31 oct. 2017


" Le gang des rêves "    de Luca Di Fulvio  15/20


      1907. Dans le sud de l'Italie en plein coeur de la Calabre, Cetta luminita, une  jeune fille de 14 ans se fait violer par un ami du patron de sa mère. A cette époque, les propriétaires terriens ont tous les droits, ils profitent allègrement de la misère d'une population, contrainte d'accepter toutes les volontés de leur patron, si elle veut subsister. Cetta tombera enceinte et n'aura plus qu'une idée en tête : quitter ce pays de soumission, de pauvreté et de malheur pour tenter sa chance en Amérique. En 1909 avec Christmas, son très jeune enfant, elle s'embarque de Naples pour New-York, vers son rêve américain.
      Cetta connaîtra Ellis Island, l'île où sont triés tous les migrants venus d'Europe s'offrir une nouvelle vie. C'est la prostitution qui lui permettra de subvenir à ses besoins et à ceux de son fils, Christmas, ce petit bout de chou, la lumière de son âpre vie. Après avoir traîné sa pauvreté entre gangs adverses, Christmas verra sa gouaille naturelle lui servir de planche de salut, dans un pays où la radio prend son essor, et où le cinéma muet ne va plus tarder à prendre la parole.
      Dans un contexte plus que dramatique, Christmas fera la connaissance de Ruth, une belle jeune fille juive. Une histoire d'amour se nouera, mais la richesse de l'une et la pauvreté de l'autre seront des barrières infranchissables par nos deux jeunes tourtereaux... mais avec le temps et une passion indéfectible chevillée au corps, tout est permis, on est en Amérique oui ou non ?

      Ce roman, conditionné en petits chapitres accélérateurs de rythme, se lit d'une traite malgré ses plus de 900 pages. Un vrai page-turner ! Une fresque à la dimension des Etats-Unis. De la famille des sagas dont on devient vite addict.

      Il est plutôt attrayant de revivre le si renommé "rêve américain" d'une jeune italienne et de son fils, s'efforçant de garder la tête hors de l'eau, dans une ville en pleine prohibition où humiliation, rivalités entre gangs, ségrégation, lutte des classes et paupérisation se côtoient, se bousculent, s'entremêlent avec une frénésie rare.
      Luca Di Fulvio nous offre un portrait social d'une Amérique en pleine mutation. Un pays qui cherche ses marques, se crée des repères, se construit malgré les échecs, même si les laissez-pour-compte, les moins-que-rien seront avalés sans scrupule par un capitalisme vorace et inextinguible. Il entendait toutes les rengaines sur l'Amérique, l'extraordinaire nation qui promettait tout mais qui, à eux, ne donnait rien... ce qu'elle promet tu l'obtiens pas par le travail, comme on nous le raconte : tu dois le prendre par la force, même si t'y perds ton âme. L'important c'est d'arriver... et pas comment tu arrives.
      Il y a comme la patte de Martin Scorsese derrière cette fresque à la fois new-yorkaise et hollywoodienne, à moins que ce ne soit du côté de Sergio Leone qu'il faille pencher et de son inoubliable Il était une fois l'Amérique, tant les images de ces deux réalisateurs s'affichent en pensée en cours de lecture. Autrement dit, la barre est haute ! L'obstacle est-il aisément franchi ? Patience j'y viens bientôt !

      Dans Le gang des rêves, l'auteur met le doigt sur la violence faite aux femmes : Cetta met en garde son fils, il a le droit de tout faire dans la vie, mais s'il frappe une femme, elle le tuera de ses propres mains ! Pertinemment, l'auteur traite de la désillusion du rêve américain, de toutes ces carrières à l'ascension vertigineuse mais à la chute tragique. On suit également la naissance d'Hollywood, avec l'arrivée des premières stars et des dérives inhérentes à un tel engouement. Il évoque aussi le sentiment de dignité, dont certaines personnes s'affublent même au travers d'une grande pauvreté, comme le signe d'une appartenance à l'humanité malgré les coups de boutoirs que leur assène la vie. Cependant, le sujet principal, incontournable oserais-je dire, c'est l'AMOUR, celui qui transforme, celui qui porte au-delà des épreuves, celui qui fait espérer... même si cela va à l'encontre d'une vieille société pleine de conventions castratrices, et celui qui triomphe enfin... dans un bonheur indicible, l'acmé du coeur !

