En 1867, sur les grands boulevards de Paris, au théâtre des Variétés, est donnée l'opérette : La blonde Vénus, un spectacle de qualité bien médiocre, où le tout Paris vient s'y griser. Ce soir là, en tunique d'inspiration grecque qui ne cache pas grand chose, une jeune fille de 18 ans fait ses débuts de comédienne chanteuse : une certaine Nana. Même si elle chante comme une seringue et qu'elle joue comme un paquet, elle sublime le public masculin par sa beauté blonde, toute en grâce et volupté. En déclarant : Ne dîtes pas mon théâtre, dîtes mon bordel ! Le directeur des lieux sait parfaitement ce qu'il fait : attirer le chaland à tout prix. Bien naturellement, à partir de cette soirée scandaleusement inoubliable, Nana est lancée. Dès lors, plus rien ne l'arrêtera dans sa chevauchée dévastatrice, si ce n'est... la grande faucheuse !
Ce grand classique de la série des Rougon-Macquart, paru à l'origine sous forme de feuilleton, fut publié en 1880. Il se classe en neuvième position dans l'oeuvre de Zola, qui en comporte vingt. Pour son héroïne, l'écrivain s'est beaucoup inspiré de Blanche d'Antigny, une piètre interprète, mais courtisane de grande envergure pendant le Second Empire.
Pour certains, et je peux le comprendre, lire aujourd'hui entièrement Nana relève d'une singulière abnégation. Certes, la littérature est talentueuse, mais les longueurs sont pléthores, et les personnages innombrables, surtout dans la première moitié. La seconde file plus rapidement avec des tensions qui se nouent, des situations qui basculent et avec des protagonistes à l'agonie. Cependant, le travail d'écrivain est remarquable, les derniers chapitres sont de hautes volées, dignes des plus grands.
Mais qui est réellement Nana ? Une brave fille ? Un ange exterminateur ? Une essoreuse de fortunes ? Une créature pourrie et nuisible à la société ? Une femme fidèle ou une putain volcanique ? Une infernale croqueuse de vie(s) aux dents aiguisées ? Une marquise des hauts trottoirs ? Une rentière de la bêtise mâle ou une éternelle incomprise ? Mais tout cela à la fois, mon bon monsieur, et bien plus encore ! Une chose est sûre, Nana veut régner sur Paris en maîtresse toute puissante, n'aspirant qu'à fouler de ses petits pieds divins tout ce que le Second Empire compte de forces dirigeantes et aristocratiques ; en conséquence de quoi, cette société haïe ne pourra que s'écrouler devant l'armée prussienne. Nana admirerait-elle Bismarck ? Non, je m'égare.
Quand Zola offre à Nana une sérieuse parenthèse amoureuse, avec un comédien mégalomane qui finira par la tabasser après lui avoir voler tout son argent, c'est pour mieux lui faire comprendre qu'elle n'aura jamais le droit à une vie normale, qu'elle devra être elle-même un monstre égocentrique pour survivre. Dès lors, grâce à son corps de déesse, plus rien ne l'empêchera d'aller au bout de son travail de sape. Le comte Muffat, un homme fidèle à l'église et à sa femme, ne pourra qu’abdiquer, lui aussi, devant l'ardente aura de la belle. Ce fut une jouissance mêlée de remords, une de ces jouissances de catholique que la peur de l'enfer aiguillonne dans le pêché. Dans un moment de colère, se faisant traiter de prostituée par ce même comte, Nana, connaissant la vie double de la comtesse, aura cette pique fabuleuse : De quoi putain... et ta femme alors !
Au premier tiers du roman, le journaliste Fauchery, écrira un article au regard visionnaire sur la jeune femme : ...l'histoire d'une fille, née de quatre ou cinq générations d'ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson... elle avait poussé... ainsi qu'une plante de plein fumier... avec elle, la pourriture qu'on laissait fermenter dans le peuple, remontait et pourrissait l'aristocratie. Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige... Venait ensuite la comparaison avec une mouche qui ...empoisonnait les hommes rien qu'à se poser sur eux...
