30 sept. 2016



HAÏKU   Partie XIX

°°°°°°°°°°°°°°°°°

mille lucioles au jardin
écho nocturne
mille étoiles au ciel

une goutte de rosée
une fourmi l'aperçoit
puis s'y baigne

sur la berge je cogite
mes pensées noires
chutent au fond de l'eau

de m'avoir soulevé la robe
et glacé les jambes
je gifle le vent fripon

midi approche
un souvenir
midi recule

27 sept. 2016


" Inch Allah Tome 3 : Les cinq quartiers de la Lune "  de Gilbert Sinoué  14/20


A partir de l’ignominieux attentat contre le World Trade Center de New-York le 11 septembre 2001, une seule question se pose : Comment vont réagir les Etats-Unis ? Dans l'attente, le monde entier tétanisé retient son souffle, les yeux fixés sur un horizon qui ne peut être que noir de désespoir. Désormais, plus rien ne sera comme avant. Une chose semble certaine : les voraces forces du mal, orientales ou occidentales, défigureront à jamais le visage d'une humanité qui n'en avait nullement besoin.  

Dans ce nouvel acte tragique de l'histoire du monde, Gilbert Sinoué précipite ses personnages de confessions diverses dans les turbulences sanglantes de l'histoire récente. Autant de destins qui, du jour au lendemain, vont se fracasser sur les murs de la bêtise et de l'incompréhension. 

Deux visions aux antipodes s'affrontent : l'archaïsme d'un islam en prise avec ses extrémistes religieux et l'arrogance d'un occident imbu de sa personne. Devant tant de folies, il ne peut y avoir aucun vainqueur, et seules les cendres des illusions irrémédiablement perdues seront à partager. 

Les douleurs ineffables d'une population arabe et/ou musulmane démembrée et broyée, monteront en plaintes ininterrompues vers les cieux habités ou pas, par un hypothétique Dieu d'une criante surdité.

L'ambition de Gilbert Sinoué est certes louable, cependant vouloir traduire le parcours de plus de 20 personnages principaux, ballottés par la folie du monde, en 300 pages, relève de la gageure ! Comment une empathie peut-elle prendre forme avec une exposition si courte de ces protagonistes, d'autant qu'une bonne partie du récit est une description factuelle des faits ? Sans oublier que l'ensemble est grossi artificiellement par une foultitude de pages aussi blanches qu'inutiles. S'agit-il d'une manipulation mercantile ? En tout cas, l'arnaque financière n'est pas loin !

Néanmoins, la grande partie du fond historique, avec son contexte géopolitique et inter-religieux (notamment l'éternel conflit Sunnite/Chiite), nous rafraîchit intelligemment la mémoire.
D'autant que l'actualité d'aujourd'hui et de demain découle toujours de cette période, et malheureusement pour longtemps encore.

A faire lire à tous ces fanatiques de l'obscurantisme religieux, sans oublier les hystériques foudres de guerre, histoire de les mettre devant leurs contradictions et la cruelle absurdité de leurs propos et de leurs actions, aussi irresponsables l'une que l'autre.

A noter un anachronisme choquant : quand en mai 2005, un personnage déclare : Aujourd'hui, c'est un président black qui occupe la maison blanche. On est un peu interloqué une coquille aussi grossière !

Néanmoins, ce roman reste un passionnant et excellent livre trop vite lu, qui aurait mérité une densification notoire de tous ces protagonistes, afin de crédibiliser des parcours de vie concomitant à un puissant roman. 



23 sept. 2016


HAÏKU   Partie XVIII

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

sur un chemin caillouteux
une fourmi
escalade... une montagne

chercheur de brillants
attendez la nuit
mille diamants au ciel

chaise vide
trou au coeur
hiver triomphant

éteins ta bougie
et tes yeux
tes rêves s'allument

mort du jardinier
l'épouvantail pleure
rosée au matin

19 sept. 2016



" La leçon d'allemand " de Siegfried Lenz  14/20


Enfermé dans une prison pour jeunes délinquants située sur une île de l'Elbe, en aval d'Hambourg, Siggi Jespen est puni sévèrement pour avoir rendu une copie vierge lors d'une épreuve de rédaction. Paradoxalement, c'est justement parce qu'il avait pléthore à raconter sur le sujet " Les joies du devoir ", que Siggi n'a pas su par où débuter !

Mais à l'ombre de ses quelques mètres carrés, le temps infini à disposition lui fera noircir de nombreux cahiers, afin de revivre en longueur les événements qui ont bouleversé sa jeune vie.

Son père, officier de police à Rugbüll, petit bourg accroché au bord de la mer du Nord, est contraint en 1943 de faire appliquer les lois iniques du Reich, notamment en interdisant au peintre Max Nansen de pratiquer son métier d'artiste.

Dans le dos de son père, qui voudrait s'en faire un allié, Siggi devient peu à peu l'ami du peintre, et va l'aider à protéger ses oeuvres, jusqu'à ce que cela devienne obsessionnel.