      Il défile sous nos yeux toute une galerie de personnages ignobles ou séduisants, couards ou audacieux, taiseux ou fanfarons, féroces ou rassurants, des hommes et femmes ayant touchés du doigt leurs rêves, avant bien souvent de se brûler les ailes au soleil de la gloire. 

      Il m'est vite apparu, dès le début de la lecture, des similitudes avec un roman de Jack London (que je considère comme un chef-d'oeuvre) : Martin Eden. En effet, le parcours de Christmas, le personnage principal, débute dans la misère pour s'achever dans le succès. Il tombe éperdument amoureux d'une jeune femme très riche s'appelant Ruth, comme par hasard, mais une terrible barrière sociale les sépare, afin de l'abolir il gravira un à un les échelons d'une certaine gloire. De plus il roule dans une Oakland et les parents de Ruth vivent  à Oakland, comme les propres parents de Jack London ! Et je n'évoque pas les périodes des récits qui coïncident parfaitement.
      Aucun doute, Luca Di Fulvio a emprunté toute cette dramaturgie à Jack London, non pas pour en faire une sorte de vulgaire plagia, mais pour rendre hommage à l'auteur exceptionnel qu'était Jack London. D'ailleurs Luca Di Fulvio, afin de supprimer tout soupçon de copiage, avoue en deux fois cet emprunt dans la deuxième partie du roman. Comme une incitation pour son lectorat de découvrir les qualités extraordinaires de Martin Eden.

      Néanmoins, malgré les grandes qualités du roman, je garde une certaine réserve, peut-être due aux critiques dithyrambiques qui m'ont donné une envie irrésistible de le lire ? J'en attendais donc beaucoup, malheureusement le contrat n'est pas rempli dans son entièreté. D'abord pour ce passage succinct en Calabre, j'étais en espérance de paysages, de lumières, d'odeurs, d'une ambiance méditerranéenne, d'un cadre typique, d'une atmosphère ensoleillée. Et bien non... c'est balayé en trois pages ! Un peu court jeune homme !
      Puis la traversée vers New-York se voit affliger le même traitement : succinct à l'extrême, on était plus à 50 pages près !
      Ensuite, l'arrivée à Ellis Island m'a donné l'effet d'une situation déjà vue ou lue d'innombrables fois, doublée du seul avenir possible pour une jeune immigrée : prostituée ! Trop facile ! J’aurais aimé de l'originalité, de l'audace, plutôt que de tomber dans des poncifs si navrants et attendus. 
      Puis enfin, s'il y a une protagoniste sur laquelle l'auteur s'étend hélas trop peu (sans vouloir faire un graveleux jeu de mots), c'est bien cette brave Cetta, on dirait une simple figurante qui n’est là que pour mettre en valeur son fils, alors qu'il y a une humilité, une sincérité, une générosité dans cette femme, qu'à nouveau 50 pages supplémentaires n'auraient pas été mal à propos ou saugrenues.
      Une toute dernière couche avec ces inévitables fils blancs, indispensables pour boucler une histoire, mais néanmoins si choquant à la lecture, devenant ainsi délibérément moins crédible et moins convaincante.

      Pour conclure, Le gang des rêves vous fera passer des bons moments et des nuits blanches, c'est sûrement ce que certain(e)s recherchent dans un roman, et vous aurez totalement raison... mais stupidement, moi, je place la barre un peu plus haute... trop bien sûr, je suis d'accord avec vous ! Mais que voulez-vous, on ne se refait pas, et avec l'âge toutes ces choses s'accentuent ! Ah... pauvre de moi !



