30 juin 2017




HAÏKU     Partie LV

°°°°°°°°°

premier chuchotis de l'été
premier plaisir frais
à l'ombre du châtaignier

quelle chaleur
même la falaise
plonge dans la mer

cueillette de juillet
avalée par les framboisiers
ma gourmande de femme

souhaitant jardiner
il s'empare du râteau
le liseron

sieste à l'ombre
sur mon livre, une syrphe
une intellectuelle ?



27 juin 2017


" Un fond de vérité "   de Zygmunt Miloszewski   17/20


      Sandomierz, tranquille bourgade de la province polonaise, considérée par les polonais comme la plus belle ville du pays au point de paraître quasi italienne, de Toscane plus précisément. Dans ce joyau de l'Europe du nord, un crime sordide vient d'y être commis : une jeune notable est découverte nue et égorgée, suivant le rituel de l'abattage casher, au pied de l'ancienne synagogue. L'acte odieux réveille d'ancestrales croyances parmi la population, notamment celle qui raconte que les Juifs enlèvent les enfants catholiques pour les vider de leur sang afin de fabriquer du pain azyme. Décidément, les vieux démons ont la vie dure, même dans cette si belle région

      Arrivé depuis peu de Varsovie, le procureur Teodore Szacki devra séparer le bon grain de l'ivraie, pour avoir une chance de dénicher la vérité, dans ce pays pétri de traditions séculaires et de croyances nauséeuses.

      Avec une maestria remarquable, Zygmunt Miloszewski nous délivre un polar admirablement construit, sachant faire fusionner des évocations historiques, la Pologne regorge ô combien de ces pogroms terrifiants et inexcusables, et leur écho dans une société polonaise qui se veut moderne, mais qui vit toujours avec les fantômes d'un passé bien loin d'être enterré. D'autant que même l'art s'en mêle, avec ce tableau datant du XVIII ème et découvert en 2014 dans la basilique de Sandomierz, signé Charles de Prévôt, il représente des Juifs achetant des enfants et les assassinant en donnant des morceaux aux chiens. Allez après cela faire croire aux polonais qu'il n'existe aucun fond de vérité ! Une gageure quand des générations de polonais ont été éduqués dans la peur viscérale du juif.
      D'ailleurs actuellement, en plein coeur de Varsovie, des groupes xénophobes et antisémites vêtus de noir défilent avec l'autorisation des autorités locales. L'Europe, qui n'a pas l'air de s'en émouvoir plus que cela, en aura-t-elle fini un jour avec ces démons obscènes,
ces spectres infâmes du siècle dernier ?
     Zygmunt Miloszewski n'hésite aucunement à mettre le débat sur la table en dénonçant ces mentalités moyenâgeuses, il s'en prend aussi aux journalistes avides de sensationnalisme, ne reculant devant aucune outrance, et toujours prêts à inventer des faits quand ils n'existent pas ou se font rares.

      La plume de Zygmunt Miloszewski est tout sauf insipide, parfois trempée dans l'acide, parfois dans l'intime, elle ose, elle provoque, à la fois piquante et douce, elle bouscule les consciences, renverse les superstitions et asticote les croyances, sans tenir compte de la ligne rouge de certains bien-penseurs. Comme dirait Albert Londres, ce romancier porte la plume dans la plaie. De plus un humour caustique, une galerie de personnages secondaires crédibles, une maîtrise des codes du genre, une trame bien ficelée, un bel engrenage des situations accréditées autour de faits historiques pertinents, articulent le roman, au point de devenir un vrai grand polar, glaçant à souhait.
      Seul petit bémol, la multiplicité des personnages aux noms tellement alambiqués et méchamment similaires, puisque polonais (Maciejewski, Myszynski ou Miszczyk), qu'il faut bien rester concentré si on ne veut pas se mêler les pinceaux, et perdre stupidement quelques portions de ce captivant et goutteux polar.

      Tout en mettant l'accent, et quel accent, sur le spectre endémique de l'antisémitisme de la société catholique polonaise, Zygmunt Miloszewski signe là un livre qui donne envie d'aller baguenauder dans les ruelles du vieux Sandomierz, cette perle de Pologne injustement méconnue.