Ce roman s'articule d'abord autour d'une résistance opiniâtre au régime nazi, concrétisée par le caractère inflexible du peintre, puis par le refus obtus de Siggi face à l'autorité paternelle. L'incompréhension, face à l’attitude inepte de son père se répercutera lourdement sur ses agissements et sur son avenir. Une parenthèse pour préciser qu'il y a eu des allemands pour dénoncer l'infâme politique nazie. Beaucoup d'entre eux y ont laissé leur vie, à l'instar de Sophie Sholl, l'étudiante contestataire guillotinée le 22 février 1943 à Munich.  

Ce récit est un hymne à la puissance créatrice de l'artiste, celle qui modèle son oeuvre, pleine de vibrations, de possession, de fulgurances, face à l'étroitesse d'esprit d'un pauvre hère, représentant basique d'un état totalitaire enchaîné à ses peurs. Le peintre résume cela par une phrase forte : Ce qu'il y a dans ma tête, vous ne pouvez le confisquer

Siegfried Lenz offre une place de choix à la nature qui devient, sous sa plume inspirée, un personnage à part entière vivant et caractériel. D'ailleurs le paysage austère du nord de l'Allemagne conditionne les habitants, leur forge un caractère âpre et rugueux. Les couleurs de la mer, du ciel et de la terre se mélangent pour accoucher de nuances grises, tirant sur le vert sombre et le brun terreux. Entre la terre et la mer, il y a le watt : une zone sableuse et marécageuse qui bat tel un coeur au rythme des marées ; sur terre, résistants aux éléments souvent âpres : des aulnes, des pommiers, des haies d'aubépine s'accrochent à cette région peu hospitalière. Mais laissons l'auteur le dire avec ses mots : La neige, la pluie, le ciel au-dessus de la mer du Nord nous en promettait davantage encore ; et l'échéance était proche à en juger par le souffle furieux qui poussait à notre rencontre ce banc de nuages sombres d'où pendaient des haillons blanchâtres.

Les chapitres, aux nombres de 20, sont chacun comme une histoire à eux seuls, voire une nouvelle. L'écriture est brillante, fine et ciselée, admirable de précision, trop peut-être, car jamais dans la concision. Malgré tout, il s'en dégage une maîtrise totale, digne d'une vraie oeuvre littéraire ; d'où le fait qu'elle se mérite, qu'il faut parfois forcer la porte, y mettre un pied franc et vindicatif pour l'empêcher de se refermer, tant la densité du texte peut faire peur à des lecteurs friands de lecture facile. Mais il y a du bonheur à parcourir certaines pages magnifiquement écrites.

Cependant, après avoir fermement gardé le cap pendant les trois-quarts du roman... je me suis perdu, désespérément perdu dans un labyrinthe de digressions qui ne sont pas essentielles au récit. Il est terrible qu'après avoir aimé la plus grande partie du livre de se voir esseulé dans une forêt touffue et sombre, à essayer de déterminer où est le nord !

Bref, ce roman est un beau livre sur l'esprit d'opposition et de rébellion, écrit avec brio, plein de passions picturales, où on entend presque parler la nature, mais qui aurait gagné en luminosité avec un élagage judicieux de quelques longueurs nonchalantes, sinon languissantes.


15 sept. 2016


HAÏKU   Partie XVII

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au coeur de la nuit
deux yeux !
le bruit de la peur

lecture à l'ombre
une libellule
tourne la page

un fleuve jaune
partout en cru
l'été enfin !

mélodie d'autrefois
toujours en moi
- nostalgie

la jeunesse s'impose
le passé l'indiffère
son obsolescence est programmée

8 sept. 2016


" Expo 58 "   de Jonathan Coe   15/20


Londres février 1958, Thomas Foley travaille depuis 12 ans au ministère de l'information, lorsque ces chefs lui proposent de participer à l'Exposition universelle de Bruxelles en tant que superviseur du Pavillon Britannique, et plus particulièrement de son pub, le Britannia, censé refléter la culture britannique.

Marié et père depuis peu, Thomas est tenté par cette proposition atypique de six mois, mais sa femme Sylvia se voit déjà comme une épouse délaissée, d'autant que sur place où se brasse toute la population mondiale, tout peut arriver !

Cependant, derrière cette fête réunissant les grands pays d'Europe et du monde qui se sont écharpés treize ans plus tôt, une autre guerre, plus froide, est en pleine action, souterraine et implacable.

Sur place, c'est toute une galerie croustillante de personnages atypiques qui se côtoient : Chersky, un soi-disant journaliste russe, Tony, le spécialiste scientifique de la machine ZETA, Anneke, la belle hôtesse belge qui va devenir... Mais chut, ne dévoilons pas trop de choses, de cet original roman d'amour et d'espionnage !