25 oct. 2017


" L'archipel d'une autre vie "   de Andreï Makine   17/20


      Aux confins de l'Extrême-Orient Russe, chahutées par le souffle du Pacifique, s'étendent des terres qui semblent oublier la marche du monde. Pourtant en août 1952, autour du village de Tougour et en plein coeur de ce pays de taïga, des manœuvres militaires furent organisés en vue de tester la résistance des hommes face à un possible conflit nucléaire. Suite à l'évasion d'un prisonnier russe, un groupe de soldats fut détaché des manœuvres afin de rattraper le fugitif, et de le punir sévèrement pour l'exemple, n'oublions pas que Staline était toujours au pouvoir et que sa paranoïa s'accentuait jusqu'à la limite de l'absurde.
      Pavel Gartsev, l'un de ces hommes, verra sa vie ébranlée par cette épreuve hors du commun... aux frontières de l'expérience métaphysique. Parmi ses compagnons de chasse, le soldat Gartsev sera confronté au responsable du groupe, Louskass, un commissaire politique sadique à l'extrême (pléonasme), Boutov, un officier ivrogne,  Ratinsky, un arriviste ne souhaitant que plaire à son chef afin de gripper dans la hiérarchie, puis Vassine, un sergent au vécu douloureux, dont les doux rêves l'empêchent d'en finir.
      Difficile d'en dire plus sans défricher inutilement tous les rebondissements du roman. 

      L'archipel d'une autre vie, est un grand roman par l'ampleur et la profondeur des sujets évoqués. Notamment, niché en chacun de nous, ce feu intérieur, ce monstre devrais-je écrire, qui excite nos peurs, qui anime nos égoïsmes, qui pousse au paroxysme nos désirs les plus sombres, et qui fait de nous tous des dangers en puissance, des bombes à retardement. Il y avait cette femme dans sa nuit solitaire et, à si peu de distance d'elle, nous ces hommes qui, quelques heures auparavant, étaient prêts à la torturer dans une saillie de bêtes... Les philosophes prétendaient que l'homme était corrompu par la société et les mauvais gouvernants. Sauf que le régime le plus noir pouvait, au pire, nous ordonner de tuer cette fugitive mais non pas de celui de lui infliger ce supplice de viols. Non, ce violeur logeait en nous, tel un virus... 
      ... Le pantin implanté dans nos cerveaux, rendait chimérique toute idée d'améliorer l'humanité. 
      ...mais sans lui, le monde n'aurait pas eu d'histoires, ni de guerres, ni de grands hommes. Redoutable constat amère d'une humanité qui porte si mal son nom.

      Par l'intermédiaire du peuple des Néguidales, Andreï Makine évoque tous ces peuples sauvagement bousculés par une autorité drastique, au nom d'une idéologie captieuse. Et qui furent condamnés à obéir sous peine de représailles inouïes.

      De la mer d'Okhotsk à l'archipel des îles des Chantars, des rives de l'Amour à celles de la rivière  Amgoun, le personnage central, incontournable est sans conteste cette nature sublimée par les mots de l'auteur. Cette nature qui vie à son propre rythme, libre et indépendante, brute et sauvage, colérique ou apaisée, qui n'a que faire des régimes politiques, de l'humeur des hommes, des conflits en préparation. Cette nature entière, pour toujours insoumise et fière de l'être. Seuls ceux qui ont la sagesse de l'écouter, de faire corps avec elle, de rentrer en communion avec elle, de l'épouser, pourront accéder à un état de grâce et de sérénité intérieure, bien loin des valeurs prisées par une soi-disante modernité où seul consommer est le but ultime de la vie.