20 juin 2017



HAÏKU   Partie LIV

°°°°°°°°°

entre aube et crépuscule
canicule et fournaise
juin en feu

paix de juin
au soleil de midi
juste le chant d'abeilles

juin brûlant
les plaines jaunies
rêvent d'eau

fraîcheur du soir
paradis pour nos corps
demain, retour vers l'enfer

nature en cuisson
dans le four naturel
du roi soleil


" Trois saisons d'orage "   de Cécile Coulon   17/20


      Prenez un village de montagne, Les fontaines, avec ses travailleurs de la terre et ses éleveurs, prenez un paysage rocheux où trois canines de pierre défient le ciel, prenez un brave médecin venu de la ville qui décide de s'y établir, prenez des ouvriers bossant dans des carrières de craie, surnommés les " fourmis blanches " tant la poussière qui les recouvre leur donne cet aspect, prenez un climat rugueux été comme hiver, prenez une belle maison surplombant l'ensemble, ajoutez-y une tripotée d'enfants, une belle pelletée de sentiments exacerbés, puis la force imputrescible du désir, agitez fortement le tout, vous obtiendrez un roman haletant, qui se lit d'une traite, tant la montée (de lait) vers un final paroxystique est addictif.

      Avant ce livre de Cécile Coulon, j'en avais déjà lu deux autres qui m'ont laissé franchement mitigé : d'abord Le rire du grand blessé, une fable d'anticipation sur l'avenir des livres sous une dictature, sujet qui avait tout pour me plaire, mais qui au final s'est avéré fort décevant tant la narration m'a paru alambiquée avant de devenir simplement incompréhensible. Puis j'ai lu Le coeur du pélican, l'histoire d'un homme pratiquant la course à pied pour faire plaisir aux autres, outre la description de ce sport, le reste m'a laissé perplexe par le manque de crédibilité du récit. Je me suis donc lancé dans la lecture de Trois saisons d'orage, sans enthousiasme, comme pour donner une dernière chance à l'auteure de me convaincre. Cette fois-ci, paradoxalement, je me suis tout de suite senti saisi, emporté par la force intrinsèque de l'histoire, au point de dévorer les pages avec une rare frénésie.

      Dans Trois saisons d'orage, Cécile Coulon utilise deux thèmes classiques pour les magnifier : d'abord l'opposition entre campagne et ville, avec la fierté des villageois refusant toute compromission avec la cité voisine, d'autant que l'auteure construit son roman de façon à ne se rendre quasi jamais en ville ; puis la lutte constante entre l'homme et la nature, avec cette idée pourtant surfaite de pouvoir dominer et discipliner les turbulences de la nature, parfois fougueuse par nature, si je puis dire !
      Cécile Coulon nous parle des Trente glorieuses, cette période où tous les espoirs étaient envisageables notamment celui que chaque génération vive mieux que la précédente. Cette vision d'une époque révolue évoque la notion nostalgique de paradis perdu, d'un monde qui ne pourra plus désormais bien se porter, qu'hier semblait plus humain que demain.

      Ce roman montagnard est plein d'odeurs, il sent la pierre, la terre, le bétail, l'air pur, l'eau et le feu. Trois générations vont s'y succéder, pour leur bonheur et leur malheur : sous la force d'éléments incontrôlables qu'ils soient humains ou naturels. On y suit l'évolution d'un village à travers le temps, sous l'action d'un entrepreneur exploitant une carrière de pierre, d'un maire dynamique, de la descendance d'une famille d'éleveur et d'un consciencieux médecin. 

      L'écriture n'a rien de fade, elle est puissamment vivante, immanente et minérale, à la fois dure comme la roche, et sensible comme une toile d'araignée. Elle accroche le lecteur dès l'incipit, pour ne le laisser qu'au point final, encore haletant et éprouvé de ressentis variés. Cécile Coulon excelle dans la psychologie de certains protagonistes et de la confusion de leurs sentiments.

      Ne comptez pas sur moi pour vous raconter le début de l'histoire, cela déflorerait une partie de votre plaisir de lecteur.
      Par contre, l'un des plaisirs qu'offre ce roman est d'anticiper ce qui va advenir, de deviner l'avenir des protagonistes.
      A noter que le point final, n'en est pas un pour moi, puisque un événement postérieur peut rebattre les cartes, impossible d'en dire plus sans spolier la fin, mais toute personne qui s’interrogerait sur ce fait n'aura qu'à me poser la question dans les commentaires, j'y répondrai avec joie.