Nana n'est pas seulement une cocote ou une lorette, c'est bien plus que cela : elle est une féroce arme de destruction massive ! Tous ceux dont le regard se pose sur elle, ne fusse qu'un instant, sont perdus, définitivement voués aux gémonies. Rien ne lui résiste, elle brûle les hommes sur le terrible et inextinguible bûcher du désir, elle croque les héritages, elle abandonne les familles dans le désespoir, avant de brûler elle-même dans l'enfer de la maladie. Nana est aussi une succube.
Avec ce regard à forte acuité de naturaliste, Zola convoque la bête nichée en chacun des hommes, cette entité difficilement contrôlable qui rend ivre d'un désir troublant l'épiphanie d'une femme aux charmes notoires.
Factuellement, Nana n'est autre que la fille de Gervaise (L'assommoir), la demie-soeur d'Etienne (Germinal), la demie-soeur de Jacques (La bête humaine) et celle de Claude (L'oeuvre), est-il alors exagérément déplacé de voir dans ce personnage : une redoutable Némésis. En effet, maints membres de sa famille furent victimes d'une société inhumaine : les misérables, les gueux, les abandonnés ; dès lors, au travers de ce prisme rouge, le parcours de Nana (Némésis) peut s'écrire comme celui d'une femme à la colère juste délivrant un châtiment céleste. Ainsi, accédant à une notoriété symbolique avec cette vie légendaire, Nana devient un Mythe.
A noter l'avant-gardisme de Zola, osant traiter du saphisme avec élégance au travers du merveilleux personnage de Satin : l'éternelle amoureuse de Nana. Sujet encore un peu tabou aujourd'hui, alors à l'époque pensez donc !
Avec cette belle et naïve protestation féministe n’oublions pas la Nana avocate d'elle-même, défendant sa cause, défendant son honneur devant l'arrogance du patriarcat : Non de Dieu ! ce n'est pas juste ! La société est mal faite, on tombe sur les femmes quand ce sont des hommes qui exigent des choses...
Lisez cette Nana comme un classique, comme le drame poignant d'une courte existence de femme perdue par l'appétit du luxe et des jouissances aisées, comme le récit d'une revanche née d'une rancune inconsciente léguée par le sang.
Laissez-vous imprégner d'une époque et quelle époque ce Second Empire ! Abandonnez-vous au plaisir de s'immerger dans la plume soignée d'un des plus grands noms de la littérature française. Avec Zola, l'esprit est bousculé mais vole toujours haut.
Ce grand classique de la série des Rougon-Macquart, paru à l'origine sous forme de feuilleton, fut publié en 1880. Il se classe en neuvième position dans l'oeuvre de Zola, qui en comporte vingt. Pour son héroïne, l'écrivain s'est beaucoup inspiré de Blanche d'Antigny, une piètre interprète, mais courtisane de grande envergure pendant le Second Empire.
Pour certains, et je peux le comprendre, lire aujourd'hui entièrement Nana relève d'une singulière abnégation. Certes, la littérature est talentueuse, mais les longueurs sont pléthores, et les personnages innombrables, surtout dans la première moitié. La seconde file plus rapidement avec des tensions qui se nouent, des situations qui basculent et avec des protagonistes à l'agonie. Cependant, le travail d'écrivain est remarquable, les derniers chapitres sont de hautes volées, dignes des plus grands.
Mais qui est réellement Nana ? Une brave fille ? Un ange exterminateur ? Une essoreuse de fortunes ? Une créature pourrie et nuisible à la société ? Une femme fidèle ou une putain volcanique ? Une infernale croqueuse de vie(s) aux dents aiguisées ? Une marquise des hauts trottoirs ? Une rentière de la bêtise mâle ou une éternelle incomprise ? Mais tout cela à la fois, mon bon monsieur, et bien plus encore ! Une chose est sûre, Nana veut régner sur Paris en maîtresse toute puissante, n'aspirant qu'à fouler de ses petits pieds divins tout ce que le Second Empire compte de forces dirigeantes et aristocratiques ; en conséquence de quoi, cette société haïe ne pourra que s'écrouler devant l'armée prussienne. Nana admirerait-elle Bismarck ? Non, je m'égare.
Quand Zola offre à Nana une sérieuse parenthèse amoureuse, avec un comédien mégalomane qui finira par la tabasser après lui avoir voler tout son argent, c'est pour mieux lui faire comprendre qu'elle n'aura jamais le droit à une vie normale, qu'elle devra être elle-même un monstre égocentrique pour survivre. Dès lors, grâce à son corps de déesse, plus rien ne l'empêchera d'aller au bout de son travail de sape. Le comte Muffat, un homme fidèle à l'église et à sa femme, ne pourra qu’abdiquer, lui aussi, devant l'ardente aura de la belle. Ce fut une jouissance mêlée de remords, une de ces jouissances de catholique que la peur de l'enfer aiguillonne dans le pêché. Dans un moment de colère, se faisant traiter de prostituée par ce même comte, Nana, connaissant la vie double de la comtesse, aura cette pique fabuleuse : De quoi putain... et ta femme alors !
Au premier tiers du roman, le journaliste Fauchery, écrira un article au regard visionnaire sur la jeune femme : ...l'histoire d'une fille, née de quatre ou cinq générations d'ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson... elle avait poussé... ainsi qu'une plante de plein fumier... avec elle, la pourriture qu'on laissait fermenter dans le peuple, remontait et pourrissait l'aristocratie. Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige... Venait ensuite la comparaison avec une mouche qui ...empoisonnait les hommes rien qu'à se poser sur eux...
Nana n'est pas seulement une cocote ou une lorette, c'est bien plus que cela : elle est une féroce arme de destruction massive ! Tous ceux dont le regard se pose sur elle, ne fusse qu'un instant, sont perdus, définitivement voués aux gémonies. Rien ne lui résiste, elle brûle les hommes sur le terrible et inextinguible bûcher du désir, elle croque les héritages, elle abandonne les familles dans le désespoir, avant de brûler elle-même dans l'enfer de la maladie. Nana est aussi une succube.
Avec ce regard à forte acuité de naturaliste, Zola convoque la bête nichée en chacun des hommes, cette entité difficilement contrôlable qui rend ivre d'un désir troublant l'épiphanie d'une femme aux charmes notoires.
Factuellement, Nana n'est autre que la fille de Gervaise (L'assommoir), la demie-soeur d'Etienne (Germinal), la demie-soeur de Jacques (La bête humaine) et celle de Claude (L'oeuvre), est-il alors exagérément déplacé de voir dans ce personnage : une redoutable Némésis. En effet, maints membres de sa famille furent victimes d'une société inhumaine : les misérables, les gueux, les abandonnés ; dès lors, au travers de ce prisme rouge, le parcours de Nana (Némésis) peut s'écrire comme celui d'une femme à la colère juste délivrant un châtiment céleste. Ainsi, accédant à une notoriété symbolique avec cette vie légendaire, Nana devient un Mythe.
A noter l'avant-gardisme de Zola, osant traiter du saphisme avec élégance au travers du merveilleux personnage de Satin : l'éternelle amoureuse de Nana. Sujet encore un peu tabou aujourd'hui, alors à l'époque pensez donc !
Avec cette belle et naïve protestation féministe n’oublions pas la Nana avocate d'elle-même, défendant sa cause, défendant son honneur devant l'arrogance du patriarcat : Non de Dieu ! ce n'est pas juste ! La société est mal faite, on tombe sur les femmes quand ce sont des hommes qui exigent des choses...
Lisez cette Nana comme un classique, comme le drame poignant d'une courte existence de femme perdue par l'appétit du luxe et des jouissances aisées, comme le récit d'une revanche née d'une rancune inconsciente léguée par le sang.
Laissez-vous imprégner d'une époque et quelle époque ce Second Empire ! Abandonnez-vous au plaisir de s'immerger dans la plume soignée d'un des plus grands noms de la littérature française. Avec Zola, l'esprit est bousculé mais vole toujours haut.
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