31 mai 2015


" Un bonheur parfait " de James Salter      14/20



Ah... qui n'est pas à la recherche du bonheur parfait ? Comme un Saint Graal ultime, donc inaccessible. James Salter nous-en apporte un exemple supplémentaire, avec cette histoire de mariage qui agonise sous les coups de boutoir du temps, celui qui salit tout, inexorablement.

Le récit débute à l'automne 1958, Nedra et Viri forment un couple envié de tous. Ils vivent au bord de l'Hudson, pas très loin de New-York. Nedra est belle, grande, intelligente, à l'allure remarquée, à  l'assurance parfaite, elle semble tout maîtriser de sa vie. Viri est élégant, brillant architecte il rêve de s'élever au propre comme au figuré, en construisant une oeuvre digne de ce nom. Ils ont deux filles magnifiques : Franca 7 ans et Danny 5 ans. Leur situation financière est plutôt aisée, ils ont pléthores d'ami(e)s. Bref, ils ont tout pour être heureux, pourtant... 

Pourtant leur satisfaction n'est qu'un trompe-l'oeil. Nedra et Viri seront happés par une sournoise force destructrice, comme une façade qui se lézarde tout doucement.

D'ailleurs, les questionnements perpétuels des oeuvres de James Salter sonnent comme des sujets de philo :

La perfection est-elle vraiment de ce monde ?

Le mariage sonne-t-il comme les prémices d'un long délitement ?
Est-il raisonnable de croire au bonheur ?
Les désillusions de la vie conjugale sont-elles inévitables ?
Pourquoi les tentations nous empêchent toujours d'être heureux ?
L'homme est-il fait pour le bonheur ?
Ou l'homme est-il doué pour le bonheur ?

Elle, la resplendissante Nedra, se voyant atteindre la quarantaine, et par un sentiment d'égoïsme, rêve de déployer ses ailes et de voguer vers une liberté totale, vers d'autres expériences plus valorisantes, avant qu'il ne soit trop tard.

Lui, le sympathique Viri, se laisse bouffer par sa vie professionnelle, pourtant sa carrière stagne ; d'autant qu'il manque cruellement de reconnaissance, de celle qui redonne le sourire, qui vous fait sentir utile, et donc exister vraiment. Mais même s'il est doué, il manque d'audace, d'engagement, de témérité. Sa femme le lui reproche et en est amèrement déçue. Ce sera l'amorce d'une âpre déception, glissant doucement vers un choix irrévocable. Viri ne se battra pas, il ne le sait pas, il ne le peut pas. Nedra tranchante, décidera pour eux. Mais la liberté retrouvée est-elle synonyme de bonheur ?

Ce qui est terrible, c'est qu'ils s'entendent bien, il n'y a pas de conflit dans le couple. Non, c'est juste qu'ils sont insatisfaits de la vie qu'ils ont construite, souvent monotone, encombrée de frustrations, mais essentiellement loin des visions, des idéaux de leur jeunesse. Au point que la lecture de ce roman n'est pas sans m'évoquer le film de Sam Mendès, Les noces rebelles, qui abordait admirablement bien les mêmes thèmes de renoncements.

Certes, ni l'un ni l'autre ne sont totalement fidèles, mais avec leurs filles chéries, ils forment un cercle solide, où l'on ne peut que s'épanouir. Néanmoins, les griffes du temps, l'usure des êtres et l'appel du large, sauront faire vaciller les fondations de la famille.

Dans ce méticuleux décorticage du quotidien, faut-il y voir le reflet d'une société ou chacun avance masqué ? Où les faux-semblants sont légions ?

Par ailleurs, aborder ce roman n'est pas facile, il faut avouer que la narration ressemble à s'y méprendre à un patchwork ou un puzzle. Une myriades de petites touches délicates et quelque peu disparates se succèdent, heureusement dans l'ordre chronologique, mais en faisant d'incessants bonds dans le temps. Son auscultation de la cellule familiale ressemble à l'avancée d'un tableau dont le peintre est un fervent adepte du pointillisme. J'avoue m'y être souvent perdu, m'obligeant à un retour d'une page ou deux pour recoller les wagons. D'autant que James Salter met en satellite autour de son couple fétiche un grand nombre d'ami(e)s, que l'on quitte brusquement pour en retrouver d'autres, plusieurs années plus tard. Cette gêne de lecture sera mon seul bémol. Néanmoins, le roman prend toute son ampleur dans le final, au parfum délicat et subtil de l'Italie.