      Entre volonté de construire et fatalisme ancestral, Trois saisons d'orage nous décrit des hommes dignes, des femmes fières, dans un univers sauvage et minéral.




19 juin 2017




HAÏKU   Partie LIII

°°°°°°°°°

antique grille forgée
un enfant entre
le cri d'une autre époque

ciel bleu
sur pavés blancs
une ligne de fourmis rouges

paisible jardin de juin
noyé de parfums
jusqu'au divin

sieste du jardinier
sous saule-pleureur
- ronflements

migrants de juin
griffés de soif et de faim
sous soleil inhumain



" Le coeur du pélican "   de Cécile Coulon   11/20


      Un couple sans histoire avec deux enfants, Helena et Anthime, emménage dans une bourgade terne, comme tant d'autres. Durant son parcours scolaire, Anthime se fait remarquer pour sa rapidité exceptionnelle à la course. Pris en main par un coach frustré, il gravit vite les échelons pour atteindre un niveau fort honorable. Devant ses succès insolents, les habitants de la région l'ont surnommé le Pélican, une sorte de mythe référence de la localité, le début de la gloire.
      Mais un jour, lors d'une compétition essentielle, ses tendons mal entraînés le trahissent en plein élan. Foudroyé par la trahison de son corps malmené, il comprend qu'il devra oublier toute espérance de reprendre la course. Dans sa chute, il perd ses rêves de notoriété, de grandeur, et d'estime de soi. Dès lors, sans volonté, il s'enfoncera dans une médiocrité facile. Faisant le sacrifice de son amour pour Béatrice, il se laissera épouser par Joanna, une femme sans charme ni attrait, et deviendra un type bedonnant et maussade.
      Vingt ans plus tard, une humiliation giflera méchamment son orgueil. Sa colère lui redonnera des ailes, mais pour quel destin ?

      Incontestablement, le point fort de ce roman est cette écriture à fleur de peau et au style si incisif. Avec une précision chirurgicale, elle dissèque les sentiments d'amour, de violence, de souffrance, de rage et de désespoir des quatre principaux protagonistes. De même les sensations de douleur et de joie de tout coureur à pied sentent le vécu, l'expérience réelle. Pas de doute, Cécile Coulon ne peut que pratiquer assidûment cette discipline, les descriptions y sont trop justes, trop appropriées, pour être dues au hasard aléatoire de son imagination.

      Maintenant, le gros bémol de ce roman réside dans la crédibilité et la logique psychologique des personnages. D'abord Anthime, ce roi déchu, qui tente un dernier tour de piste, est d'un calme olympien tout au long du récit. Puis, dans la dernière partie où il est âgé de 38 ans, on apprend que sa sérénité était feinte, trompeuse. En effet, toute sa vie il fut un rebelle caché, un contestataire silencieux, un être en souffrance de l'intérieur, qui a toujours exécré tout ce que fut sa vie, sauf sa soeur avec qui il partageait une complicité limite compromettante. Apparemment il ne prenait aucun plaisir à courir, s'il le faisait c'était pour les autres, pour leur faire plaisir. Ce sont les foules en l'acclamant qui sont responsables de la vie sportive qu'il a eu. Certes, il est vrai que dans une certaine mesure l'attitude des autres peut nous influencer dans nos propres actions, nos propres décisions, mais de façon relative, à la marge. Vouloir tout rejeter sur les autres dénote une absence cruciale de jugement, de libre arbitre. Faut-il lire que chaque individu ne serait en rien responsable de lui-même ? Ce n'est pas moi, ce sont les autres, Monsieur, ils m'ont tellement endoctriné avec leur désir de m'aider. Allons allons, du discernement, de la subtilité, une gamme de nuances manque cruellement à cet extrémisme comportemental.
      De plus, toute cette haine accumulée pendant 38 ans, ressort d'un seul coup dans une scène ultra violente, quasi insoutenable. Le frêle adolescent qui la subit, bizarrement n'en meurt pas, il s'est pris l'équivalent d'un 45 tonnes en pleine poire, mais ça va ! Ça pique un peu d'accord, mais ça va. Bonjour la crédibilité !

