26 janv. 2017



" L'homme à l'envers " de Fred Vargas   16/20



Dans la parc du Mercantour des brebis meurent égorgées, près du village de Saint-Victor. Sans doute victimes innocentes des loups revenus s'approprier la région, d'autant qu'ils sont protégés par l'état et qu'ils en profitent et en abusent en toute liberté, me direz-vous. Certes, mais les mâchoires de la bête semble démesurée. Un loup de grande taille en serait-il en cause ? Ou après tout, peut-être s'agit-il d'un terrible loup garou ? Allez savoir bonnes gens, les légendes ancestrales ont la vie dure ! L’inquiétude puis l'angoisse s'installent rapidement dans les vallées avoisinantes, d'autant qu'une vieille bergère, grande gueule au grand coeur, vient d'être retrouvée déchiquetée à son tour. S'il s'en prend à l'homme, la bête est vraiment redoutable ! Une battue est menée, puis plusieurs, mais rien n'y fait, la supposée bête du diable reste introuvable. 

Camille, une ancienne amie du commissaire Adamsberg s'étant sédentarisée dans la région avec Lawrence, un copain canadien spécialiste des grizzlis et passionné de loups, fait finalement appelle à lui, après avoir mené ses propres recherches et être restée dans l'expectative.

Impossible de vivre sa vie de lecteur addict sans qu'un jour ou l'autre un premier Fred Vargas vous tombe dans les mains. Le hasard a voulu pour moi que ce soit celui-ci. Est-ce un bon début ?
Quoiqu'il en soit, je viens de découvrir enfin cet atypique commissaire Adamsberg à l'humeur équanime, qui ne s'inquiète jamais de quoi que ce soit. Tout semble passer sur lui, sans que l'homme s'en offusque. Un patient et un contemplateur qui aime réfléchir dans le brouhaha d'un pub irlandais et parisien. Même si sa présence dans ce livre se fait un peu attendre (comme tout grand homme). Son arrivée, bien que débonnaire et séraphique, remet du grain dans la machine et accroît notre plaisir de lecture.

Avec ce roman Fred Vargas remet au goût du jour le mythe indémodable du loup garou ou de la lycanthropie. Certainement avec l'envie sous-jacente de faire frisonner son lectorat. Malheureusement, avec moi cela n'a pas marché, néanmoins ce n'est pas grave, l'intérêt de ce livre est très largement ailleurs. Notamment dans les portraits pour le moins originaux et baroques sinon totalement barrés qu'elle construit avec une vraie délectation, cela se sent, cela se devine. Et c'est tant mieux, d'autant que l'on a l'embarras du choix, avec entre autre " Le veilleux " celui qui est en charge de surveiller les troupeaux, capable de passer la nuit à veiller sans lassitude sur tout ce qui peut-être veillé ! Il y a Lawrence, l'ami de Camille, qui parle avec une économie presque écologique de mots, et qui trouve que tout pue, même les gendarmes, alors que dire des élevage de brebis où règne une épouvantable odeur de suint ! N'oublions pas Suzanne, une éleveuse qui injurie à tour de bras, considérant tous les habitants de Saint-Victor comme de foutus connards ! Sans oublier son fils adoptif, Soliman Melchior Diawara, qui ne lit qu'un seul livre : le dictionnaire ! Une brochette de personnages inoubliables !

Et puis il y a ces merveilleux dialogues improbables venus d'on ne sait où, peut-être ont-ils une parenté avec les célèbres " Brèves de comptoir " de Jean-marie Gourio, en tout cas ils font sourire et déconcertent de par leur improbabilité. Un régal !

L'écriture a priori simple, le burlesque des protagonistes et le côté loufoque des situations, m'ont fait tirer des parallèles limpides avec l'écrivain finlandais : Arto Paasilinna, maître dans le domaine de l'extravagant. Puis la capacité à surprendre son lectorat par une révélation finale saisissante, m'ont aussitôt fait songer à l'efficacité de Michel Bussi, reconnu pour ses intrigues diaboliques.

Pour conclure, ce roman se lit d'une traite, amuse intelligemment, distrait plaisamment, et surprend astucieusement, quoi demander de plus à un polar à part de faire peur ?


