31 mars 2017


" Penser l'islam "   de Michel Onfray   18/20



      Sans s'arroger le droit de plaire ou de déplaire, Michel Onfray nous propose sa réflexion sur les attentats qui ont touché la France en 2015. Sa pensée, frappée au coin du bon sens, ne plaira pas à tout le monde, car elle ouvre une logique de raisonnement si simple, si pertinente et quasi inattaquable qu'elle nous fait reconsidérer notre passé, et notre présent, d'interventionnistes sélectifs. Car tant de pays, où les droits de l'homme sont illusoires (Chine, Corée du Nord, Cuba), ne vivent aucunement sous le risque d'une intervention militaire, alors que d'autres, arabes comme par hasard, subissent sans nuance, les foudres de nos va-t-en guerre.

      En décortiquant le Coran, sourate par sourate, Michel Onfray nous prouve que n'importe qui peut lui faire dire ce qu'il veut, tant les contradictions qu'il contient sont nombreuses : les appels aux meurtres ou la glorification de toute personne sauvant un homme. Il est simple de comprendre que selon ses ambitions, assassines ou altruistes, on peut tout justifier à partir de ce texte sacré. 
      A noter que cette constatation est également valable pour la bible, où dans les évangiles, même " le si pacifique Jésus " proclame : " Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix au monde ; je ne suis pas venu apporter la paix mais l'épée." Matthieu 10:34. 
      Là est le problème de tous ces écrits religieux, n'importe qui peut y trouver la légitimation de ses actions. Ces textes sont donc dangereux pour les fanatiques de tous bords.

      Avec une intelligence certaine, Michel Onfray met le doigt, sinon la main, là où cela fait mal. Il ouvre un débat essentiel que trop peu de personnes osent mener, avec une absence de discours convenus, synonymes de langue de bois. Même pour ses détracteurs les plus fervents, on doit lui reconnaître en toute honnêteté, une finesse, une acuité d'argumentation implacable. A lire absolument.


28 mars 2017



HAÏKU     Partie XXXXVI

°°°°°°°°

dents de silex
gencive de calcaire
- vivantes falaises

février à Yport -
fond de l'air frais
fond de l'eau aussi

pied de la falaise
léché par la mer
folle fétichiste 

canines et molaires
si haute si fragile
la muraille d'Etretat *


soir bleu
vents apaisés
- sérénité

* écrit d'après l'idée d'une libraire nommée Virginie



24 mars 2017


HAÏKU   Partie XXXXV

°°°°°°°°°

en robe de printemps
feuillée de papillons roses
éphémère magnolia *

après la pluie
pendue sur une branche
vertige d'une goutte

depuis son grand voyage
ses buis verts
je les taille en larmes

déclin général
fin d'une époque
parfum de roses fanées

je passe
suis déjà plus
trop tard pour dire *


* écrit d'après l'idée d'une libraire nommée Virginie

23 mars 2017


" Un homme effacé "   de Alexandre Postel 17/20

      Dans une ville imaginaire, Damien North vit tranquillement, presque timidement,  sa vie de professeur de philosophie dans une université huppée. Veuf, depuis que sa femme s'est suicidée, il mène sa vie de manière retirée, sans faire de vagues.
      Cette tranquillité bascule le jour où il est accusé d'avoir télécharger sur son PC des images à caractère pédopornographiques. Le prévenu a beau se savoir innocent, la machine infernale est en route, broyant tout sur son passage.

      Alexandre Postel décrit, avec acuité, l'appareil judiciaire et pénitentiaire, dont certaines dérives sont amplement inquiétantes. Malheur à vous, si vous avez la malchance d'être pris dans les mailles de ces filets là, d’autant que vous savez pertinemment être innocent. Parfois les rouages de cette machinerie vous rejettent à la figure vos habitudes de vie, qui prises une à une dans un contexte neutre sont anodines, mais sous le grossissement de la loupe d'une accusation perfide, peuvent s'avérer tragiques et diffamatoires. Quand l'engrenage juridique s'ébranle, il devient quasi impossible d'arrêter ce mouvement de rouleau compresseur.