      Originaire de Sibérie, Andreï Makine est incontournable pour saisir avec vigueur l'histoire agitée et fiévreuse de le Russie, la folie des hommes et le rude climat qui baigne cette partie du monde. D'autant que sa plume magnifie ces différents éléments, il transpire au travers du roman une vraie recherche de chaque mot, de chaque phrase. L'ensemble restera pour longtemps dans ma mémoire, comme un voyage en contrée hostile, où l'homme perdu dans son égocentrisme brasse du vent au lieu de se poser et d'admirer les beautés et la richesse de son peuple et de son pays, afin de simplement... VIVRE !



22 oct. 2017


HAÏKU   Partie   LXVII

°°°°°°°°°

paysage de brume
dessiné aux crayons de couleurs
puis gommé par le temps

petit plaisir -
se lever très tôt
respirer l'odeur de l'aube

chaque vie
succession de couches
mille-feuille unique

nos souvenirs -
une traînée de poudre
dans la poussière du temps

tous nos morts
sont vraiment morts
si on les oublie


16 oct. 2017

" Amours "  de Léonor De Récondo   17/20

      

      En 1908, Anselme de Boisvaillant et sa femme Victoire vivent dans une belle maison bourgeoise, en plein coeur de la Touraine. Lui est notaire de père en fils, veuf et sans enfant, il espère avec son nouveau mariage une ribambelle d'enfants. Victoire, âgée de 25 ans, est mince et corsetée, elle lit Madame Bovary et envisage le sexe avec son époux comme un enchevêtrement immonde. Victoire vit enfermée dans ses peurs, d'ailleurs elle ne s'est jamais regardée nue dans une psyché, considérant son corps comme une abstraction bien laide.
      Après 2 ans de mariage, le ventre de Victoire reste irrémédiablement plat, au grand dam de son époux, de sa mère et de sa belle-mère. Anselme, lassé des stratagèmes de Victoire pour éviter l'acte sexuel, se console avec Céleste, la bonne à tout faire, qui prie tous les soirs la Sainte Vierge afin d'être protégée. Il faut dire qu'elle est jeune et plutôt sensuelle, et ne sais que dire à son patron, un goujat qui la besogne avec brusquerie, avant de se rhabiller vite fait pour rejoindre son bureau.
      Naturellement, un beau jour, Céleste tombe enceinte, elle redoute alors d'être renvoyée... mais chez les gens riches, on trouve toujours un moyen de s'arranger : un enfant en trop ici, un autre qui manque là, un équilibre à rétablir, c'est tout.

      Jusqu'ici, c'est un récit lu mille fois, mais le génie de Léonor De Récondo est d'offrir à ses héroïnes un destin plus copieux, en élargissant leur horizon bien limité. Difficile d'en dire plus sans spolier la suite, juste un indice : le titre est au pluriel.

      Léonor De Récondo s'en donne à coeur joie en dynamitant une société corsetée qui arrive en bout de course, les coutures craquent, les corsets finissent au feu, les robes parisiennes deviennent resserrées à la cheville, l'amour est multiple, il y a de la liberté dans l'air, comme des effluves révolutionnaires, sans aucun doute les prémices du féminisme. C'est une Madame Bovary intelligemment revisitée, totalement dépoussiérée... oserais-je dire ! De plus, aucune lourdeur stylistique ne vient gréver le propos, il y a un rythme, une fraîcheur, une espièglerie, une sensualité, une fluidité, dans ce livre, qui en font une bulle d'air suave à souhait.

      A lire  ce livre, émerge la deuxième vie de l'auteur : violoniste baroque. La construction du roman peut s'identifier au rythme d'une partition, tout y est musique, comme lorsque Victoire frappe nerveusement les touches du piano, afin de ne plus entendre les cris du nourrisson, ou quand elle se plonge mentalement dans la partition de la sonate au clair de lune de Beethoven, avant de la restituer avec toute la passion qui étreint son être.

      En conclusion, Amours exprime la beauté de la puissance du désir, l'éternel combat contre les conventions castratrices d'espoir et l'admirable sens du sacrifice. 