Malgré mes petites réticences, ou à cause d'elles ; ce roman possède un magnétisme particulier, qui fait qu'une fois sa lecture achevée, quelque chose d’insaisissable m'a murmuré au creux de l'oreille, qu'un jour ou l'autre, je reviendrai y boire à sa source, comme pour m'y désaltérer derechef, car l'oeuvre est remplie de recoins, dont une première lecture ne peut honnêtement venir à bout.

James Salter est un écrivain qui a peu écrit, de ce fait chacune de ses oeuvres est si fouillée, qu'elles peuvent apparaître sibyllines. Mais avec le recul nécessaire, la lumière se fait, et alors...

En matière de ponctuation, la préférence de James Salter va nettement au si peu usité point-virgule ; qu'il manipule avec une aisance de vieux routard de la littérature, il nous en sert au minimum un par page. Je vous mets au défi de trouver un roman plus truffé de ce signe de ponctuation que celui-ci !

Bref, une oeuvre sophistiquée et broussailleuse, qui rejaillit tel un miroir sur nos propres vies, puisqu'au fond, ne sommes-nous tous point des individualités ? Illusionnés de temps à autre par des émancipations d'ordre solitaire, qui embrouille la vue de nos destinées familiales et solidaires. 

Un livre qui laisse une trace indélébile !

25 mai 2015


" Les gens heureux lisent et boivent du café " d'Agnès Martin-Lugand   6/20



Devant l’engouement fébrile suscité par la sortie de ce roman d'abord sur le net, en grand format papier, puis en poche, j'ai voulu connaître enfin le premier opus de cette auteure, que tant de gens ont encensé avec ferveur.

J'aurais peut-être dû me méfier devant ce best-seller sorti de nulle part, cependant, son pitch était des plus alléchant : Diane perd brusquement son mari et sa fille dans un accident de voiture. Dès lors, absolument tout se fige en elle, comme si le temps s'était stoppé net, seul son coeur bat encore, obstinément, douloureusement et inutilement. 

Égarée dans les limbes du souvenir, plus rien n'existe autour d'elle. Sous la forte pression de son ami Félix qui l'incite à reprendre le chemin de l'existence, elle décide de s’exiler en Irlande, pays que feu son mari voulait visiter. Ayant toucher le fond, elle n'aura d'autre choix que de revenir à la surface de la vie petit à petit...

A propos de toucher le fond, j'en connais une autre qui... Non ! Pas d'insulte facile et arbitraire, de la rigueur et de la précision avant tout. D'ailleurs, je ne suis pas ici pour juger une personne, surtout pas, mais juste un texte. En aucune façon je ne voudrais dévaloriser quiconque, je n'en ai aucun droit. C'est seulement un avis personnel sur un roman, c'est tout, et uniquement cela. Cela va quand même mieux en le disant. Parce que des fois, on pourrait croire...

Pour moi, il y a un mystère autour de ce roman : comment un livre si mal fagoté, bancal et un peu fade, a-t-il pu engendrer un tel enthousiasme auprès d'un si large public ? 

J'avoue modestement ne pas comprendre, ou ne pas vouloir, car la réponse me fait franchement peur, me glace le dos. A force de tout niveler par le bas, afin d'optimiser la réussite d'un plus grand nombre, on finit par imprimer de telle bluette. Oui, je sais qu'il en faut pour tous les goûts, qu'il faut permettre aux gens simples de lire des romans faciles à comprendre et qu'ils aiment. Mais enfin, pourquoi ne pas les pousser vers une autre littérature, presque aussi aisée à lire, mais mille fois mieux écrite et structurée, je pense aux romans par exemple de Jean-Christophe Rufin, de Yasmina Khadra ou de Pierre Lemaître, en plus ils ont tous un puissant fond historique ? Comme disait Coluche, il suffirait que les gens arrêtent de l'acheter pour que ça ne se vende plus !

Mais, je vous dois une légitime justification : pourquoi n'ai-je pas aimé ?

Parce que les personnages manquent foncièrement de cristallisation, ils sont transparents, vides, sans épaisseur et sans colonne vertébrale. Que sait-on de leur passé ? Rien ou peu de chose. De leur présent ? Fichtre rien (sauf pour Diane). Et le futur ? Attendons le tome 2 pour cela. Cette absence abyssale de verticalité, explique qu'aucun sentiment d'empathie n'agit, on se sent en-dehors du propos, exclu.

Parce que les nombreux dialogues, sont trop souvent insipides, exception faite de ceux avec ses beau-parents.

Parce que Diane travaille dans le milieu des livres, qu'elle en emporte plein dans son exil irlandais, on suppute que c'est pour les lire, à moins que...! Mais jamais aucun livre n'est cité, même de loin, de façon subliminale ou anonymement. Attristant ! Un comble : même le titre du roman présent : Les gens heureux lisent et boivent du café, fait référence à une très grande oeuvre, mais non rien le néant, comme si Agnès Martin-Lugand avait peur d’effrayer son public en évoquant une oeuvre qu'il ne connait pas. Affligeant !

Parce que cette Irlande, où l'histoire est censée se passer, doit rentrer en résonance avec le lecteur : il doit la sentir, la toucher, la respirer, la goûter, la voir comme un personnage à par entière, avec son côté sauvage, unique et essentiel. Au lieu de cela, l'Irlande d'Agnès Martin-Lugand se limite à un sol sans âme, à un bord de mer sableux et rocheux, mouillé plusieurs fois par jour au rythme d'une météo capricieuse. C'est tout, désespérément tout, sidérément tout ! Dommage pour un pays si mythique, entouré par cette mer infatigable, qui vient inlassablement se battre comme une forcenée contre ses parois de granit noir, et dont les paysages rivalisent de poésie bucolique. 

Parce que le travail de résilience, afin de purger ce traumatisme, cette fameuse reconstruction après un deuil, n'apparaît quasi pas, on l'oublie vite pour tourner autour d'un bellâtre irlandais qui est d'une arrogance folle. Or, il eut été fortement intéressant de remonter avec Diane l'échelle des étapes nécessaires à la reprise de contact avec le monde extérieur. Mais cela était trop demander. Tant pis !

Parce que construire des histoires autour de deux personnages qui se détestent, pour finir par s'aimer à la fin, cela suffit, il faut arrêter, ce thème est plus rebattu que les hautes falaises de Moher par les vagues dantesques de l'océan Atlantique !

Parce qu'on espère tellement de joie de lecture après cet emballement médiatique, que cela aggrave encore plus la déception finale. Mais là, elle n'y est pour rien ; la puissance des buzz d'internet à des pouvoirs de nuisance incalculables.

Agnès Martin-Lugand est malheureusement passée à côté de son sujet, c'est regrettable, mais flagrant. Pour l'avenir, gageons qu'elle saura soigner les points qui ont fait si défaut ici.

Sans rancune.


18 mai 2015


 Manderley for ever  de Tatiana de Rosnay 17/20


Autour de mes 13 ans je dus lire pour l'école un roman qui allait me marquer pour longtemps : L'auberge de la Jamaïque, l'auteur dont j'ignorais l'existence se nommait Daphné du Maurier. Jolie nom au demeurant. Allez savoir pourquoi, il est toujours resté gravé dans un coin ma tête, comme une borne intemporelle, un phare lointain, un repère hasardeux. Puis les années ont défilé plus vite que je n'aurais voulu. L'année dernière, en feuillant le magazine Lire, je tombe sur un court article qui parlait d'elle, et de la réédition de ses premières nouvelles. Cela réveilla ce vieux souvenir d'enfance et j'eus enfin l'envie d'en savoir plus sur cette écrivaine. Ainsi je lus Le bouc émissaire et le plus que célèbre Rebecca, deux romans ensorcelant à l'ambiance double et trouble, qui reflète significativement son univers. Depuis... une romancière française très connue vient de lui consacrer une remarquable biographie, que j'avoue avoir dévorée avec avidité.

De son côté, c'est à l'âge de dix ou onze ans que Tatiana de Rosnay lut Rebecca. Passionnée par l'écriture et la maîtrise de l' ambiance lugubre du roman, elle fut irrémédiablement attirée par cette romancière britannique à la plume sombre : Daphné du Maurier (1907-1989). Au point qu'aujourd'hui, afin de nous faire goûter aux secrets de son oeuvre torturée et versicolore, Tatiana signe une biographie intense et profonde de cette grande écrivaine qui se désolait de voir les critiques littéraires de l'époque la réduire à une simple auteure de livres "romantiques". 

Malgré son mariage avec Frederick Browning, et ses trois enfants, elle est très loin d'avoir la vie tranquille d'une mère de famille. Derrière les sujets noirs, anxiogènes et poignants de ses romans et nouvelles, se cache le reflet de ses tourments, de ses frustrations, de ses mélancolies, de ses attirances, et de ses amours secrètes où devrais-je dire "vénitiennes", comme dans son langage codé ?

Tatiana de Rosnay fait admirablement le parallèle inamovible entre ce que vit intimement Daphné du Maurier et ses écrits. Absolument tout ce qu'elle note prend sa source dans sa vie réelle ou dans le passé de ses aïeux. Décortiquer les affres de la création de son écrivaine préférée, voilà la réussite de ce livre.

Faut-il en conclure pour autant que sa passion pour l'écrit (elle tenait un journal intime depuis l'âge de douze ans et sa correspondance fut très abondante) lui servit d'exutoire, de catharsis ? Sans aller jusque là, on peut légitimement se poser la question. 

D'autant qu'elle a beaucoup sacrifié pour sa passion ; en particulier l'éducation de ses deux filles (il en va autrement pour son fils) et son mariage, puisque Daphné préférait largement vivre et écrire dans ses Cornouailles adorées, plutôt que de suivre son mari dans un Londres qu'elle avouera n'avoir jamais vraiment aimé. Elle déclarait d'ailleurs : "Londres, cette foutue ville à mourir d’ennui !"

D'ailleurs, la plupart des écrivains viscérales ne se servent-ils pas de la plume, comme d'une thérapie pour désamorcer une crise, une angoisse, un malaise ? En tout cas, Daphné du Maurier ne conçoit sa vie d'écrivain qu'ainsi. Afin de comprendre profondément une oeuvre (qui peut paraître abstraite aux premiers abords), qu'elle soit picturale, littéraire ou musicale, il est parfois nécessaire de se pencher sur la vie "chaotique" de leur créateur. Armé de cette grille de lecture, on saisit mieux leur affliction et l'origine des propos parfois "déroutants" de leur travail artistique. Où alors, on prend le risque de se sentir exclu de leur univers.

Quoi qu'il en soit, les gènes artistiques sont indéniablement présents dans la famille de Daphné du Maurier, et depuis longtemps, puisque son grand-père George du Maurier fut écrivain et illustrateur ; son père Gérald fut un célèbre acteur londonien ; sa mère Muriel Beaumont fut actrice ; sa soeur Angela fut romancière sans succès (difficile de vivre dans l'ombre de la réussite de sa soeur Daphné) ; et son autre soeur cadette, Jeanne, fut peintre. La liste a légitimement de quoi impressionner !

Dans sa jeunesse, le 13 septembre 1926, soucieuse de dénicher une vaste maison de bord de mer pour passer les périodes de vacances, Daphné du Maurier accepte d'accompagner sa mère et ses soeurs en Cornouailles. Elle ne se doute pas que ce voyage marquera à jamais sa vie.

En effet, s'il y a un lieu géographique qui magnétisa son inspiration, sans aucun doute, ce fut les Cornouailles. Sa mer versatile, ses rochers acérés, ses plages typiques, ses bateaux polychromes et sa nature indomptée, infléchiront son écriture de manière indélébile. D'ailleurs, son roman le plus vendu au monde Rebecca n’existerait pas sans la magie sauvage de cette région, qu'elle parcourue de long en large lors de grandes ballades pédestres. Sans oublier ses bains de mer, que Daphné pratiqua tout au long de sa vie. Comment aurait-elle pu résister décemment à l'odeur salée de la brise, au cri impromptu des mouettes, aux caresses des plumes du soleil sur sa peau, à l'omniprésence de l'iode dans l'air, non fatalement, elle le reconnaît ouvertement, elle fut plus amoureuse de ce lieu que de son mari ; préférant ainsi le laisser partir seul pour l'étranger ou Londres (au gré de ses affectations militaires), plutôt que d'abandonner son univers de bord de mer, dont la pierre angulaire, l'élément fondamentale, l'attachement fusionnel fut sa propriété de Menabilly, manoir qui sera immortaliser à tout jamais dans l'incontournable Rebecca , sous le nom de Manderley.

Néanmoins, vivant sa vie à cent à l'heure, bouleversée par les absences cruelles de son mari officier de l'armée britannique lors du second conflit mondial, tracassée par de fausses accusations de plagiat, culpabilisée par une vie consacrée essentiellement à ses écritures, déçue face aux critiques négatives de ses romans, désappointée devant les adaptations cinématographiques ; son corps vieillira en accéléré, au point que des photos d'elle, autour de la cinquantaine, la font paraître quinze ans plus âgée.

Durant les vingt dernières années de sa vie, Daphné du Maurier connaîtra une période de sécheresse totale d'inspiration, plombée en plus par la disparition de ses nombreux ami(e)s. Son moral en souffrira, avant que la maladie d’Alzheimer ne vienne lui faire oublier ses tourments.

Cette biographie très fouillée respecte une chronologie impeccable, l'écriture de Tatiana de Rosnay est exaltée, d'une fluidité agréable, qui à mes yeux entre en résonance avec celle de Daphné du Maurier, tant elles sont troublantes de similarité. Et puis d'ailleurs, puisque j'en parle, outre le fait qu'elles soient toutes deux des romancières et biographes reconnues, de nationalité jonglant entre l'anglaise et la française, signant chacune d'immenses succès, parfois portés sur grand écran, qu'elles portent un nom articulé autour d'une particule, outre tout cela donc ; physiquement elles se ressemblent, j'en veux pour preuve, la photo de Tatiana de Rosnay en quatrième page de couverture et celle de Daphné du Maurier prise avec son chien Bingo à Fowey (Cornouailles) en 1930, inclue dans le livre, pour éprouver un sentiment déconcertant et déroutant de ressemblance. Inouï !

Daphné du Maurier marquera son temps d'une aura indélébile, et ce n'est pas pour rien qu'Alfred Hitchcock utilisera deux de ses romans L'auberge de la Jamaïque et Rebecca plus une nouvelle Les oiseaux pour commettre trois films. Malheureusement, l'auteur n'y retrouvera pas toute la noirceur de ses oeuvres, et en sera fortement déçue. 

Bref c'est un livre attractif qui donne l'envie irrépressible de se plonger dans ce que Daphné du Maurier a écrit de meilleur.


9 mai 2015


" Trois mille chevaux-vapeur " d'Antonin Varenne 16/20


En 1852, le sergent Bowman, de la Compagnie des Indes Orientales, se voit confier une mission aussi secrète que risquée. Il devra, avec une poignée d'anciens condamnés, remonter l'Irrawaddy (une rivière birmane) à la rencontre d'un hypothétique ambassadeur. La mission est un fiasco, les soldats anglais sont fait prisonniers par les birmans, dix des plus coriaces d'entre eux ne recouvreront leur liberté qu'après de longues années de tortures physiques et mentales.

Il est intéressant d'apprendre que cette fameuse Colonie des Indes, né en 1600, avec l'accord de la reine Elisabeth Ier, due entretenir en 1850, une armée de 300 000 hommes pour assurer sa sécurité, cela donne une idée de la taille de cette entreprise, de ces ennemis potentiels, et surtout de ses bénéfices dantesques. A cette époque, elle impose la loi de son commerce à quasiment un cinquième de l'humanité, soit : 300 000 000 de personnes !!!

En 1858 un gavroche des rues de Londres fait une découverte atroce : celle d'un corps sauvagement mutilé. L'ancien sergent, devenu policier : Bowman, en sera fortement troublé, il ne pourra y voir que l'oeuvre sordide de l'un de ses anciens compagnons de détention. Dès lors, une course poursuite macabre amènera Bowman dans un pays en métamorphose : Les Etats-Unis D'Amérique. Naturellement, ce funeste fil rouge, sert de prétexte à désigner du doigt, un monde en mutation totale, imbu de lui-même, furieusement vaniteux, qui telle une machine infernale de trois mille chevaux-vapeur, broie tout sur son passage : indigents et indigentes de tous pays, sous le rouleau compresseur du profit.

Cette odyssée débutée dans la jungle birmane, se poursuit dans un Londres débordant sous ces propres déjections, avant de filer, après une traversée ultra-rapide de l'océan Atlantique, à la conquête de l'Ouest américain à l'époque où plusieurs centaines de femmes, affamées parce qu’insuffisamment payées, montent des manifestations dans les rues de New-York qui finissent dans le sang, où la ruée vers l'or se tarit, où Abraham Lincoln arrive au pouvoir, où les indiens ne sont déjà plus qu'une minorité, et où la guerre pour l'abolition de l'esclavage compte ces premiers milliers de morts. Beaucoup de bruit et de fureur dans un pays se cherche une identité.

Le personnage central : Le sergent Bowman, nous fait implicitement songer à cette race de héros ténébreux qui traversent les romans de Conrad, Kipling et Stevenson. Lui et ses hommes ont vécu l'enfer absolu, inhumain. Tous sont à la recherche d'une improbable rédemption, dès lors, leur retour à la vie civile s'avère quasi inconcevable. Trop de cauchemars lézardent leur mental fragilisé. La folie les guettent. L'alcool et la drogue leur permettent un moment de répit, mais à quel prix ? Et pour quel avenir ?

Même si le roman se déroule au XIXème, les traumatismes des soldats, rentrant d'un conflit, sont malheureusement toujours d'actualité. Soyons réaliste : il y a peu... non, aucune raison d'espérer, l'homme ne s'améliore pas avec le temps, ou si peu que la différence est infime. Néanmoins, l'oeuvre montre de succincts moments d'espoir, au travers d'un regard, d'une parole, d'un geste de mansuétude, si ténu, mais si essentiel.

Les descriptions du Londres caniculaire de juin/juillet 1858 : étouffant sous un soleil de plomb, sans le moindre souffle de vent, dont les effluves miasmatiques de tous les déchets rendent irrespirables l'air méphitique ambiant, sont d'un redoutable et troublant réalisme. Pas de doute, il y a aussi du Dickens sous sa plume incisive, avec une grosse goutte de Verne pour ces voyages aux travers de pays inconnu, et cette traversée mythique sur ce géant des mers, qui n'est pas sans rappeler certaines de ses oeuvres.

L'anti-héros qu'est Bowman, nous fait pitié, il erre les trois-quarts du roman avec un âme en peine, il n'est plus que l'ombre de lui-même, tout son corps porte les stigmates de son passé, l'oubli est alors impensable, l'horreur de ses combats, il la porte sur lui, c'est indélébile, mais... Mais la rencontre avec une femme nommée Alexandra, fera renaître en lui, cette flammèche, qui petit à petit, après maints retour de ses démons, amorcera le début d'une renaissance, un avenir envisageable, à condition que définitivement, cette histoire de tueur en série soit résolue, d'une manière ou d'une autre... définitivement.

Antonin Varenne nous propose ici un roman cinglant, comme un coup de poing sur un milieu de XIXème siècle nauséabond, qui à construit les bases notre XXème siècle, si sanglant lui aussi !

Peu de réserve sur ce livre, juste cette traversée de l'Atlantique trop furtive, trop facile, trop courte, j'aurais aimé des rencontres marquantes, des métaphores judicieuses, des impressions vibrantes, de l'ampleur, du dantesque, du lyrique quoi ! A l'image de cette construction navale, la première tout en acier, issue de la révolution industrielle ! Quitte à couper dans ce ville à ville américain un rien longuet qui apporte peu, d'ailleurs c'est ce géant à vapeur : "Le Persia", qui donne le titre au livre :" Trois mille chevaux-vapeur " Alors ne lui consacrer que douze pages, dans un roman de 555 pages, quel dommage. A lui tout seul, il vaut un livre. Tant pis !