24 janv. 2017


HAÏKU   Partie   XXXIV

°°°°°°°°°°

loi de la nature -
mer vorace
dévore la falaise

la tempête
caresse la baleine
et noie le poisson

folle araignée
avec sa toile carré
elle file un mauvais coton

une goutte de pluie
douche l'abeille
et noie le puceron

bonbon nu
tout collant
du désir de la pluie


22 janv. 2017





" Le philosophe qui n'était pas sage "   de Laurent Gounelle   8/20

Professeur de philosophie à l’université de New-York, Sandro est meurtri depuis que sa femme a trouvé la mort lors d'un voyage journalistique en plein coeur de la forêt amazonienne. Elle était partie pour étudier les modes de vies d'une peuplade entièrement coupée de toute civilisation, vivant heureuse, et ayant tous ses désirs comblés par la Dame nature. Dévasté par le décès de sa femme, Sandro est certain qu'il ne recouvrera jamais la paix intérieure, sauf en partant sur place faire souffrir ce peuple des forêts, à la hauteur de son besoin de vengeance. Pour cela il fait appelle à une poignée de mercenaires...

Le seul véritable intérêt de ce roman se niche dans la technique sournoise et insidieuse, amenée par l'étranger (Sandro et ses mercenaires), afin d'asservir et de détruire les bases harmonieuse de la culture des indigènes. Toute la panoplie toxique et mercantile de nos sociétés modernes prend place dans ce cadre paradisiaque pour le parasiter sous un goutte à goutte fallacieux, donc fortement maléfique et hautement délétère. Pêle-mêle, ces pauvres "sauvages" goûtent aux déplaisirs du monde contemporain : le désir jamais assouvi de possession d'objets, le sentiment de jalousie, la convoitise de tout, le besoin incessant d'informations, la conviction qu'il faut se protéger de l'autre, bref l'insatisfaction totale. Toutes ces tares de nos sociétés seront semées avec une ingéniosité malsaine sur ce brave peuple, créant artificiellement une immarcescible dépendance, et par voie de conséquence, initialisant un vertigineux chemin de désespérance. Forte dénonciation allégorique de notre monde. 

Heureusement, il y a la troublante Elianta, la quasi chamane du village, elle comprendra vite les futurs dangers qu'amèneront inéluctablement les bouleversement en cours. Mais telle une Cassandre, personne n'écoutera son message de méfiance, son village préférant suivre des chimères plutôt que d'entendre la voie de la raison, la voie d'un consumérisme effréné.

Cela suffit-il pour faire un bon roman ? Le simple fait de poser la question, engendre un mécontentement. Car pour imposer sa démonstration, Laurent Gounelle se permet tous les raccourcis possibles, niant avec force la sagesse inhérente à tout philosophe. Trop d'approximation, trop de simplicité m'ont fait voguer vers l'ennui, d'autant qu'une négation patente de littérature n'a rien fait pour créer un climat avenant. Il faudrait certainement plus parler de conte... et peut-être même d'essai... voire encore de satire (démagogique par essence) dans une tentative de qualification de cette histoire cousue d'une profusion de fils blancs !

Néanmoins, tout ceci n'est que mon avis, c'est à dire bien peu de choses. Et si certaines personnes y ont pris beaucoup de plaisir, je n'y ai rien à redire. Il faut pléthore de sensibilités pour faire un monde hétéroclite.

En revanche, l'illustration de première de couverture enchante les yeux, à l'inverse d'un titre dont l'euphémisme est confondant de naïveté... quand on connaît l'histoire !



20 janv. 2017


HAÏKU   Partie XXXIII

°°°°°°°°°°°°

l'ours a faim
dans la rivière
les saumons nagent au fond

le vent ne souffle plus
prisonnier
du talus de ronces

entre matin chagrin
et espoir du soir
l'araignée file le temps

boussole de l'océan
avec cinq points cardinaux
l'étoile de mer

en noeud marin
l'araignée de mer

créée sa toile salée


12 janv. 2017


" Martin Eden "  de Jack London   18/20


Peu après 1900, à Oakland en Californie, Martin Eden sauve d'une bagarre mal engagée Arthur Morse, un jeune homme issu d'une famille bourgeoise de San Francisco. Pour le remercier, Arthur l'invite amicalement chez lui. Ruth, la soeur d'Arthur, fera forte impression aux yeux de Martin, qui, par amour, décidera de changer radicalement de vie. En effet, Martin n'est qu'un simple marin de 20 ans, aux larges épaules, aux bras musclés, grand bourlingueur au long cours, passagèrement alcoolique et ne concevant de conclure une soirée au bar sans une bonne bagarre. Venu des bas-fonds de la ville, il devra métamorphoser sa vie pour avoir une chance de susciter concrètement le désir de la belle. 

Par amour donc, puis par passion du savoir de la littérature et de la poésie, Martin va plonger, tel un forcené, dans une longue période d'apprentissage. Autodidacte stakhanoviste, ne dormant que cinq heures par nuit, et vivant comme un misérable acharné à sa table de travail, il s'élèvera culturellement, au point d'être capable d'écrire poèmes, essais et romans. Cependant, le monde obtus de l'édition est-il prêt à lui offrir cette planche de salut ? La capricieuse voix du succès viendra-t-elle couronner tous ses louables efforts ?