      Ensuite le personnage de Béatrice, la belle sportive, très grande amoureuse d'Anthime, qui naturellement ne va pas le voir concourir le jour de la chute fatale de son bien-aimé, ne fait presque rien pour forcer le destin en venant lui remonter le moral, et finalement, se dépêche de partir loin de lui. Démarche tout à fait logique, son adoré voit sa vie de sportif se fracasser au sol, et elle, elle se barre, elle se casse loin de lui, pourtant elle est toujours folle d'amour pour lui, c'est écrit, ou alors elle est folle tout court !

      Puis Joanna, la femme d'Anthime, celle qui l'aime depuis toujours, mais qui sait aussi depuis toujours qu'il n'y a aucune réciproque dans son sentiment amoureux. Toute sa vie elle vivra avec un homme qui ne la regarde pas, mais bon c'est comme ça. Elle aimera pour deux et puis c'est tout. Bah voyons !

      Faut-il que je revienne sur les absences du roman, les oublis volontaires, le manque probant d'explication ? Est-ce au lecteur de boucher les trous, d'expliquer le pourquoi des comportements contradictoires et illogiques ? Faut bien qu'il bosse un peu, non ?
      Et encore, d'où vient la colère d'Anthime ? S'il fait du sport pour faire plaisir aux autres, le jour où tout s'arrête, il devrait être fou de joie ! Bah non ! 
      Sans oublier la fin, avec cet havre de paix, cet hébergement salvateur, trouvé de façon providentiel à l'étranger dans une maison partagée entre un père et sa fille, tout ceci sans une quasi once d'explication. Héberger un psychopathe ne leur pose aucun problème. Et puis que fait la police ? Interpol aurait-il été dissout ? Le jeune lynché  a-t-il vraiment porté plainte ? A moins que ce ne soit un grand masochiste, allez savoir ! A-t-il conservé des séquelles ? Comment peut-être raisonnablement encore en vie ? 
      Dès lors, concevoir de l'empathie pour des personnages dont on ne comprend pas le raisonnement s'avère difficile. Leur logique illogique nous file entre les doigts, tel du sable fin. Naturellement, ce livre parle de la grande complexité des sentiments humains, de leur contradiction, de leur inappréhension, de leur irrationalité. Avec ces codes, j’augurais d'une fin plus cohérente, mais je me suis perdu dans les méandres de l'imagination aérienne et intangible de Cécile Coulon.

      A mes yeux, seule l'écriture, mais quelle écriture sauve ce roman trop peu plausible, elle dégage une puissance peu compatible avec l'âge de son auteur : 24 ans à la sortie du livre. Où va-t-elle chercher cette acuité, cette sensitivité, cette émotivité ? Peut-être cache-t-elle quelques démons intérieurs ? Peut-être suis-je totalement passé à côté de ce roman, mais ceci n'est que mon modeste avis, et j'invite ici toute personne à m'apporter la contradiction.



18 juin 2017



" Seul dans Berlin "   de Hans Fallada   19/20


      Mai 1940, Berlin fête la capitulation de la France. L'enthousiasme nazie excelle de tous les berlinois... enfin presque. Le couple Quangel vient d'apprendre que leur fils unique est tombé sur le champ de bataille. Affligés et désespérés, ils chercheront un exutoire à leur douleur et le trouveront dans l'écriture de cartes postales, dénonçant les crimes d'Hitler, qu'ils déposeront dans les cages d'escalier d'immeubles berlinois, inondant ainsi la capitale de messages subversifs visant à soulever une armée de résistants contre le pouvoir en place. Ils déjoueront la Gestapo pendant plus de deux ans, avant de connaître une cauchemardesque descente aux enfers, dans une dignité remarquable.

