30 avr. 2017


" Confidences à Allah "   de Saphia Azzedine   18/20


      Jbara est une jeune bergère des montagnes de l'Atlas marocain, son seul confident est Allah. Elle lui raconte, en toute honnêteté, sa vie de misère à élever chèvres et moutons pour nourrir une famille trop nombreuses, une vie fade sans avenir, juste rythmée par les cinq prières quotidiennes. Elle lui parle aussi du mépris de son père, des reproches de sa mère, et de Miloud, un marchand ambulant qui abusera d'elle régulièrement pour une poignée de friandises, jusqu'au jour où elle tombe enceinte...

      A force de songer à une autre vie et de prier Allah pour qu'il lui adresse un signe : un jour, à ses pieds, une valise rose à roulettes tombe d'un car de touristes. Ce sera son passeport pour tenter de se construire une vie nouvelle. Mais que peut-on espérer quand on est pauvre et analphabète. Ses seuls atouts seront sa beauté et son dialogue incessant avec Allah.

      Raconté sous la forme d'un long monologue fébrile et exalté, le récit de Jbara prend aux tripes, tant l'envie de vivre qui s'en dégage est impétueuse. D'abord par une attitude candide, puis en pleine conscience des barrières qu'elle franchit, elle bravera tous les tabous de la société musulmane, dans une rage quasi suicidaire. 

      De toute façon c'est simple, pour une femme musulmane tout est motif de pêché. Aucun droit que des devoirs, rien n'est autorisé en dehors d'une soumission absolue. 
      Avec cette farouche envie d'exister chevillée au corps, elle ne se soumettra jamais aux diktats des religieux musulmans. Elle luttera sans cesse contre l'inique domination péremptoire des hommes, lui refusant toute considération, toute existence autonome, tout espoir d'un début d’indépendance.

      Contrebalançant la lourdeur des épreuves subies par son héroïne, Saphia Azzedine greffe une salvatrice dose d'humour à son histoire, comme une bouffée d'air pur, aérant avec des zestes d'ironie ces 146 pages de drame.

      L'oppression que les femmes subissent depuis si longtemps, en particulier dans les pays arabo-musulmans est le thème principal de ce brûlot. . Grâce à une écriture volontairement crue, Saphia Azzedine crache son venin. Elle verse sans vergogne son acide, sa rage, son exaspération à la face de tous ces hypocrites musulmans ou soi-disant musulmans, qui sous couvert d'un islam fallacieusement lu, s'innocentent à bon compte des sévices et brutalités commis à l'encontre de la gente féminine, de vrais despotes ! Et Allah qui regarde ailleurs !

      Confidences à Allah, est loin de remettre en cause l'existence d'Allah, bien au contraire, il dénonce avec force l'utilisation intéressée et pervertie de la parole divine, en conseillant à tout croyant de s'adresser directement à Dieu, plutôt qu'à ses saints, bien loin de tout reproche !

      Ce livre est à mettre en relation avec Les putes voilées n'iront pas au Paradis ! de l'iranienne Chahdortt Djavann, un roman tout aussi tragique, si ce n'est plus, dont vous retrouverez sa critique sur ce même site en août 2016.



28 avr. 2017



" La ville dont la cape est rouge "   de Asli Erdogan   13/20

      Özgür, une étudiante stambouliote, part vivre un temps à Rio de Janeiro, histoire de changer d'air, de vivre une expérience enrichissante en découvrant le côté sombre de l'humanité. Elle ne sera pas déçue, vite confrontée à la pauvreté, à la violence et aux meurtres. 
      Cette ville en déliquescence l'attire irrémédiablement, liquéfiant sa propre personnalité, annihilant sa volonté, anesthésiant ses envies, ses désirs. Vite Özgür repousse, puis oublie la peur. Le vertige des dangers innombrables la fascine. Elle élude la mort, puis l'apprivoise dans une danse macabre au bord du vide.
      Malgré tout, Rio, cette ville sublime et meurtrière, ensorceleuse et corrompue, aux parfums exotiques et aux pléthores d'affamés, lui permettra d'écrire le livre de sa vie.

      Asli Erdogan, originaire de Turquie, a vécu deux ans à Rio, elle s'est imprégnée comme une éponge de toute la face cachée de la vile ville aux nombreux bidonvilles, pour nous le restituer sans le moindre filtre. Rien ne nous sera épargné, aucune édulcoration, que des larmes et du sang, la vraie face de l'homme.
     Ce livre, ce brûlot, à faire lire à toutes ces hordes de touristes qui ne voient que ce qu'ils veulent voir, se vit comme un reportage, un documentaire. D'ailleurs on sent, derrière la plume sans pitié d'Asli Erdogan, sa formation journalistique, elle choisit adroitement ses mots, ses comparaisons, les presse pour les vider de toute leur essence pour faire sens. D'où ce sentiment de justesse, de vérité, sans défaillir, nous entraînant par empathie dans ce bal d'un monde sans Dieu et sans loi. Un comble quand la figure inévitable du Corcovado plane au dessus de la ville. Impuissant devant l’inhumanité de l'humain. Un géant si inutile. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Psaume 22.