      Le propos de ce roman, loin du monde scabreux de la pédophilie, est d'étudier les réactions d'un homme accusé d'un crime qu'il n'a pas commis, surtout si tout l'accuse. Donc de disséquer sa façon de réagir face à l'abject le plus avilissant, mais aussi de comprendre comment, petit à petit, la perception qu'il a de lui-même va être modifiée, et en symétrie, comment son entourage va réagir devant cet homme traîné dans la boue. L'auteur joue de cette altération sur tout ce petit monde, comme un chercheur qui étudierait la réaction d'un animal face à un stress.
      Puis, naturellement, la question se pose de savoir si on peut être définitivement blanchi d'une telle accusation face à son cercle familial et à ses amis. Un doute subsiste-t-il toujours ? La souillure est-elle toujours là ? Comme une empreinte indélébile. Définitivement.

      L'un des problèmes soulevés nage autour du processus de compréhension : on souhaite toujours qu'autrui nous comprenne, cependant soi-même, se connaît-t-on vraiment ? Une part de notre personnalité n'est-elle pas un mystère pour nous-même ? Qui sommes-nous vraiment ? Doit-on avoir peur de nous-même ? Sans en avoir l'air, ce livre triture et interroge nos propres existences.

      De bout en bout, la narration se déroule dans une atmosphère hitchcockienne, prenante et angoissante. L'écriture est précise et froide comme la justice.

      Un livre utile, forte fable morale, dont l'amplitude réaliste et rugueuse ondoie longtemps encore dans notre inconscient, après sa lecture.


20 mars 2017



HAÏKU   Partie XXXXIV

°°°°°°°°°

poirier au printemps
sur ses bras tordus
une neige florale

mille parfums
en offrande
au ciel bleu de mars

travail au jardin
tout tout près d'un houx
- séance d'acupuncture

premier soleil
seule envie
escapade printanière

nuit d'encre
seul bat
le coeur de l'église


17 mars 2017



HAÏKU   Partie XXXXIII

°°°°°°°°°

jour de tempête
des curieux sur la digue
- pluie salée

souffle chaud d'avril
caresse sensuelle
ah ! ce vent fripon

dès février
pauvre nuit
croquée par le jour

mille petits soleils
lucioles du jardin
les jonquilles

triste si triste
une journée
sans haïku

16 mars 2017


" L'homme-dé "   de Luke Rhinehart   13/20


      New-York 1968, le docteur Rhinehart est un jeune psychanalyste trentenaire qui a tout pour être heureux, malheureusement... il s'ennuie ferme. Il ne croit plus en son métier : trop d'efforts à fournir pour aboutir à un résultat si faible, si négligeable. Combien de personnes a-t-il réellement sauvées ? Même juste aidées un temps soit peu ? Très peu, trop peu, juste peut-être celles qui auraient de toute façon guéri seules.
      Outre son métier, sa femme Lillian, ses deux enfants et ses amis le laissent également indifférent, désenchanté par la banalité d'un quotidien trop routinier, un classique quoi !
      Un soir, amusé par un dé caché sous un papier, il formule mentalement six possibilités correspondant à chaque face dudit dé, certaines sages d'autres lubriques. Décidé de confier sa fin de soirée au hasard, il soulève le papier et découvre le chiffre du dé. Il réalisera ce que le dé lui ordonne. L'engrenage permissif s'enclenche alors, lui redonnant ainsi une nouvelle vraie raison de vivre, pleine d'étonnement et d'amusement, renouvelant sa palette d'émotions. Désormais, il confiera toutes ses décisions au dé, concrétisant ainsi ses désirs, ses envies, ses fantasmes les plus fous sans la moindre barrière moralisatrice. Son imagination fluctuante lui fera éprouver d'intenses émois, lui ouvrant des horizons inconcevables avant. Défricheur d'une nouvelle philosophie de vie, il bâtira peu à peu une religion inédite... le Dieu-dé ! Uniquement gouverné par le hasard, donc déresponsabilisant totalement tout individu de ses actes, puisque c'est uniquement le dé qui décide, lui seul est répréhensible. Peu importe les dérives inhérentes à ces nouvelles pratiques. Naturellement sa vie professionnelle et personnelle subiront un séisme profond. Mais en grand zélateur de sa théorie, Luke saura en convertir certains, en intriguer d'autres, faisant ainsi grandir sa secte d’idolâtres au Dieu-dé.

