29 déc. 2019


" Les oiseaux " de Daphné du Maurier   de 19/20 à 2/20



      Cette année là, les terribles morsures de l'hiver apparurent le 3 décembre, apportées par un impitoyable vent d'Est. Le froid glacial n'arriva pas seul, des centaines de milliers d'oiseaux apparurent dans le ciel... du le monde entier.

      N'allons pas plus loin pour nos plus jeunes lecteurs, heureux ignorants de cette nouvelle tout comme l'effrayante version cinématographique qu'en tira, en 1963, le maître de l'angoisse et du suspens : Alfred Hitchcock.
      Cette histoire est de loin la plus forte de ce recueil de nouvelles que publia en 1952 Daphné du Maurier. Il émerge de ce récit une force narratrice impressionnante et lapidaire. En quelques pages, dignes des plus grands, grâce à une rare et vertueuse économie de moyens, elle évoque la redoutable puissance de la nature, celle qui peut se mettre en branle quand l'Homme se prend pour un démiurge. Abolissant les fioritures, trop souvent ornementales, l'auteure épure pour en conserver la structure mère, laissant notre fertile imagination combler les vides. Des vides effroyables, qui sous la plume chirurgicale de Daphné du Maurier, deviennent apocalyptiques. C'est simple, par sa noirceur et son style, cette nouvelle est un vrai chef-d'oeuvre. En comparaison, le film qui en fut tiré en semble un peu terne, même si la patte du metteur en scène est indéniable, il lui manque tant de choses, notamment la notion de fin d'un monde et celle de l'intelligence de la nature.

      Dans les autres nouvelles, l'horreur est plus insidieuse, plus subliminale, elle effleure le fantastique en restant dans le quotidien, comme dans Le pommier, Encore un baiser, Mobile inconnu ou encore Le petit photographe. Quant à la nouvelle intitulée Le vieux, trop faiblarde pour mériter sa place dans le recueil, ainsi que Une seconde d'éternité, un récit trop téléphoné, d'une lourdeur si pesante qu'elle semble durer une éternité.
      Néanmoins, rien que la lecture de la nouvelle Les oiseaux rachète l'ensemble de royale et glaçante manière !


" Va au Golgotha "   de Alexandre Zinoviev   13/20




      Dans une grande ville de l'URSS des années 70, le jeune Ivan Laptiev se pose des questions. Depuis trop longtemps il est las des poussiéreuses religions traditionnelles. Ne se considérant pas pire que le Christ, Bouddha, Confucius ou Mahomet ; mais surtout, n'ayant rien d'autre à faire, il décide de créer une nouvelle religion, rien que cela ! Il sera le nouveau Dieu ! Sa religion se nommera le Laptievianisme, où comment vivre en saint homme tout en gardant à son actif le même rendement dans l'empilement de ses pêchés. Tout un programme !

      Tel est l'entrée en matière de ce roman atypique, foldingue et quelque peu schizophrène. En tant qu'écrivain russe, Alexandre Zinoviev y déploie tout un l'humour désespéré, digne des grands maîtres se servant de la déliquescence et du misérabilisme d'un pays pour y puiser une cocasserie dévastatrice. En effet, dans un pays où la corruption et l'abus de pouvoir devient le réflexe de n'importe quel privilégié, tout un peuple de paysans, d'ouvriers et de petits fonctionnaires vivent misérablement, leur souffrance quotidienne est devenue désormais un style de vie, alors, autant en rire pour éviter d'en pleurer tous les jours.

      Soviétique parmi les soviétiques, ivrogne parmi les ivrognes, Ivan Laptiev possède un don inné pour haranguer les hommes et les femmes (à l'exception d'une seule, celle de son coeur) grâce à une faconde intarissable. Dès lors qu'il rentre dans la peau de Dieu, il enseigne, il prêche, il argumente, puis par la force des choses, même sans le vouloir, il soigne, il guérit les gens juste avec la parole, en un mot il accomplit des miracles ! Comment ? Oh, grâce à une étude psychologique approfondie de l'âme humaine en général et russe en particulier.
      Cependant, les temps ont changé depuis les premiers siècles chrétiens, et les actions miraculeuses qu'il entreprend ne bousculent pas une société communiste, viscéralement matérialiste, infiniment apathique, et profondément inconsolable.

      Grâce à une imagination débridée, Alexandre Zinoviev invente tout un monde foutraco-alcoolo-mystique dans un style qui lui est propre. Avec une joie jouissive il dézingue à tout va, n'épargnant personne, et certainement pas lui-même ! Sous sa plume acerbe tout passe dans la moulinette zinovienne : le peuple russe, les sentiments, les vices, les croyances et naturellement, les oligarques.   

         Alexandre Zinoviev propose une véritable réflexion entre religion et idéologie, l'une capitule devant les circonstance sociales, l'autre les vit comme une agression et donne les moyens aux hommes de s'en prendre aux iniques sociétés. En effet, derrière les effets burlesques, l'auteur dénonce un pays où la souffrance est devenue un mode de vie : les russes souffrent avec imagination et talent, avec un grand courage et beaucoup de patience, brefs en professionnels !

      Mon bémol vient de considérations philosophiques interminables, leurs développements complexes m'ont parfois perdu en route. A force d'être déployé à l'extrême, ce qui faisait l'originalité du roman, finit par l'étouffer sous des tombereaux idéologiques inextricables. 