      Ce roman inoubliable raconte, sur plus de 700 pages, ce qui se cache derrière la façade éblouissante et triomphale du troisième Reich, en plein coeur de Berlin. On y découvre la vie de tous les jours des berlinois habitant de modestes immeubles où règnent bien souvent la misère, la méfiance et la terreur. Il y a Frau Rosenthal, juive, sans nouvelle de son mari arrêté depuis plusieurs semaines, qui trouvera un réconfort auprès de l'un de ses voisins, alors que d'autres pilleront son appartement ; il y a Baldur Persicke, jeune recrue des SS qui terrorise sa famille et s'autorise toutes les permissivités ; il y a Frau Eva Kluge, postière, quasi abandonnée par son mari, se tuant à la tâche pour élever dignement ses deux enfants et qui sera inconsolable d'apprendre que l'un d'eux commet les pires atrocités sous l'uniforme SS ; il y a Frau Trudel, une jeune communiste qui rêve de résistance mais que les aléas de la vie rendront plus sage, avant de se voir dramatiquement rattraper par son passé ; il y a Escherich, l'inspecteur charger de dénicher l'auteur des cartes postales, policier perspicace qui se verra mettre en face de ses responsabilités par le traître à la nation nazie qu'il poursuit (l'une des plus belles scènes du roman) ; il y a toute une flopée de berlinois vivant sous le joug d'une dictature, tremblant de la moindre dénonciation pour n'importe quoi, des motifs futiles, des broutilles pouvant vite conduire dans les sous-sol délétères de la Gestapo, avec l'accusation de haute trahison suspendue comme une épée de Damoclès au-dessus de leur misérable existence.

      La puissance intrinsèque de ce roman est de nous faire partager les conditions de survie réelle des simples citoyens allemands, juifs ou non, pendant le début des années 40 à Berlin. Le tableau est décrit avec un réalisme troublant, d'une sincérité totale. Tout y est, du lâche au convaincu ; du craintif au courageux ; du vautour cherchant à se repaître sur le dos de nombreux allemands dans le besoin, à l'extraordinaire comportement d'un simple quidam envers une personne en grand danger ; du nazi le plus autoritaire et corrompu, à la grandeur d'âme d'un homme ordinaire tout en lutte silencieuse pour une cause ultime : la liberté entière de penser et d'agir. Chacun agira en fonction de sa conscience, encore que pour certains, elle est plus que bien cachée.

      Ces quelques 750 pages se lisent, presque, d'une traite tant la tension est vite portée à son paroxysme, tant l'histoire nous touche, tant l’empathie fonctionne sans frein, tant l'ambiance dramatique de cette époque est parfaitement retranscrite grâce au talent de Hans Fallada

       L'écriture, toute en délicatesse, se tient au plus près des personnages, privilégiant, avec une grande aisance, les scènes de dialogues où chacun ne peut cacher longtemps ses sentiments profonds. Une écriture au service de l'histoire, voire de l'Histoire
      Écrit en 1946, ce roman se verra décrit par Primo Lévy comme : L'un des plus beaux livres sur la résistance allemande anti-nazi.
      Ce roman n'est heureusement pas uniquement noir et funèbre, il se referme sur une magnifique page d'espoir, apportée par une jeunesse digne et respectable, comme-ci un monstre, un moloch, avait accouché miraculeusement d'un vent salvateur pour demain.

      Seul dans Berlin, livre tiré de faits réels, est un hommage à tous ces héros résistants, courageux et anonymes, dont l'Histoire, cette grande amnésique, n'aura pas su ou pas voulu retenir leurs noms. Hans Fallada excelle dans la description de la force morale, de la dignité, de l'absence de tout compromis et de l'importance du sacrifice qu'il faut pour s'engager sur la voie de la contestation, du désaveu et de la révolte, surtout en 1940. De ce fait cette oeuvre est hautement universelle, à lire absolument.

      A noter que personne n'est parfait, car même parmi les héros de ce roman, certains partagent un fond d'antisémitisme latent, peut-être hérité d'une propagande démagogique (pléonasme), ou d'un atavisme indélébile (re-pléonasme), comme quoi tout n'est jamais tout rose ou tout noir, les nuances sont partout, du moins chez ceux qui savent reconnaître les extrêmes.

      Tout petit bémol : la facilité avec laquelle les protagonistes principaux se retrouvent, par hasard, dans les rues de Berlin. Mais tout lecteur comprendra vite qu'afin de ne pas multiplier de façon exponentielle les personnages, il faut s'autoriser quelques raccourcis, l'essentiel est ailleurs.

