29 déc. 2019


" Va au Golgotha "   de Alexandre Zinoviev   13/20




      Dans une grande ville de l'URSS des années 70, le jeune Ivan Laptiev se pose des questions. Depuis trop longtemps il est las des poussiéreuses religions traditionnelles. Ne se considérant pas pire que le Christ, Bouddha, Confucius ou Mahomet ; mais surtout, n'ayant rien d'autre à faire, il décide de créer une nouvelle religion, rien que cela ! Il sera le nouveau Dieu ! Sa religion se nommera le Laptievianisme, où comment vivre en saint homme tout en gardant à son actif le même rendement dans l'empilement de ses pêchés. Tout un programme !

      Tel est l'entrée en matière de ce roman atypique, foldingue et quelque peu schizophrène. En tant qu'écrivain russe, Alexandre Zinoviev y déploie tout un l'humour désespéré, digne des grands maîtres se servant de la déliquescence et du misérabilisme d'un pays pour y puiser une cocasserie dévastatrice. En effet, dans un pays où la corruption et l'abus de pouvoir devient le réflexe de n'importe quel privilégié, tout un peuple de paysans, d'ouvriers et de petits fonctionnaires vivent misérablement, leur souffrance quotidienne est devenue désormais un style de vie, alors, autant en rire pour éviter d'en pleurer tous les jours.

      Soviétique parmi les soviétiques, ivrogne parmi les ivrognes, Ivan Laptiev possède un don inné pour haranguer les hommes et les femmes (à l'exception d'une seule, celle de son coeur) grâce à une faconde intarissable. Dès lors qu'il rentre dans la peau de Dieu, il enseigne, il prêche, il argumente, puis par la force des choses, même sans le vouloir, il soigne, il guérit les gens juste avec la parole, en un mot il accomplit des miracles ! Comment ? Oh, grâce à une étude psychologique approfondie de l'âme humaine en général et russe en particulier.
      Cependant, les temps ont changé depuis les premiers siècles chrétiens, et les actions miraculeuses qu'il entreprend ne bousculent pas une société communiste, viscéralement matérialiste, infiniment apathique, et profondément inconsolable.

      Grâce à une imagination débridée, Alexandre Zinoviev invente tout un monde foutraco-alcoolo-mystique dans un style qui lui est propre. Avec une joie jouissive il dézingue à tout va, n'épargnant personne, et certainement pas lui-même ! Sous sa plume acerbe tout passe dans la moulinette zinovienne : le peuple russe, les sentiments, les vices, les croyances et naturellement, les oligarques.   

         Alexandre Zinoviev propose une véritable réflexion entre religion et idéologie, l'une capitule devant les circonstance sociales, l'autre les vit comme une agression et donne les moyens aux hommes de s'en prendre aux iniques sociétés. En effet, derrière les effets burlesques, l'auteur dénonce un pays où la souffrance est devenue un mode de vie : les russes souffrent avec imagination et talent, avec un grand courage et beaucoup de patience, brefs en professionnels !

      Mon bémol vient de considérations philosophiques interminables, leurs développements complexes m'ont parfois perdu en route. A force d'être déployé à l'extrême, ce qui faisait l'originalité du roman, finit par l'étouffer sous des tombereaux idéologiques inextricables. 

      Émouvant et cruel, tragique et cocasse, intelligent et trivial, Va au Golgotha est le roman d'un caricaturiste philosophe ou d'un philosophe caricaturiste transformant son désespoir en folle littérature, à l'image de l'âme slave.

      

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