intègre et passionné, portant au plus haut les valeurs d'un humanisme universel, néanmoins, sa volonté politique irréfléchie le conduira à une disgrâce auprès de ses plus chers ami(e)s.
Par delà la vie d'un homme, Mario Vargas Llosa pose devant nous l'atroce réalité de notre condition humaine. Comment le profit idôlatré peut-il transformer un homme en monstre sanguinaire ? L'économie libéral permet-elle tout ? Doit-on accepter que notre confort dépende du sacrifice de millions de vies humaines, même s'ils sont à l'autre bout du monde ?
Ce roman dérange, ce roman nous tend un miroir. Ne rien dire, ne rien changer à sa vie n'est-il pas un signe flagrant de collaboration au système ?
Publié en 2010, cette biographie nécessita une énorme documentation. Mario Vargas Llosa, qui obtient le prix Nobel de littérature la même année, dut faire un travail formidable de recherche pour s'immerger à ce point dans la tête de Roger Casement. Je salue son travail qui permet de faire ressurgir des abysses du passé un homme de valeur, quelqu'un de bien, tout en ne gommant pas ces errements liés à l'indépendance de l'Irlande. En chaque homme ou femme, il y a toujours une part de contradiction. Vivre avec des exigences morales est si difficile dans un monde si cynique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire