30 mars 2025


 " La perfection du tir "   de Mathias Enard   13/20

      Tout au long du roman, nous ne connaîtrons pas le nom du personnage central, juste qu'il est un soldat tireur d'élite ; nous ignorerons également dans quelle armée il se bat ; nous ne saurons pas non plus où se déroule l'action, néanmoins, tout porte à croire que nous sommes à Beyrouth, au Liban, dans les terribles années de guerre civile débutée en 1975. Aux yeux de Mathias Enard, l'important n'est pas là, car il se focalise en priorité sur l'état psychologique de son héros. 

      Ainsi, dès l'incipit, le lecteur se retrouve dans la tête de ce soldat tireur d'élite, dont le seul plaisir, en ce monde où le diable a élu domicile, est de tuer, peu importe que sa cible soit un homme, une femme, un enfant ou un animal ; sans le moindre état d'âme il tue et tue encore. Son meilleur ami, Zak, est un soldat lui aussi peu recommandable : en plus du tueur qu'il est lui aussi, il torture et viole sans vergogne. On tremble encore pour la jeune fille, Myrna, que notre tireur d'élite embauche pour venir s'occuper de sa mère dont l'état frôle la folie.

      Tout le roman se déroule dans un monde abandonné aux fouches du mal. Toutes raisons d'espérer sont jetées au néant. La loi du chaos règne sur ce pays en déreliction, là encore, se roman pourrait porter allègrement le titre d'un livre de Donald Ray Pollock : Le diable, tout le temps.

      L'idée de Mathias Enard est d'élaborer le processus démoniaque qui transforme un jeune homme équilibré en bête féroce sans conscience, dont le seul plaisir, la seule jouissance est d'exécuter l'acte de tuer, comme un acte solennel. Certes, je comprends bien la perversion de la guerre sur les hommes, cependant certains passages sont en dehors de ma compréhension : comment accepter que l'on s'oppose à un viol, tout en ne voyant rien de répréhensible à assassiner la personne violée ?

      Roman noir sans espoir, et encore, c'est un euphémisme.


26 mars 2025


" La vie en sourdine "  de David Lodge   12/20

      Desmond est un professeur de linguistique, récemment à la retraite ; malheureusement, il a de gros problèmes d'audition. Lors d'un vernissage, alors qu'il n'entend et donc ne comprend pas un traître mot de ce qu'on lui dit, il répond par politesse et au petit bonheur la chance à une étudiante venue des States. 

      En partie autobiographique, ce roman, comme tout ceux de David Lodge, flirte entre l'humour et le tragique. Il sait tirer le cocasse de chaque situation avec une adresse, une verve, et même une tendresse, chaque fois renouvelées, notamment avec les tracas innombrables que doivent affronter quotidiennement les porteurs d'appareils auditifs.

    Néanmoins, bien qu'amusantes, les démélées de Desmond avec sa femme, ses enfants et son père, traînent souvent en longueur. On aimerait qu'il se déroule plus de choses intéressantes et pittoresques dans sa vie. Heureusement qu'Alex Loom, l'étudiante américaine au comportement énigmatique, est là pour mettre du piment, et ainsi maintenir une attention bien vacillante par ailleurs. On lui doit, du reste, les meilleurs passage du roman : des conseils hilarants pour réussir un suicide parfait ; inoubliable. Egalement un bon point émotionnel avec la visite, pleine de gravité, du camp d'Auschwitz ; respect.

      Malgré ces bonnes idées, l'histoire peine à aboutir. Il s'agit du tout premier roman que je lis de cet auteur, j'espère faire meilleur pioche la prochaine fois.


22 mars 2025


 " Sweet Harmony "   de Claire North   15/20

      Harmony Meads est une belle jeune femme belle qui habite Londres. Sa carrière professionnelle, en tant qu'agent immobilière pour yuppies, s'annonce radieuse. Le couple qu'elle forme avec Jiannis fait sensation dans les soirées branchées de la City. La vie est merveilleuse pour Harmony, jusqu'à ce qu'un petit grain de sable apparaisse, symbolisé par un simple bouton sur le visage. Dès lors, la belle mécanique du bonheur va s'enrayer.

      Dans cette dystopie quasi comtemporaine, Claire North part du principe que tous nos problèmes de santé, de beauté et d'intelligence peuvent entièrement gérés par la nanotechnologie, à l'intérieur même du corps. Il existe un régime de base pour éviter les maladies les plus graves, néanmoins pour accéder au niveau supérieur, vers des extensions très attirantes, l'échelle des prix s'envole vers des sommets. Quand on a commencé à goûter à des améliorations de son corps, comment résister à tout vouloir corriger et optimaliser ? Dès lors, la spirale infernale est amorcée, les dettes ne peuvent que s'accumuler et la chute inéluctable.

      Néanmoins et honnêtement, que ferions-nous si la technologie nous permettait ses corrections ? Remarquez, la chirurgie esthétique en est déjà une version simplifiée. Aurions-nous la sagesse d'accepter notre patrimoine génétique sans broncher et d'autoriser le temps à laisser ses marques sur et dans notre corps ? 

      Naturellement, la firme qui propose ces évolutions perfectionnées, Fullife, engrange de nombreux abonnements, transformant une avancée technologique en mine d'or financière incommensurable. L'argent, toujours lui, qui pervertit tout et tout le monde.

      Ce court roman d'anticipation soulève le lourd problème du culte de l'apparence allié à la pression sociale et à la marchandisation de la santé. Le monde manquant grandement de sagesse, cette dystopie prend dès lors une dimension réaliste. De quoi faire peur, vraiment peur.


18 mars 2025

 " Cartel 1011 " Tome 1 : Les bâtisseurs " de Mattias Köping   18/20

      La péninsule du Yucatan est située entre le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes, le lieu est paradisiaque, néanmoins, depuis des siècles, un déchaînement de violence effroyable s'y déploie. Descendants des premiers conquistadors, le clan Hernandez règne sur toute la région sous le nom d'un conglomérat : la COMEX, regroupant le BTP, les laboratoires pharmaceutiques, le réseau des eaux, l'agro-alimentaire et le tourisme, à coup d'intimidations et de corruptions, voire d'assassinats, quand ils ont affaire à des personnes incorruptibles. Actuellement, la sphère très influente des Hernandez planche sur un projet colossal : le train Maya. Véritable construction écocide visant à la destruction d'une vaste partie de la forêt équatoriale de la péninsule, de ses animaux et de ses autochtones.

      Au même endroit, entre Cancün et Tulum, vient d'apparaître un nouveau cartel : le 1011, pour asseoir son hégémonie sur les trafics internationaux, ces hommes sont prêts à tout, avec l'idée que tout obstacle devra être anéanti.

      Mattias Köping frappe très fort avec ces histoires de grands criminels à l'appétit sans limite et sans frontière. Tout peu s'acheter et tout peu se vendre : drogues, armes, sable, animaux exotiques, corps, âmes et surtout les consciences. Le peu de quidams osant leur tenir tête sont condamnés à disparaître, mais toujours dans d'atroces souffrances. L'auteur nous met en garde de cette sauvagerie inédite qui pourrait bien apparaître en Europe. Pour ce faire il nous donne les clés de compréhension du système mafieux de l'intérieur. Il nous explique le processus de corruption mis en place par des hommes sans interdit. Ainsi, on comprend mieux les rouages d'une telle mécanique infernale de destruction. D'autant plus que cette machine de guerre est alimentée en permanence par la misère, l'exil et la surpopulation.

      Que ce soit la COMEX ou le Cartel 1011, chacun cultive la négation de l'être humain, la glorification de l'argent roi et l'impunité absolue de toutes les dérives imaginables et même inimaginables. Au-delà des limites il n'y a plus de limites.

      A noter qu'une recherche importe en documentation a dû être nécessaire pour aboutir à un tel rendu. Malheureusement, captivé par ce premier opus, il faudra que je m'arme patience avant de pouvoir lire les deux tomes suivants. 

      A la lecture de la puissance du mal qui nous entoure, une question légitime se pose d'emblée : Avide de richesse, concupiscent aux désirs éternellement inassouvis, corruptible jusqu'à la moëlle, sadique à l'extrême, prédateur de toute vie sur la Terre : l'Homme, mérite-t-il de vivre ?

     Ce roman magistral et fascinant est un coup de poing dans la gueule pour narrer l'indicible. Un livre totalement inoubliable. Un acte d'explication fort sur l'état de déréliction de notre monde. D'ailleurs, ce roman est si diabolique, si cynique, qu'il pourrait emprunter sans la moindre honte le titre du premier livre américain de Daniel Ray Pollock, paru en 2011 : Le Diable, tout le temps. Pour lecteur averti.

      

12 mars 2025


" Philby, portrait de l'espion en jeune homme "   de Robert Littell   18/20

      Quelques mois après l'incendie de Reichstag, en 1933, à peine sorti de l'université de Cambridge, un jeune anglais, issu de la haute société anglaise, arrive à Vienne en Autriche où il prend une part active à la lutte contre le fascisme. Les périls s'amplifiant, pour lui sauver la vie, il épouse Litzi Friedman, la jeune Hongroise, juive et communiste qui l'a hébergée. Puis, par souci de sécurité, il la ramène en Angleterre. De retour à Londres, les services de renseignements russes cherche à le recruter...

      Robert Littell explore la jeunesse du célèbre espion Harold Adrian Russell Philby, pour en extraire sa propre vérité. Il essaie de cerner la personnalité d'un homme particulièrement "glissant" ou insaisissable intellectuellement. Qui est réellement ce jeune homme qui débarque à Vienne en quête d'aventures, quelles soient idéologiques ou sexuelles ? De quel côté vont réellement ses sympathies ? Quel fut exactement le rôle de son père, personnage lui aussi énigmatique, qui se convertit à l'Islam, parcourt le désert d'Arabie comme T.E. Lawrence et finit par achever sa vie à Beyrouth ? L'ambiguité plane sur tout le roman avant que l'auteur nous propose ses audacieuses clés de compréhension.

      Pour être honnête, il faut un certain nombre de pages avant de saisir le déroulé du récit où chaque chapitre est raconté par un protagonsite différent : une enquêtrice du NKVD, la femme de Philby, son agent recruteur, ses amis de Cambridge, etc. Chacun nous offre sa propre vision de son Philby, même si cela doit le ou la mener à sa perte. Bien sûr, nous n'aurons jamais le point de vue de Philby, qui peut l'avoir à part lui-même ?

      Ce roman est également un portrait au vitriol de Staline avec ses effroyables purges. On ressent avec une efficacité redoutable la pression qui pèse lourdement sur la tête de chaque russe, qu'il soit simple soldat ou officier supérieur. 

      Passionné d'espionnage à l'esprit retors, ce roman est pour vous. De surcroît, il apporte un éclairage intelligent sur une période trouble de l'Histoire. Passionnant.

3 mars 2025

 Petit aperçu du jardin d'hiver 2024/2025

Partie 1



Mon Bouddha au jardin se souviendra longtemps de la pluie et du gel hivernal, il en porte des traces indélébiles. Comme le vieux jardinier que je suis, le temps est assassin et n'épargne personne. Ce Bouddha-ci, est un autre moi-même.



Le cotonaester, tout resplendissant avec ses baies rouges, bien utile pour la nourriture des oiseaux l'hiver.



Le même, mais en gros plant. Toutes ces baies en grappe ont l'air bien appétissantes... non ?



Mon Camélia rampant, avec sa floraison toute en nuance de roses.



Mon second Camélia, celui-ci arbuste, avec un rose beaucoup plus affirmé, s'impose parmi un camaïeu de vert.



Voici mes dernières pousses de mâche avant leur montée en graines. Avec mes semis étalés dans le temps, j'ai réussi à en manger tout l'hiver.



Fidèles de chaque fin d'hiver, les jonquilles annoncent le retour prochain du printemps.



Dans la serre, mes toutes premières salades, de la variété Gotte Jaune d'Or, s'épanouissent doucement avant leur implantation en pleine terre.



On se quitte avec cette splendide gerbe de crocus. Rien de mieux pour redonner des couleurs à cette fin d'hiver.

A bientôt.

2 mars 2025


 

" Les guerriers de l'hiver "   de Olivier Norek   19/20

      Débutée le 30 novembre 1939 et terminée le 12 mars 1940, la guerre opposant L'URSS à la Finlande nous est racontée avec une grande précision en n'omettant surtout pas les intérêts géo-politiques avant, pendant et au sortir du conflit.

      J'avais connaissance depuis ma jeunesse de cette guerre opposant David contre Goliath, seulement j'en étais resté au résumé froidement objectif, toutefois, sous la plume précise d'Olivier Norek, ce conflit prend taille humaine et un sentiment profond d'empathie nous habite du début à la fin, d'autant que l'auteur n'invente rien, tout est vrai, il s'est juste contenté de légèrement romancer l'ensemble pour lui donner plus de corps.

      Indépendante depuis seulement 1917, la Finlande était à l'époque le pays le plus pacifique du monde, toutefois, les velléités d'expansion du troisième Reich, ont poussées Staline à prendre de force la région finlandaise, septentrionale de Léningrad. Son but était d'empêcher les armées nazies de emparer de la ville de Lénine. Naturellement, sans se préoccuper le moins du monde de l'avis des finlandais. En trois mois et demi de combat l'armée rouge perdit environ 400 000 hommes, côté finlandais les pertes furent de 22 830 hommes. Cette différence abyssale s'explique par la résistance incroyable de ce petit pays face à une armée rouge mal préparée et dont les purges staliniennes avaient décimé les officiers. Par la suite, vu la faiblesse de l'armée russe, cela encouragea Hitler à envahir l'URSS avec l'opération Barbarossa, déclenchée le 22 juin 1941.

      La force intrinsèque de récit est de nous raconter le parcours de certains protagonistes, dont la naissance d'un héros nordique : Simo Häyhä, un sniper hors norme, baptisé par les russes : la mort blanche, une véritable légende.

      Alternant les narrations entre les belligérants, les gradés, les hommes du rang et les femmes de l'ombre, Olivier Norek soulève également la transformation psychique du soldat inexpérimenté devant tuer son premier homme. Puis, inconsciemment une effroyable routine se met en place pour convertir un homme affable en un redoutable assassin. 

      Ce conflit passé n'est pas sans tirer d'innombrables parallèles avec la guerre actuelle en Ukraine. Toujours le même agresseur avide de territoires ne tenant absoluement aucun compte de la vie humaine, sacrifiée sur l'autel de l'ambition personnel. 

      Tout en respectant avec brio la réalité historique, ce roman se vit à hauteur d'hommes et de quelques femmes, lui conférant une humanité insoupçonnée. Un livre universel contre la bêtise toute puissance, celle qui dirige le monde depuis toujours, et pour combien de temps encore ?