12 oct. 2017




HAÏKU   Partie LXVI

°°°°°°°°°

ivre de lecture
je titube
trop plein de mots

l'odeur des pages
c'est déjà
un parfum d'ailleurs

pause lecture
agaçante mouche
pouf... mouche marque-page  !

la jeune chinoise Li Bré
tant de sourires aux lèvres
qu'on dit d'elle... Li brè rit !

une journée sans lire
passe encore
mais sans haïku !


Wedding Cake sur Coco Chanel :







Ou thème princesse :









A bientôt !

9 oct. 2017


HAÏKU   Partie LXV

°°°°°°°°°

fleur de liseron si bleu
si éphémère
topaze automnale

boire un bon rouge
plutôt
que de broyer du noir

du sport régulièrement
ah oui
pour mourir en bonne santé

imprégnant la nuit
cette voix si douce
chuchotis de la lune

trois heures du matin
un cri dans la nuit
mon réveil !


8 oct. 2017

" Kaputt "   de Malaparte   10/20


      L'auteur est né près de Florence en 1898. A 16 ans, en 1914, il s'échappe de son collège italien, traverse la frontière, et s'engage en tant que volontaire dans l'armée française (l'Italie était neutre à l'époque). Blessé en Champagne, il reçoit une distinction : la Croix de Guerre.
      En 1933, son livre Technique du coup d'état, dénonce les rouages de tout totalitarisme (le nazisme et le fascisme), premier livre, sur ce sujet aussi brûlant à être publié en Europe. En remerciement, Mussolini l'envoie pendant 5 ans réfléchir en déportation sur l'île de Lipari. 
      En 1941, les allemands le condamnent, à leur tour, à 4 mois de résidence forcée pour articles licencieux envoyés en Italie depuis le front russe où il fait le dangereux métier de correspondant de guerre

      Pendant l'été 1941, dans le village de Pestchianka, en Ukraine,  Malaparte écrit le début de Kaputt. Il est hébergé dans la maison d'un paysan nommé Roman Souchéna. Si une patrouille de SS passe par là, le moujik l'avertit en toussant. Puis il poursuit la rédaction du roman en Pologne, sur le front de Smolensk, en janvier et février 1942. Ce récit fut donc élaboré dans des conditions rudimentaires et très dangereuses. Malaparte divise son manuscrit en trois parties qu'il confie à différentes personnes en vue d'un réassemblage futur en Italie, quand les risques auront disparu.
      Ce récit a donc triomphé d'innombrables épreuves avant de pouvoir enfin voir le jour. Cela en valait-il le coup ? Certes oui, pour pénétrer, sans le moindre filtre, dans ce que la guerre a de plus monstrueux, de plus abject, zigzaguant entre cruauté et tyrannie. Ces événements sont racontés avec une telle précision qu'il semble impensable que nous ne soyons pas en face de la vérité la plus crue, celle dont est capable l'homme quand les valeurs humaines sont balayées pour des raisons d'idéologie furieusement fallacieuses. Quand toute pitié et dignité ont disparu, rendues caduques par de sombres doctrines, que reste-il ? Ce livre, comme trace indélébile de la nature profonde de l'homme.
      Seulement, ce récit n'est pas constitué uniquement de ces noirs événements. Il y a entre chacun d'eux une profusion de banquets où festoient moult représentants politiques, accompagnés de leur femme et même souvent de leur maîtresse ! En découlent de fastidieuses et longues descriptions, qui cassent la structure interne de l'oeuvre. Sérieusement, la moitié des pages sont en trop, on voit bien que l'épuration (sans vouloir faire de terrible jeu de mots) ne fait pas partie du vocabulaire de Malaparte. Un recentrage sur l'essentiel aurait salutairement agrandi son lectorat, car il faut bien le dire, j'ai souffert pour arriver jusqu'au lointain point final, pas à cause des horreurs narrées, mais à cause d'une prose si dense, si fertile, si verbeuse et si babillarde ! D'autant que, comme pour signer son style, Malaparte ne rechigne nullement à se répéter volontairement, sinon à balbutier ses phrases, pour les souligner exprès, ou par admiration pure et simple de son écriture. Et que dire de cette infernale et cruelle répétition du mot cruel, le mettant à toutes les sauces, à moins qu'il ne s'en serve comme d'un leitmotiv, rythmant, à l'instar d'une basse continue ou d'un glas, la vie abominable de ceux qui eurent à souffrir dans leur chair et dans leur âme de cette verrue immonde que fut, et qu'est encore en certain endroit du monde, le totalitarisme.