      Ce récit à tout pour enthousiasmer, le sujet, l'écriture, seulement il pêche par un fouillis forcément volontaire, mais dommageable à la lecture. Il n'y a pas de linéarité, on ne va pas d'un point A au point B, le flash-back est roi, et cela gêne à une adhésion optimale.
      Une utilisation excessive de l'adverbe "comme" m'interroge, est-ce voulu ou pas ? 

      Dans ce roman s'assimilant à un coup de gueule, Asli Erdigan maîtrise son terrible sujet, dans une atmosphère étouffante et moite tant sur le plan climatologique que sociétal sans défaillir, au service d'un ressenti à la limite de l'accident psychologique. Une écrivaine forte, sans l'ombre d'un doute, dont il me faudra lire d'autres romans pour me faire un avis plus fondé.


24 avr. 2017



HAÏKU   Partie XXXXIX

°°°°°°°°°

en présence du doute
seul espoir
les grandes voix des arbres

si bavardes
si silencieuses
les vieilles pierres

folles fugues
christiques cantates
- éternel Bach

après la pluie
ciel Narcisse
sur terre miroir

lecture au lit -
mains froides
mais esprit au chaud

18 avr. 2017


HAÏKU     Partie XXXXVIII

°°°°°°°°°

pays d'hiver
aux becs froids et chauds
ensorceleuse Québec *

frimas d'avril
malgré l'azur
frissons sous vent du nord *

concluant la nuit
le rond point
de la pleine lune

habillée de printemps
une vraie mariée de coton
l'aubépine

temps perdu
petit malheur
journée sans haïku

* écrit d'après l'idée d'une libraire nommée Virginie

15 avr. 2017


" La chair "   de Rosa Montero      16/20


      A la v(i)eille de ses soixante ans, Soledad est larguée par son jeune amant Mario. Trop désireux d'avoir un enfant, il a rejoint sa légitime. Dans un réflexe de vengeance et pour rendre jaloux son ex, lors d'une sortie à l'opéra, Soledad embauche un gigolo. A la fois grisée par ce moment, désirant s'assurer de son pouvoir de séduction et freiner la marche funèbre du temps qui s'enfuit, elle décide de le revoir régulièrement, dans une frénétique sinon hystérique fuite en avant.

      L'incipit résume avec force le propos de ce roman : La vie est un petit espace de lumière entre deux nostalgies : celle de ce que vous n'avez pas encore vécu et celle de ce que vous n'allez plus pouvoir vivre.

      Avec une jouissive et cruelle ironie, Rosa Montero signe un  court roman, plein de l'énergie du désespoir, sur les ravages du temps face à notre propre corps. Soledad venait d'avoir soixante ans, elle avait atteint l'âge où la biographie était irréversible. Ah, si elle avait su qu'elle allait devenir vieille et qu'elle allait mourir, elle aurait vécu autrement. Mais avant elle l'ignorait. Et maintenant c'était trop tard. Regrets éternels d'un passé inchangeable, devant l'intolérable objectivité du chronomètre.
      Soledad est une femme constamment assaillie par mille démons squattant sans vergogne son côté obscur. Malgré sa raison qui lui prône la sagesse, elle se laisse trop facilement aiguillonnée par ses pensées ténébreuses venues des limbes de sa jeunesse, où tout amour et tendresse enfantines étaient bannies par une mère indigne, sans la moindre affection, bien au contraire. 

      Rosa Montero excelle pour naviguer dans la pensée tortueuse de son héroïne. La vie est un paquet-cadeau entre les mains d'un enfant, enveloppé de papiers de brillantes couleurs. Mais lorsqu'on l'ouvrait, il n'y avait rien à l'intérieur. La joie était si courte, la peine si longue. Ce roman aurait pu être plombant, cependant grâce à un "humour" décapant et audacieux, il rebondit sous nos yeux en  considérations pertinentes et si intelligentes de réalisme.

      Face au pouvoir exponentiel du temps, Rosa Montero nous brandit la suprématie de la culture, celle qui sert de solution, de référence, de contrebalancement à nos tracas du quotidien. Justement, Soledad prépare à Madrid une exposition sur les écrivains maudits, ceux dont leur enfance ont fortement influencé leur oeuvre littéraire, notamment celle des jumeaux. Surtout quand leur frère où soeur sont décédés peu de temps après leur naissance, ou sont devenus fous comme dans le cas de Soledad. Ce traumatisme, véritable fardeau pour celui qui survit, grève leur présent jusqu'au moment où la mort le (ou la) ramènera auprès de son double. A l'instar de Soledad, tous ont un énorme besoin d'amour, tous ont une peur bleue de frôler l'abîme du désamour, aucun ne sera définitivement en paix. De cet état d'esprit, à tout moment, la folie les guette. Seule la mort leur procurera enfin le vrai repos, la sérénité, la quiétude absolue. D'ailleurs la mort affleure à toutes les pages, comme un fil rouge, une épée de Damoclès, une inévitable destination finale. En supplément, des références aux Parques parsèment le roman, avec l'idée de la fatalité de la mort.