      L'intrigue posée, outre les scènes dramatiques, laisse parfois la place à des saynètes plutôt cocasses, où certains protagonistes, fascinés et amusés par les propositions les plus abracadabrantesques, acceptent de relever le défi et de se soumettre sans moufter à la décision toute puissante du dé. 

      Le roman est raconté par Luke Rhinehart à la façon d'un journal autobiographique, narrant certains épisodes, en éludant d'autres, la sélection des passages publiés se fait naturellement par la seule volonté hasardeuse du dé. La préface donne le ton : En peignant le comique de la vie comme de la haute tragédie, en décrivant les événements quotidiens avec le regard d'un fou, et l'homme amoureux du point de vue d'un savant. Et voilà ! N'ergotons plus sur le style. S'il arrive que le sujet et le style coïncident dans l'un quelconque des chapitres du présent livre, ne voyez là qu'un heureux accident, qui ne se reproduira pas de sitôt... (page 9) En joignant l'humour à cette optique dogmatique cela donne :  J'ai beau avoir aimé la plupart de mes rôles, j'ai beau aimé parler de tous, il est tout simplement impossible de les faire entrer dans le cadre d'un seul livre. Heureusement, que j'ai confiance dans le dé pour choisir une bonne sélection d'événements ; dans le cas contraire, si le lecteur s'ennuie, il n'aura qu'à jeter les dés deux ou trois fois afin de leur faire choisir un autre livre pour la soirée. (page 431)Voilà qui est dit. Le lecteur est prévenu qu'il met les yeux dans un ingénieux chaos, respectant juste l'ordre chronologique. Faut pas abuser quand même !

      Roman culte de la littérature américaine des années 70, ce livre ne peut laisser indifférent. Portant aux nues une façon de vivre pour le moins corrosive, l'auteur, de son vrai nom Georges Powers Cockcroft, nous propose le résultat de son propre vécu et de sa théorie toute personnelle sur nos sociétés qui aliéneraient l'homme, avec ses lois, ses codes de conduite et ses principes de bases, condamnant l'homme, par le conditionnement de son éducation, à une liberté moindre. En tout cas si réduite quelle ferait de l'homme un être sous forte influence, stérilisant et annihilant tout élan séditieux sinon révolutionnaire. Dès lors le hasard, par le truchement du dé, délivre l'homme de son carcan en l'autorisant à exprimer les multiples facettes cachées de sa personnalité. Assurément, avec ce concept pour le moins subversif, tout devient possible, le meilleur, mais aussi... le pire ! Quel rire, quelle joie dans l'irrationnel, le gratuit et l'absurde. Nous y aspirons, et cela jaillit de nous en dépit de toutes les limites de la raison et de la morale. Combien nous ragaillardissent les émeutes, les révolutions, les catastrophes. Et en sens inverse, qu'il est déprimant de lire jour après jour les mêmes nouvelles. Mon Dieu, si seulement il se passait quelque chose ; on veut dire : si seulement les archétypes pouvaient se casser la figure. (Page 183)

       Emporté par la toute puissante loi des dés, ce roman devient agréablement immoral, plaisamment dérangeant et jovialement subversif, poussant sans cesse les limites de notre acceptation... jusqu'à ce que notre conscience moralisatrice lève le drapeau rouge, horrifiée de l'aberration et des conséquences d'un tel comportement. Mais a-t-elle fondamentalement raison ? 