      Un dernier mot pour souligner sa belle et terrible description des chevaux, affolés par un incendie, se jetant dans les eaux du lac Ladoga, qui furent tous pris instantanément par la glace. En effet, comme le décrit l'astrophysicien Hubert Reeves, une eau extraordinairement pure peut rester à l'état liquide jusqu'à une température de moins quarante, il suffit qu'une simple poussière s'y mêle pour que par réaction chimique le processus de glaciation s'enclenche aussitôt. Malaparte se sert de ce fait historique datant de fin 1941 pour mettre en parallèle ce qui advient de l'Europe, puisque, en cas d'instabilités économiques, donc de grands dangers, les masses apeurées, tels les chevaux, se sont abritées sous une idéologie miroitante (encore une métaphore du lac), il suffit dès lors qu'un homme surgisse (une infime poussière), pour que cette masse s'y réfugie et que cela déclenche d'emblée l'horreur pure que fut la seconde guerre mondiale.

      En conclusion, beau et effrayant texte qu'une édulcoration aurait grandement sublimé... Dommage !

      

6 oct. 2017




HAÏKU   Partie   LXIV

°°°°°°°°°

automne -
grand balayeur
des souvenirs d'été

abondance de feuilles d'or
sans vent
s'offrent en tapis

chenapan vent d'octobre
ébouriffant
la chevelure du saule

assoiffés d'autres vies
allons boire aux points d'eau
des librairies

nos existences
si soumises
au vent du hasard




2 oct. 2017


" Le Maître du Haut Château "   de Philip K.Dick   6/20

      Déception, grande déception ! A la hauteur de l'alléchant quatrième de couverture qui donnait bigrement envie... un peu trop peut-être 

      1948, la deuxième guerre mondiale vient de s'achever sur le triomphe des forces de l'Axe (allemands, italiens, japonais), et la terrible défaite des Alliés. Vingt ans plus tard, dans les Etats-Pacifiques d'Amérique sous la domination nippone, la vie a repris son cours, presque paisiblement. Les occupants ont apporté avec eux leur art de vivre, leur philosophie et le fameux Yi King, ou livre des mutations (tiré de la doctrine du yin et du yang). Pour beaucoup d'américains il est devenu un guide spirituel primordial, si ce n'est irremplaçable.
      L'Allemagne s'est emparée de l'Europe, de l'Afrique (dont la population fut largement décimée), de la Russie et de la côte Est des anciens Etats-Unis. Elle mène toujours à l'égard des juifs sa politique d'extermination totale. Sa voracité territoriale étant sans limite, l'Allemagne lorgne maintenant sur les possessions nippones, instillant ainsi les prémices d'une guerre froide.
     Pendant cette période de tension, un livre intitulé Le poids de la sauterelle, écrit par un certain Hawthorne Abendsen, s'échange sous le manteau, surtout dans la partie du monde occupée par les japonais, car en Allemagne il est strictement interdit de le posséder sous peine de mort. Que contient ce livre ?