Comment ne pas compatir avec ce jeune marin affamé de reconnaissance sociale et doté d'une volonté hors norme, prêt à sacrifier plusieurs années de sa vie à trimer quasi nuit et jour sur le large nuancier de la culture mondiale, allant de la philosophie à la biologie, en passant par l'histoire politique et les théories évolutionnistes ?

Lors de ces pérégrinations culturelles, il devra affronter le monde interlope de la presse, de l'édition et de la haute bourgeoisie, découvrant avec dégoût la vacuité de ces milieux. L'analyse de la société américaine du début du XXème siècle s'avère être une machine à broyer toute ambition atypique, venue dont ne sait où, pour grandir on ne sait comment ! Mais la norme est de rigueur. Contre vents et marées, vouloir changer sa place sur l'échiquier social relève de la gageure. Parlez du côté indémodable de cette oeuvre relève du cliché, certes, mais la résurgence de la paupérisation mondiale en est un écho assourdissant.

L'histoire d'amour entre Ruth et Martin risque fort de s'écorcher au mur pleins d'aspérités des conventions. Car non seulement Martin devra subir longtemps le mépris des bourgeois pour la fatalité de ses origines, mais pire, ses anciens amis ouvriers le prendront pour un traître. Dés lors, vivant presque esseulé, peu d'hommes ou de femmes auront droit à sa considération : Joe Dawson, chef de Martin dans une laverie, mais surtout compagnon de misère, choisissant au final la route plutôt que l'exploitation ; Russ Brissenden, un poète radical tuberculeux et riche, n'espérant rien de qui que ce soit, honnissant ce monde de corrompus et de cloisonnement ; et Lizzie Connolly, une jeune femme blasée de la vie, fortement éprise de Martin, qu'elle aime pour ce qu'il est vraiment : un homme bien.

Trempant sa plume dans le fiel, avec malice, Jack London dénonce l'hypocrisie des hommes si avides d'exploiter leurs semblables, en leur refusant toute considération, surtout si l'olibrius est en plus d'une origine plus que modeste. Mais si, par un effet de mode sans fondement véritable, une reconnaissance tangible se profile à l'horizon, l'auteur n'a pas son pareil pour pointer d'un doigt révolté la versatilité d'un monde qui monte sur un piédestal de feu n'importe quel quidam, superficiel ou pas, avant de le glacer sans vergogne dans les froidures de l'oubli.

Jack London nous livre, avec ce héros au génie incompris, son roman le plus sublime, le plus abouti, et certainement le plus autobiographique, d'où cette sensation patente de chef-d'oeuvre absolu. 
Que dire de plus ?



HAÏKU   Partie XXXII

°°°°°°°°°°°°°

visiteur de l'hiver
sans peur du jardinier
le chouette rouge-gorge

aiguilles de glace
pendues aux gouttières
les dents de l'hiver

barrière en bois
est tableau
au pinceau du givre

paysage hivernal
tout blanc
de poussière froide

rouge-gorge affamé
reluque les petits vers
perché sur ma botte



9 janv. 2017


HAÏKU   Partie XXXI

°°°°°°°°°°°°°

volutes d'écume
pétrifiant les arbres
miracle du givre

nuit glaciale
regard aux étoiles
scintillement infini

sur la colline de sapins
le brouillard se couche
arrêtant le temps *

le sapin sans épine
annonce la galette
et sa fève cachée *

gel enfui
étirement de lumière
au pied du printemps *

*Créé d'après l'idée d'une libraire nommée Virginie.



5 janv. 2017


" Tu tueras le père "  de Sandrone Dazieri   18/20

Kidnappé à l'âge de six ans, Dante Torre a grandi enfermé dans un silo à grains. Son emprisonnement aura duré 11 ans, car un jour il parvient à s'échapper et à recouvrer enfin une liberté inespérée. Pendant toutes ces années, son seul contact avec le monde extérieur fut un énigmatique geôlier qui souhaitait que Dante Torre l'appelle " Le Père ". Seulement les traumatismes psychologiques subis par ce jeune homme de 17 ans sont écrasants, au point qu'il ne peut plus vivre désormais qu'à l'extérieur, où du moins dans un logement possédant de grandes vitres.