      Rosa Montero témoigne aussi de la difficulté d'exister en tant que créatrice dans une société patriarcale, au travers de son job de commissaire d'exposition. Comme si cela ne suffisait pas de lutter contre la gente masculine, entre elles le combat existe aussi. D'ailleurs elle est, elle-même, l'une des protagonistes du roman, comme un besoin d'exister même dans la fiction.
      
      " La chair " est l'itinéraire d'un désespoir, couronné d'une folie de femme au bord de la crise de nerfs. A la fois superficiel et profond, agréable et féroce, il explore les morsures du temps, les affres de l'âge, le refus de renoncer au plaisir et au désir, comme une résistance névrosée devant un combat que l'on sait perdu d'avance. D’autant qu'une fougueuse jeunesse pousse pour prendre sa place au soleil de la vie. Livre universel, traité avec talent, sur le temps, notre corps, l'amour, la folie... et la mort.

            °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

 Afin de vous faire une idée plus complète de ce roman, et deux avis valant toujours mieux qu'un seul, voici la critique de Virginie, une amie libraire de Lillebonne.


La chair de Rosa Montero (titre original La carne, 

traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse) 

Editions Métailié, Paris 2017.

Note sur 5 :       4/5


Ce roman est surprenant d’originalité tant R. Montero ose bousculer ce genre littéraire.

Il faut noter la qualité de la traduction fidèle à l’atmosphère madrilène  dans laquelle l’auteure et ses personnages baignent.

Cet ouvrage où il est question de la chair, la carne en espagnol, n’est pas que charnel, L’obsession de celle-ci est incarnée par l’avancée en âge d’une femme qui a toujours été désirable mais dont le rapport aux hommes est viscéral et saupoudré par  l’abandon brutal de son père lorsqu’elle était enfant.

Entre une mère toxique et une sœur malade de cette toxicité, l’héroïne se structure tant bien que mal entre la peur de la folie, de la vieillesse et de la solitude. Elle se prénomme Soledad qui, en espagnol, fait référence à la dite solitude.

Elle a une union avec un homme qui ne s’engagera pas avec elle. Cela devait lui aller du temps de sa  jeunesse et de son essor professionnel. Ce soi disant équilibre  lui convenait jusqu’au jour où il rompt leur relation ; sa compagne officielle tombe enceinte. A un âge qui avance dans le temps, Soledad se sent une nouvelle fois abandonnée et cherche de quelle manière elle pourrait se venger. Son travail lui permet de transcender ce manque : elle est reconnue en matière culturelle et une nouvelle exposition du monde madrilène la sollicite. Auparavant, elle avait déjà fait ses preuves, elle est reconnue dans le milieu littéraire. Seulement une jeune « requin » prend les devants et Soledad va devoir aussi se battre sur ce plan. Elle prépare cet événement et l’auteure, à cette occasion, fait référence à des pans de vie d’écrivain(e)s qui sont empruntés de la réalité sauf une anecdote romancée qu’elle précise en fin du livre. Entre son besoin d’éprouver sa chair pour se sentir encore femme, Soledad provoquera une rencontre avec un jeune russe ; entre culpabilité, angoisse et combats, elle parviendra à apaiser sa peur de flétrir, de vieillir et triomphera auprès des cupides pour l’exposition littéraire. Son titre, « Les maudites », est remis en question mais pas sa notoriété… Elle n’est pas si maudite, Soledad, même si elle ses auteures qu’elle souhaitait comme « Les maudites » pour l’exposition s’inscrivent dans sa chair. Rosa Montero réussit même à introduire son propre personnage en la personne d’une journaliste douée de conseils pour son héroïne… Rosa Montero, journaliste à El Païs. 

De Virginie, libraire 9 rue Henri Messager, 76170 Lillebonne.
Librairie.livresse@orange.fr


4 avr. 2017



HAÏKU   Partie XXXXVII

°°°°°°°°°

printemps tardif
aujourd'hui enfin
déjeuner de soleil

feu de printemps
nature incendiée
entre nuits glaciales

baiser d'un papillon
sur fleur de pommier
- sourire d'avril

soleil de printemps
sur terre bleu
toute la magie de l'éveil

plaisir craquant d'avril
aux culs tout blanc
premiers radis