      Avec un pitch pareil, quel lecteur digne de ce nom pourrait longtemps résister à cette uchronie ? D'autant que Le Maître du Château est considéré comme le premier chef-d'oeuvre de Philip K.Dick ! Et qu'il a obtenu le Prix Hugo en 1963, c'est pourquoi aucune hésitation ne m'a titillé. J'ai plongé sans bouteille ! Fatale erreur !

      Pourtant ma lecture débutait bien, une histoire de négociant en objets de collection se voit confronté à un client qui l'accuse de vendre des objets fallacieusement historiques ; en parallèle un homme d'affaires suédois vient négocier un contrat avec un représentant du Japon. Puis, sans prévenir, le récit patine, s'embrouille, se complexifie, s'asphyxie, à un tel point que toute compréhension m'est refusée. Là où j'aurais aimé lire une sorte de récit géopolitique, doublé d'intrigues sous-jacentes, je ne lis qu'une succession de séquences bien mystérieuses où je ne sais qui est qui. Je sens bien que le mensonge, la duperie, l'imposture font partie intégrante du récit, mais comme rien n'est expliqué un lourd brouillard plane, cela laisse le lecteur dans un imbroglio bien abscons, excusez le pléonasme.
      Heureusement qu'en fin de roman, une postface signée Laurent Queyssi nous donne toutes les clefs pour comprendre enfin de quoi il retourne. N'aurait-il pas mieux fallu transformer cette postface en préface, afin d'avoir d'entrée les codes nécessaires à une bonne compréhension du livre ? Question de logique quoi !
      D'autant que dans l'édition de poche J'ai lu, ce roman est augmenté de deux chapitres inédits d'une suite inachevée, et qu'eux aussi laissent transparaître nettement plus de lumière que le roman de base.
      Pour obtenir des réponses sur la conduite à tenir à la moindre de leur interrogation, un grand nombre de protagonistes utilisent systématiquement le Yi King, censé décrire les états du monde et leurs évolutions. Quiconque possède un esprit cartésien conclura à l'improbabilité d'une telle méthode. En effet, soumettre chacune de ses interrogations au hasard révèle un manque total de lucidité, à deux pas d'un obscurantisme malsain. D'ailleurs, Philip K.Dick s'adonnait lui-même à cette pratique irrationnelle, dans sa vie de tous les jours comme pour la trame de ses romans.
      Philip K.Dick s'amuse jusqu'à l'outrance avec la notion de faux. Beaucoup de choses annoncées pour vraies s'avèrent fausses au fur et à mesure qu'avance la lecture, pour finir sur un twist final d'une crédibilité bien légère, à deux pas de l'escroquerie pure et simple.
    Pour finir, ce Maître du Haut Château, que j'espère voir intervenir page après page, pour faire la lumière sur tous les mystères qui planent chapitre après chapitre, ne semble daigner apparaître que dans une petite partie du... dernier chapitre ! Et juste pour dire une lapalissade ! Arnaque totale !

      Naturellement le but de Philip K.Dick est de manipuler son lectorat, de retourner complètement son point de vue, d'accord, mais pour obtenir quoi ? Jeter un coup d'oeil rapide derrière le voile de la réalité du monde ? Mais cette réalité, qui prouve qu'elle est vraie et définitive ? N'est-elle pas encore aliénation de l'esprit, qui, à l'instar des poupées russes contiennent toujours une autre version en elle-même ? Ou alors n'y-a-t-il pas, tout simplement, une vérité par individu ? 
      Sur un même sujet, et avec beaucoup plus de compréhension et de frissons à la clef, le film Matrix, lui, est un véritable chef-d'oeuvre, d'une autre tenue que ce semblant d'uchronie.

      Pour conclure, ce livre est à réécrire (excuser ma prétention), car il possède profusions d'éléments pour en bâtir un grand livre, encore aurait-il fallu remettre tout dans l'ordre avec les explications idoines, ne pas laisser les personnages se perdre dans l'infini de leurs possibilités, et construire un final digne de ce nom !




Encore des originalités de votre serviteur :
















A bientôt !