      Émouvant et cruel, tragique et cocasse, intelligent et trivial, Va au Golgotha est le roman d'un caricaturiste philosophe ou d'un philosophe caricaturiste transformant son désespoir en folle littérature, à l'image de l'âme slave.

      

27 déc. 2019


" Salina, les trois exils " de Laurent Gaudé   19/20



      Abandonnée bébé à l'entrée d'un village niché dans le désert africain, Salina ne doit sa survie qu'à l'amour inconsidéré de Mamambala, une femme du clan Djimba, débordant de tendresse et bravant le refus du chef de village, Sissoko, de secourir le tout petit enfant en pleurs. Ses larmes de sel la feront nommée Salina.
      Au décès de Salina, c'est son dernier fils qui nous raconte toute la vie de sa mère, dans le dessein que les portes de l'île-cimetière s'ouvrent afin de lui accorder la sérénité et le bonheur que la vie lui a toujours refusé. Peut-être ainsi sa vie de combats se haussera à la stature d'une légende, la sienne.

      D'emblée, le récit prend aux tripes et ne lâche plus le lecteur avant une fin digne des plus grands contes ou des plus grandes légendes.
      En cette période où deux sujets brûlants : l'arrivée de bateaux de migrants et le respect des femmes, bousculent régulièrement l'actualité, le récit de la vie de Salina est un hurlement de douleur et une gifle cinglante au visage de l’intolérance. En effet, Salina supportera avilissements, puis bannissements répétés. Toute sa rage, toute sa colère n'existe que par le refus de l'altérité et inhérent à cela, un manque de considération d'autrui. Parce que l'on est né d'aucun père et d'aucune mère doit-on être soumis et humilié ? Parce que l'on vient d'une autre contrée doit-on être jaugé comme être inférieur ? 

      Découpé en dix chapitres formant chacun un tableau à eux seuls, le texte vise à transcender la haine, l'amour et la vengeance, pour les porter au pinacle de l'absurdité de l'aberration et de l'ineptie.
      Grâce à une écriture épurée de toute ornementation autant ostentatoire qu'inutile, Laurent Gaudé va à l'essentiel, à l'os, avec un semblant de facilité et de fluidité digne des plus grands. Ainsi le récit prend une force supérieure, sans effort apparent.
      En dehors de sa plume belle et tranchante, la puissance de l'histoire vient aussi de son universalité et de son intemporalité, comme tous les contes.

      A travers du parcours de la vengeance d'une femme hautement mortifiée, hurlant son désespoir aux pierres du désert, Laurent Gaudé nous offre une tragédie antique où le texte est sublimé par la puissance du verbe. Un petit bijou !

23 déc. 2019







HAÏKU   Partie CXXXIX

°°°°°°°°°


pluie sans fin

les lumières de Noël
même dans les flaques


soir de réveillon -

sur les trottoirs
les mêmes sans abri


repas de Noël -

orgie de victuailles
devant Jésus sur la paille


nuit de Noël -

sous chaque toit
des rêves s'allument


lendemain de Noël -

montagne d'emballage
sur les trottoirs


20 déc. 2019

" La vie secrète des arbres "   de Peter Wohlleben   17/20


      Après avoir passé plus de vingt ans comme garde forestier et ne se satisfaisant pas de diriger à présent une forêt écologique, Peter Wohlleben souhaite voir diffuser ses connaissances. La vie secrète des arbres est le livre d'un vulgarisateur qui veut nous faire voir l'invisible. En effet, quoi de plus figé qu'un arbre ou une forêt ? et pourtant si nous savions !

         En conteur passionné, Peter Wohlleben nous dévoile la société des arbres, des hêtres aux sapins, des chênes aux ifs, sans oublier l'importance des saisons, des insectes, des champignons et des bactéries. Cela est surprenant pour la plupart d'entre-nous, cependant les arbres savent répondre avec ingéniosité aux dangers qui les menacent. Leur système radiculaire leur permet non seulement de communiquer entre-eux, mais également à s'alimenter entre congénères de la même famille. Certes, encore bien des mystères planent au-dessus de ces monstres de la nature, cependant, avec ce document scientifique, ce sont de grands pas de compréhension effectués vers une espèce apparue sur Terre depuis bien plus longtemps que nous.

      Naturellement, dans son enthousiasme pour ces géants terrestres, Peter Wohlleben s'autorise un anthropomorphisme trop facile qui risque d'en chagriner certains, néanmoins, sa passion est telle, qu'on peut lui pardonner ces petits dérapages si humains.

      La lecture est facilitée grâce à une division méthodique en 36 petits chapitres pédagogiques, délivrant chacun un message précis avec exemple ou métaphore à la clé. Peu de termes franchement abscons viennent alourdir le propos.

      En refermant ce livre et lors de votre prochaine balade en forêt, vous regarderez les arbres avec un œil tout neuf, un œil plus avisé, un œil de sylviculteur en herbe.


17 déc. 2019



HAÏKU   Partie CXXXVIII

°°°°°°°°°

le bouddha du jardin 
petite précaution pour l'hiver
une couverture de feuilles


balade par vent glacial
respirer un air pur
se sentir vivant


soudain plus de vent
plus de nuages
le temps immobilisé


perdus dans le brouillard
les peupliers sans feuille
- nudité masquée


lecture au jardin d'automne
sur un tapis 
de feuilles mortes