Jonathan Coe, sans avoir l'air d'y toucher, réfléchit sur le sens de nos vies. Que voulons-nous vraiment ? Etre libre, suivre son propre libre arbitre et profiter des plaisirs impromptus de l'existence ? Ou suivre des règles strictes, marcher dans les clous, s'appliquer à ne jamais franchir les bornes, afin de n'avoir rien à se reprocher ? Opportunité ou convenance ? Terrible dilemme que chacun de nous gère avec plus ou moins de compromission. Louvoyer est souvent une voie d'échappatoire ! Tels seront les choix s'ouvrant devant la conscience de Thomas Foley.

Parmi les protagonistes, deux agents anglais, Radford et Wayne, font automatiquement penser, par leurs dialogues cocasses, aux inspecteurs Dupont et Dupond, des bandes dessinées d'Hergé. D'ailleurs, l'enracinement de la narration visant le Bruxelles de 1958, et proposant pleins de décors très BD avec sa myriade de personnages bien plantés, n'est sûrement pas dû au hasard, et vise peut-être à être aussi un véritable hommage assumé à Tintin. D'où peut-être mon plaisir évident à cette lecture burlesque et distractive, tout en gardant une part non négligeable de véracité.

Derrière l'apparent sérieux des situations, une grande et folle légèreté de ton cherche à transpirer par tous les pores du roman, fidèle à l'humour so bristish, c'est d'ailleurs l'un des autres grands atouts de ce livre.

" Expo 58 " est un petit plaisir sans prétention, où humour et tragique se mêlent, pour avant tout, essayer de divertir intelligemment son lectorat, et c'est gagné !


5 sept. 2016


HAÏKU   partie   XVI

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volcan en furie
nuage de feu
la vie avale la vie

nos vies
un battement de paupière
pas de temps à perdre

volutes de fumée
éphémères nuées
sculptures d'arabesques

montagne de tristesse
océan de larmes
le monde des humains

assailli par le néant
rongé par la bêtise
le temps s'enfuit


2 sept. 2016



" L'arbre du pays Toraja " de Philippe Claudel   12/20

Arrivé à la mi-temps de sa vie, Philippe Claudel, cinéaste et écrivain, est un homme grandement blessé par la disparition prématurée de son meilleur ami et producteur. Il prend la plume, le temps de réfléchir, de s'interroger, de se baisser pour cueillir les fleurs du mal, les analyser, leur faire dire ce qu'elles n'avouent jamais. Comment accepter la mort de son ami ? Est-il possible de la traduire en un avenir acceptable ? D'avancer sans lui ? Dès lors le roman entre dans le domaine philosophique. 

Philippe Claudel tente d'appréhender ce concept absurde et abscons qu'est la mort au sein de nos sociétés modernes, comme celles archaïques du pays Toraja d'Indonésie, où un arbre creusé sert de sépulture aux enfants décédés. L'homme referme la petite tombe par un entrelacs de branches vivantes du même arbre, et, les années passant, l'ouverture se clôt entièrement, et le petit humain finit par faire partie intégrante du végétal, telle une renaissance de l'enfant au travers de la prospérité de l'arbre. Une manière intelligente de tromper la mort, de s'en affranchir, de la métamorphoser en une autre forme de vie, au final de concevoir la vie tel un long fleuve infini, qui coule sereinement vers ailleurs, emportant toutes ces âmes vers l'océan des possibles !

Le roman est truffé de parenthèses, de méditations sur son métier de cinéaste, sur le hasard de ses rencontres, sur son engagement amoureux, le vieillissement des corps, sur la relation à l'autre, et sur la force de la littérature, celle qui guérit l'âme des tourments de la vie. 

Vu le sujet on aurait pu logiquement s'attendre à un roman plombant, ouf il n'en est rien. Derrière le mur sépulcral, la vie fourmille de partout, au travers des infirmières, de son ex-femme, des acteurs qu'il fréquente, de sa voisine d'en face, etc...

Je l'ai ressenti comme un livre qui magnifie l'amitié, la vraie, la pure, celle qui enthousiasme, celle qui laisse un abîme quand elle n'est plus, fauchée par la mort, mais qui laisse un souvenir imputrescible.

Malgré tout, l'ensemble peut paraître un peu décousu, d'autant qu'il y a des trous, des ellipses, comme une succession d'images aux liens distendus, effilochés. J’aurais aimé voir un chouilla plus de matières consistantes, plus de liants, notamment quand il évoque cette civilisation indonésienne, sans approfondir l'idée, on reste inévitablement sur sa faim avec ce qui donne son titre au livre, ce fameux arbre du pays Toraja. C'est comme un repas littéraire qui débute avec une magnifique entrée, mais dont les plats suivants ne sont plus à la hauteur du premier. Philippe Claudel aime survoler, montrer mais ne pas démontrer, c'est fâcheux ! 

Néanmoins, ce livre a un intérêt essentiel celui de se questionner sur la mort, donc sur la vie. Même si les réponses peuvent laisser dubitatifs par leur nombrilisme et leur cliché passe-partout. Cependant, au fond, qu'est-ce-que cela signifie vraiment " Etre vivant " ? Chacun à certainement son propre avis, sa propre réponse.