Vingt cinq ans plus tard, dans les environs de Rome, un homme en short, alarmé et désespéré essaie de stopper les véhicules d'une départementale. Son fils Stefano, âgé de 8 ans, ainsi que sa femme ont disparu lors d'un inoffensif pique-nique. Peu de temps après, le corps décapité de sa femme sera retrouvé dans une clairière.

En congés forcés après avoir subi un choc plus un trauma, la commissaire Colomba Caselli se voit confier non-officiellement l'enquête par son supérieur qu'elle apprécie : M. Rovere. Il lui conseillera de se faire assister par un spécialiste en disparitions d'enfants, un certain Dante Torre !

Ce polar est sans contexte addictif, difficile de ne pas céder à la tentation de le lire d'une traite, malgré ses 724 pages. D'autant que l'absence de temps mort et la succession ininterrompue de révélations font tout pour conduire le lecteur lambda dans une irrépressible frénésie de lecture. Quant à l'écriture d'une fluidité précise et dynamique, elle accentue encore l'élan du lecteur. Addict vous dis-je derechef !

Sans conteste, le côté bigrement attachant de ce thriller est le couple baroque que forme la commissaire Caselli, sportive musclée aux yeux verts et plutôt casanière, et Dante Torre, grand homme tout chétif, fuyant tout lieu fermé, détruit autant physiquement que psychologiquement. Ces deux éclopés de la vie, ces deux 

êtres esquintés et meurtris par des épreuves hors-norme, chercheront une sorte de résilience dans le sport et son amour de Rome, pour elle, dans la documentation et la réflexion, pour lui. Naturellement, au départ ce couple atypique aux caractères si opposés semble trop improbable pour réellement fusionner, mais leur passé commun de fracassés de l'existence va finir par les réunir dans une osmose quasi parfaite. Dès lors leur duo va se muer en une efficace arme de prospection. Redoutable, mais elle doit l'être face à un ennemi effroyable qui semble posséder le don d'omniscience !

Justement, autre personne centrale : Le Père ! Celui dont l'ombre glaçante s'avère suivre pas à pas notre binôme, tel un rôdeur obstiné qui hante, avec notre plus grande délectation, les pages sombres de ce roman.

Sous l'intrigue aux multiples facettes, apparaît en filigrane le monde interlope de la recherche pharmaceutique, des relents de guerre froide et de ses terrifiants excès, notamment lors d'expériences sondant les confins de l'âme humaine. Nos deux enquêteurs seront confrontés à leur propre peur, et à la notre par la même occasion. 

Je me dois de surligner la force narrative qui nous fait déployer une empathie naturelle à l'égard du duo, doublée d'une réflexion sur la façon de faire face à l'adversité d'un vécu hautement douloureux, cherchant une résilience dans une catharsis libératrice. Là, on est au-delà d'un simple polar, une dimension supplémentaire se dégage pour rester gravée dans notre mémoire, et pour longtemps.

J'émets juste un léger bémol concernant les explications finales, car autant la trame de l'enquête est d'une efficacité sauvage, autant les vraies raisons de l'origine du mal et sa mise en place restent dans un semi-brouillard, volontairement confuses ? Peut-être à l'instar de toutes les grosses affaires mêlant secrets d'état et lobbys puissants, et qui gardent toujours une part non négligeable de mystère. Comme-ci toute vérité nue est difficilement approchable.

On ne s’empêcher de faire un rapprochement légitime entre le prénom du héro, Dante, et Dante Alighieri, poète, écrivain, homme politique florentin du XIII et XIV ème siècle, auteur de la Divine Comédie, considéré comme le père de la langue italienne. Le lien entre les deux Dante, est évidemment leur visite de l'enfer, du purgatoire, pour enfin entrevoir le paradis grâce à une muse nommée Béatrice Portinari, chez l'homme du moyen-âge, et grâce à Colomba Caselli, chez Sandrone Dazieri. Sans oublier le titre Tu tueras le père, d'origine biblique mais adroitement retourné, qui rajoute une dose de désacralisation, louchant sur la part d'animalité qui reste gravée dans nos gènes. Rien n'est gratuit, tout est judicieusement pesé.

Pour conclure : Tu tueras le père est un polar haletant de grande facture et magnifiquement orchestré. Il saura vous scotcher jusqu'au point final bien trop vite arrivé, d'autant qu'une révélation ahurissante vient conclure la dernière phrase. A recommander fortement sans la moindre restriction ! Et quand je songe que ce n'est que la première partie d'une trilogie, j'en ai déjà des pétillements sous les doigts.