       En vérité, Georges Powers Cockcroft s'est emparé de son idée de base, et l'a poussée jusqu'au bout du bout, par esprit de défi, de dissonance et de provocation. Divisant, dans un grand tumulte volontaire, son lectorat : en adorateurs convaincus, obéissants et soumis, ou en farouches indignés, révoltés et scandalisés de telles inepties. Mais la question a-t-elle une réponse objective ? Notre monde doit-il être si amorphe que cela, aseptisé par une raison et une morale légitimes, si on veut vivre en harmonie et avec sérénité les uns avec les autres ? Quelle sorte de bonheur délivrerait cette société, au final, si on vivait sous le joug du dé suprême ? A vouloir s'y identifier, n'est-ce pas quitter un chaos ordonnancé, pour choir dans un autre, où tout est permis par un hasard si facilement déculpabilisant ? Pensez donc, les pulsions les plus profondes, les instincts les plus inacceptables (jusque-là non réalisés), pourraient sous l'excuse fallacieuse du dé trouver leur concrétisation la plus sordide. Sans foi ni loi. Anarchique au plus haut point. Chacun se fera son opinion.
      Car inévitablement, le sexe dans tout ses états est à la source des premiers souhaits proposer aux dés, et comme c'est le lanceur de dé qui formule les possibilités, on devine la suite. Mais contrairement à l'idée que je sentais sourdre après le sexe, l'idée de l'argent est peu traité, comme ne faisant pas partie des préoccupations premières de l'auteur. Puis, allant de dérive en dérive, inéluctablement, l'idée d'assassinat pointe le bout de son nez, comme le point d'acmé du récit, l'ultime aspiration, la revendication suprême d'un esprit dérangé.

      Certes le rôle de l'écrivain est de nous poser les bonnes questions, mais doit-il pour autant nous mâcher nos réponses ? En tout cas, sans son discours sulfureux, jamais ce livre n'aurait franchi l'épreuve des années, puisque publié en 1971, et jamais il ne serait devenu un livre culte, voire cul... te !

Alors, oeuvre très originale ou foutaise lyrique ?
Les deux mon commandant !

      Le texte se veut factuel, d'une écriture froide, sans concession, donc souvent glaçant de réalisme et troublant de logique. On sent que l'auteur y a mis tout son être, l'investissement y est absolu, implacable.

      Roman de folie, certes, surprenant et déconcertant le lecteur à chaque chapitre, mais où une schizophrénie malsaine et épidémique n'est pas loin de tous nous précipiter dans le gouffre de l'inconnu. Cet inconnu qui enivre certains, mais où d'autres n'y trouveront que suicide social et familial. A moins que tout ceci ne soit qu'une grosse farce, voilà tout !

      A lire, pour sortir des lectures d'eau tiède, puis à débattre... mais dans le calme, s'il vous plaît !

Bon... que vais-je lire maintenant ?
Et si je jouais cela au dé ?
Mince, c'est contagieux !