      Oeuvre époustouflante avec deux niveaux de lecture, celui d'un 
extraordinaire polar haletant d’angoisse et de suspens, et celui, essentiel pour moi, d'un témoignage poignant sur la vie faite de souffrance et de persécution d'un peuple vivant sous le joug d'une dictature. Roman absolu, primordial et donc... indispensable !


17 juin 2017



" Instructions pour sauver le monde "   de Rosa Montero   17/20

      Dans un Madrid, à la fois grande cité moderne et délabrement de certains quartiers, deux hommes et deux femmes vont être le jouet d'un destin désinvolte. D'abord Matias, un chauffeur de taxi veuf, inconsolable du décès de sa femme et cherchant absolument un coupable à ce drame. Puis Daniel, un médecin urgentiste désenchanté, dont la vie de couple n'a plus aucun piment et dont la seule chose qui le fasse vibrer sont les espaces virtuels de Second Life. Sans oublier Fatma, une superbe prostituée africaine, ayant vécu l'horreur ultime dans sa jeunesse, mais accrochée à la vie malgré tout grâce à son totem : un petit lézard tout vert, qu'elle considère comme la réincarnation de son frère mutilé sauvagement par une quelconque armée tribale. Et enfin, Cerveau, une vieille scientifique de 70 ans, un peu pédagogue mais beaucoup alcoolique

      Autour de ce quatuor règne un univers d'inquiétude, car une série d'assassinats sur des personnes (très) âgées a lieu dans la capitale espagnole, le mystère est entier d'autant que les victimes sont retrouvées avec un étrange sourire dessiné sur les lèvres, comme si mourir était synonyme de plaisir retrouvé.

      Ce texte ne peut laisser indifférent tant la puissance des sentiments est exacerbée, autant dans le sens du bien que dans celui du mal. En effet, en début de roman ces quatre protagonistes ne sont pas épargnés par le destin, chacun traîne ses propres cicatrices et traumatismes, dans une vie devenue sans sel donc sans goût. Puis, telle une brise légère soufflant sur la ville, se lève un vent d'espoir, de compassion et d'altruisme, qui dépose enfin quelques pincées d'affabilité et de bienveillance dans l'existence de ces meurtris de la vie. Une osmose inespérée s'élabore, entraînant dans son sillage d'autres adhésions qui renverseront les barrières extérieures, mais surtout intérieures, libérant des étincelles de bonheur. Seulement cette force perdurera-t-elle dans le temps ? Les nouveaux rêves ont-ils une chance d'être pérennes ? Naturellement, chaque individu possède sa propre réponse ancrée en lui. 

      Vous l'aurez compris, la force de ce roman réside dans son réconfort moral, avec cette affirmation : non tout n'est pas perdu, si les forces malignes sont considérables, la résistance s'organise, que ce soit dans un sourire ou dans une action plus pertinente, ce qui compte c'est d'aller vers les autres, de leur parler et de les écouter. Et naturellement, quasi sans effort, un bien-être sain naîtra dans nos cœurs. Egoïstement, faire du bien aux autres pour aller mieux soi-même !

       Parmi les thèmes abordés, il y a celui des couples émoussés, vieillissants, ceux qui ne sont plus dans l'amour absolu, mais qui ne se quittent pas pour autant, cherchant à transformer l'amour passion en tendresse profonde. A l'instar de cela, Rosa Montero sait mettre en scène, sans complaisance mais avec une singulière affection, des hommes et des femmes furieusement humains dans leur complexité et leur bassesse. Chacun d'une manière différente va participer à l'amélioration de son monde, et de celui des autres dans un élan de grâce insoupçonné. Même si tout ceci ne sera qu'éphémère, ils auront au moins eu la fierté de faire exister un moment salvateur, qui pourront qui sait, faire des petits ? D'ailleurs ce roman n'est pas sans me rappeler l'extraordinaire film de Jean-Pierre Jeunet Le fabuleux destin d’Amélie Poulain.

      Lecture revigorante, écrite dans une belle langue, où hasards et coïncidences vont s'harmoniser, parfois dans la douleur, parfois dans la libération et l'épanouissement pour aboutir à une exaltante fable pour adulte.