3 janv. 2017


" Le rocher de Tanios "  De Amin Maalouf  18/20


La reconstitution de la vie du héros débute par le retour au pays d'un vieux libanais exilé (Amin Maalouf ?), natif d'un petit village de montagne où les rochers ont un nom. L'auteur s'inspire des écrits Chronique montagnarde, nés sous la plume d'un moine nommé Elias de Kfaryabda, et de ceux d'un certain Nader auteur de La sagesse du muletier, puis des Éphémérides du pasteur Jérémy Solton, auxquels s'ajoutent les souvenirs d'un vieillard du village (ancien instituteur passionné d'histoires locales) nommé Gébrayel, et cousin du grand-père du narrateur.

Kfaryabda est un village des montagnes libanaises, autour des années 1820 y naît Tanios. Un mystère plane autour de sa naissance, fils de la très belle Lamia, de grands soupçons courent sur l'identité de son vrai père. Est-il le fils légitime de l'intendant du cheikh du village, Gérios, ou bien du cheikh lui-même, dont les frasques sexuelles sont pléthores. 

Tanios est un enfant curieux de tout, ardent et intelligent, en tout cas beaucoup plus que le fils officiel du cheikh, le jeune Raad, avec lequel il ira suivre les cours d'un pasteur anglais dans un école ouverte dans un village voisin. Puis l'amour naissant pour les yeux de la belle Asman fille de l'ancien intendant, Roukoz, licencié pour prise d’intérêt, l'entraînera dans un tourbillon de désastres qui finiront par engendrer un abîme de calamités. S'achevant dans un exil inévitable, après l'assassinat d'un patriarche religieux, avant un retour d'exil étonnant de sagesse et de maturité.

D'emblée l'écriture vous saute au yeux par sa beauté, sa magie, son harmonie : quel plaisir de laisser couler les mots, tel un fleuve tranquille, délicat, esthétique et équilibré, un absolu régal.

Prix Goncourt 1993, ce magnifique roman tourne autour d'un personnage célèbre du Proche-Orient Tanios. Mais a-t-il réellement existé ? Nul ne le sait vraiment, surtout dans une région réputée pour ces multiples contes et légendes. Peu importe après tout, car Amin Maalouf est doué pour nous décrire ce Liban du début du XIX ème siècle, dans un récit magique, plein de sagesse, de folie, de déchirements politiques sinon géopolitiques, issus d'une si belle région méditerranéenne de tout temps éprouvée par des tensions hégémoniques.

A partir d'un récit hypothétique, Amin Maalouf possède l'art rare et subtil d'agencer adroitement les pièces d'un puzzle, nées d'une succession de hasards malencontreux, afin de construire un tableau plein d'images d'une beauté désuète.

De son imagination fertile naissent de nombreux protagonistes hauts en couleur. Outre la belle Lamia, victime de sa beauté, Gérios, l'intendant infiniment obséquieux, qui saura relever la tête et retrouver sa fierté, il y a le personnage du pasteur, loin d'être là par hasard, il cristallise la première avancée des prétentions de la Grande-Bretagne au Proche-Orient. En effet, les chancelleries européennes étaient préoccupées à cette époque par un événement exceptionnelle : Méhémet-Ali pacha, vice-roi d'Egypte, avait entrepris de bâtir en Orient sur les ruines de l'empire ottoman, une nouvelle puissance s'étendant des Balkans jusqu'aux sources du Nil, contrôlant ainsi la route des Indes. Inadmissible pour les anglais ! Dès lors, ils feront tout pour prendre le contrôle d'une bande de terre s'étendant de Gaza à Alexandrette, en passant par Haïfa, Acre, Saïda, Beyrouth, Tripoli, Lattaquieh. Des noms grandement ensanglantés déjà du temps des croisades, mais malheureusement aussi dans une Histoire récente. D'où l'importance de la région montagneuse dans laquelle aurait vécu Tanios, involontairement au coeur d'incessants tiraillements. D'ailleurs, Amin Maalouf met en évidence la complexité de la situation libanaise, écartelée entre les luttes d'influence de tant de communautés, et de confessions religieuses. Une vraie tour de Babel, d'une richesse culturelle forte, inhérente à sa situation géographique et historique.

Entre conte et réalité, entre quête d'identité et recherche d'amour, entre exil et retour à la mère nourricière, Amin Maalouf signe une oeuvre brillante, portée par une écriture lyrique au charme oriental, digne des plus grands.

2 janv. 2017


HAÏKU   Partie XXX

°°°°°°°°°°°°°°

pire qu'une tige d'ortie
voyons voir
une branche de houx

dans l'if
le rosier pleureur
s'improvise grimpant

sur les brins d'herbe
la pluie joue
au toboggan

vent se lève
bruissement de feuilles
- chant de la nature

sur la rétine
de mon sommeil
belle silhouette