12 mars 2017


HAÏKU   Partie XXXXII

°°°°°°°°°

crocus fatigués
annoncent l'arrivée
de jonquilles solaires

vingt et un mars
hiver en exil
sous huées du printemps

siècle après siècle
goutte après goutte
naissance d'océans

en prison
grande absente
odeur de la mer

changement d'air
besoin d'air pur
ouvrir un livre


11 mars 2017



HAÏKU   Partie XXXXI

°°°°°°°°°°°

cortège hivernal
cloué au pilori
par le perce-neige

vent d'hiver
emmène seulement
les feuilles mortes

son jardin d'antan
disparu
tout comme lui

début mars
dernière récolte de topinambours
sous l'oeil du rouge-gorge

premier rayon de soleil
même sur le compost
le bonheur est là





10 mars 2017


" L'art de la joie "   de Goliarda Sapienza   13/20


      Modesta naît le 1er janvier 1900 dans une famille miséreuse de Sicile. Son père disparaît bien vite. A 9 ans, elle vit dans un pauvre village niché sur l'un des versants de l'Etna. Sa mère ne lui parle jamais, ne sachant qu'hurler ou se taire, et n'ayant d'affection que pour sa soeur Tina, une fille de 20 ans trisomique. Les seuls moments où Modesta s'évade, c'est grâce à Tuzzu, un jeune paysan du coin. Un jour, un homme se présente à elle en lui disant être son père, en lui promettant de l'emmener loin de sa vie de misère découvrir les richesses du pays. Il abusera sordidement de sa crédulité en la violant. A partir de ce moment terrible, Modesta décidera de lutter contre tout ce que le destin inventera pour la briser, quitte à s'attirer les foudres des soi-disant bien-pensants. Dès lors, farouche et insoumise, s'emparant avec une malice folle et diabolique des hasards de la vie, Modesta se construira petit à petit un chemin vers sa propre lumière, n'hésitant jamais à remettre en cause toute ses sources de savoir. Douée d'une volonté de fer, elle gravira un à un les échelons accédant à une certaine reconnaissance sociale, sans pour autant dévier d'un iota de ses péremptoires ambitions.

      Un roman sur la volonté, le désir de ne pas se laisse dicter sa conduite par les coutumes, les croyances et les conformismes de tous bords. Être fidèle aux usages qui ont un sens pragmatique et égalitaire, et rejeter ceux qui ont des relents spécieux, spéculateurs, intrusifs et arbitraires. Un roman révolutionnaire qui élève le mot LIBERTÉ jusqu'aux nues, comme un objectif ultime, suprême, telle l'inaccessible étoile, comme le chantait Jacques Brel. En effet, selon toute logique, le destin de Modesta aurait dû être celui d'une jeune femme pauvre, puis d'une épouse soumise, avant d'être celui d'une mère débordée, mais aimante d'une tripotée de gamins : image que lui renvoie le regard des hommes, de ceux qui dit-on savent ! Cependant, contre toute évidence, le bastion le plus sûr du conformisme social est justement défendu par les femmes elles-même, se coulant naturellement dans le moule que la société veut qu'elles occupent. Quelle force, dès lors, faut-il déployer pour braver les tempêtes des conservateurs de tout poil ?

      Modesta, par son inflexibilité et sa détermination impressionne et séduit : comment ne pas développer d'empathie pour cette jeune femme se cognant, s'écorchant dès son plus jeune âge aux rugosités d'un monde sans pitié ? On comprend pourquoi ce roman déclencha le courroux d'où la grande prudence d'une vingtaine de maisons d'édition italiennes qui refusèrent ouvertement sa publication. Car on ne s'attaque pas impunément aux bastions de la société italienne qu'ils soient religieux, moraux ou politiques. Suivre sa voie, faire fi des conventions, penser avec ses tripes, faire parler son coeur en priorité se paie fatalement. Malheureusement, Goliarda Sapienza décède en 1996, son dernier mari se battra jusqu'à obtenir enfin la parution de L'art de la joie... en France. Le livre sera réédité à maintes reprises avant de déborder des frontières et de devenir un petit succès européen.

      Au travers des mots de Modesta transpirent les maux de Goliarda Sapienza. On lit, entre les lignes, ses luttes, ses désirs, ses espérances et ses lourdes déceptions envers cette Italie des années 20, 30, 40, 50 où le fascisme déchaîna tant de passions. Goliarda Sapienza est une écrivaine bravache de l'émancipation féminine, portant haut les sentiments d'égalité et de liberté dans ses idées, dans ses croyances et dans ses amours.

      Par le truchement de personnages socialement ou idéologiquement marqués : Tuzzu le paysan réaliste, Carlo le médecin profondément communiste, Joyce l'intellectuelle apeurée, Nina l'anarchiste exaltée, on voit se construire l'idiosyncrasie de Modesta dont toute sa vie aura été structurée par la volonté d'apprendre. Modesta est avant tout une femme qui réfléchit, n'acceptant aucune idéologie ou convention comme argent comptant, tout y est peser, estimer, jauger à l'étalon de ses désirs. Toute sa vie elle sera en lutte face à l’aliénation de la pensée. Parfois elle se trompera, mais ce ne sera que pour mieux rebondir, afin de se bâtir un concept de pensée logique, rationnel et cohérent, en dehors de tout chemin balisé.

      Parmi les thèmes tabous évoqués, la sexualité féminine n'est pas des moindres, d'autant que Modesta est une femme intrinsèquement sensuelle, constamment à l'écoute de son corps, dont la libido l'emporte vers des aspirations autant masculines que féminines. Cependant rien de graveleux dans le texte, tout est traité avec une infinie douceur, une infinie grâce, une infinie harmonie.

      Malheureusement, quelques bémols m'ont chagriné. D'abord cette avalanche de protagonistes, un bon GPS s'avère nécessaire pour ne pas trop s'égarer dans les méandres bien brouillardeux du parcours physique et intellectuel de chacun. Pourquoi un index des personnages n'est-il pas inséré dans l'oeuvre ? 
      Puis, il y a cette narration facile filant en ligne claire dans la première moitié avant de s’effilocher, de se déliter dans la deuxième partie, sautant allègrement certains épisodes pour aboutir à un hachage narratif bien abscons ! D'autant que l'ensemble court sur 800 pages ! Le lecteur doit, de temps en temps, mettre du coeur à l'ouvrage !
      Parfois des situations s’enchaînent en étant séparées de plusieurs années ! Ah...! Goliarda Sapienza manie avec une grande dextérité la distorsion du temps, sa narration devient ductile, écrivant de longues pages sur des petits moments de vie, alors que pour décrire de longues périodes quelques lignes lui sont nécessaires. A moins que ce mode narratif atypique soit intentionnel, organisant son roman à l'image de différents styles de peinture : classique au départ, puis au fil du temps avec un penchant vers le pointillisme, avant de s'affranchir de tout code pour se conclure dans l'abstraction la plus totale, synonyme de l’acmé libertaire.
      Ensuite, le fond historique porte trop bien son nom, jamais il ne s'approche au plus près de l'horizon. Bien sûr, par le truchements des protagonistes quelques effluves parviennent à nos narines tels des parfums évanescents, mais j'aurais aimé qu'ils s'affirment avec plus de vigueur, de présence, avant d'éclabousser les pages dans une sorte de folie incontrôlable, mais jouissivement libératrice !
      Le lecteur est exclu des voyages de Modesta hors de Sicile, ils ne sont qu'évoqués. J'aurais adoré filer au travers des villes italiennes ou française, au bras d'une femme si insurrectionnelle, si subversive, si contestataire. Ce livre est trop court... et trop long ! 
      
      Heureusement, pour maintenir l'attention du lecteur, des beautés littéraires fusent, transfigurant sa littérature pour la hisser au niveau de l'Art... donc de la joie, d'où le titre ! Exemple : Par le sang de Judas ! Mais que faut-il faire pour vous faire comprendre que bien des désirs vous sont inculqués d'en haut pour vous utiliser ? Je comprends que ce soit difficile pour un pauvre qui doit arriver à se nourrir et apprendre à lire avant de savoir qui il est et ce qu'il veut. Mais toi, tu as du pain et des livres, et on ne peut pas te donner de circonstances atténuantes. Tu es responsable de toi même et de ceux que demain tu peux entraîner avec toi.

       Aucun doute, le personnage solaire de Modesta me restera longtemps en mémoire par sa personnalité hors norme, par sa puissance de réflexion, par sa malignité et par sa volonté hors pair de ne s'être laissé dicter sa vie sous aucun prétexte. 


6 mars 2017



HAÏKU  Partie XXXX

°°°°°°°°°°

sous le givre
une rose insoumise -
contemplation

depuis son absence
son jardin en pente
penche un peu plus

miroir de l'eau
dentelle en éventail
d'un saule Narcisse

idées noires
plus nuit blanche
promesse d'une journée grise

hiver trop long -
tout souvenir d'été
refroidi

4 mars 2017


HAÏKU   Partie XXXIX

°°°°°°°°°°°

bourrasques de février -
danseuses hystériques
les feuilles mortes

au loin
prière d'un violon
- mes yeux mouillés

ballade à Cabourg
une petite faim
pourquoi pas une madeleine ?

depuis sa disparition
le mot bonheur
se compose au passé

saisir l'instant
simplement
le haïku