Je conclus mes impressions avec cette phrase pessimiste écrite par Bowman, dans l'un de ses courriers, qui se suffit à elle-même : "Je les regarde et je me demande comment ils font. Ils se lèvent, vont travailler, mettent des enfants au monde. Les pères qui iront mourir à la guerre ou crever dans les usines font des risettes à leurs mômes, leur avenir déjà tracé du taudis à la tombe, et s'acharnent à croire que leur descendance aura une vie meilleure. Ce n'est pas de la confiance ni de l'espoir, c'est de la folie. Si je suis fou, alors ce sont des déments et quelque part, dans les directoires et les couloirs du Parlement, des hommes ricanent avec moi. "

Envoûtant, grave et apocalyptique.





5 mai 2015


Confession ailée.


Difficile d'ignorer que je me consacre beaucoup (trop ?) à mon jardin, qu'il est pour moi une source essentielle d'équilibre, de joie, de parfum, d'inspiration, gonflé de moult découvertes bienfaitrices ou pas !

Mais aujourd'hui, face à ceux qui afficheraient ouvertement et sans aucune vergogne, le franc désir de vouloir le visiter, je dois vous avertir de ceci : Attention, mon espace vert est dorénavant protégé !?!

Comment cela se fait-il ?

Parce qu'il a depuis quelque temps, un état de fait indéniable, une constatation basique.
Le nier, serait se compromettre.
Disconvenir s'inscrirait en faux.

Dehors tous négationnistes !
Ici la simple observation sert de preuve.
Nulle contestation viable, l'évidence crève les yeux.
Le doute s'enfuit sans possibilité de retour.
La vérité ne peut que s'installer avec clairvoyance.

Je devine ici, mes pauvres lecteurs s'inquiéter de ma santé mentale, devant ce déballage de lapalissades. Pas de soucis, il s'agit tout simplement d'un préambule ampoulé, afin de faire d'une banalité : une originalité !  (Chacun ses méthodes)

Laquelle ?

Il est clair que devant le nombre pléthorique d'oiseaux d'espèces différentes venus vivre dans modeste espace végétal : Le bienheureux rouge-gorge, le flamboyant chardonneret, l'amusante grive, le ténébreux merle, le sympathique moineau, la royale mésange, la mystérieuse fauvette, le délicat pinçon, le riquiqui colibri, le sulfureux étourneau, la bavarde pie, le trop rare pic-vert... et que sais-je encore, une conclusion s'impose à mes yeux : maintenant, mon jardin boisé est devenu : une réserve ornithologique !!!


2 mai 2015


Une comparaison bucolique de magenta.



Dans mon jardin, je réserve toujours une petite surface d'environ deux mètres carrés, dédiés au hasard, à l'aléatoire.

Volontairement, je n'y sème et n'y plante strictement RIEN !

Afin que la nature y soit totalement libre de s'exprimer comme elle le désire, et ainsi de m'offrir ses présents. Et croyez-moi, les surprises font florès !

D'ailleurs, j'en veux simplement pour preuve ces derniers cadeaux nés de ces aléas : L'épilobe en épi, une belle onagracée, et la Nielle des blés : une caryophyllacée, toutes deux éclaboussent mon jardin d'un somptueux magenta !

L'épilobe débute sa vie végétale en créant de larges feuilles trapues qui s'épanouissent sur le sol, avant de faire progresser timidement une tige râblée vers l'azur. La nielle préfère prendre urgemment la direction du ciel, s'érigeant sans se poser de questions vers le firmament.

L'épilobe possède un calice aux sépales arrondis, douces et affables !

La nielle est armée de sépales piquants et agressifs, dressés comme sur la défensive !

Le parfum de l'épilobe semble vaporeux, ineffable et aérien !
La nielle peine à révéler une effluve, comme si elle hésitait, balbutiait, puis finalement... renonce !

L'épilobe crée des fleurs par grappes et par centaines, rangées en épis (d'où son nom), qui restent ouvertes généreusement jour et nuit. Celles de la nielle des blés s'ouvrent et se referment quotidiennement, tel un coeur qui bat au rythme des rayons solaires.

Dans sa structure globale, l'épilobe paraît harmonieuse et magnanime, tandis que la nielle semble dissonante et nihiliste !

L'épilobe est dans l’insouciance voire la folie. Paradoxalement, la nielle est dans le concret, le factuel.

L'épilobe n'est qu'amour et générosité. La nielle n'affiche que haine, traîtrise et perversion !

L'épilobe n'est aucunement farouche et se donne sans retenue, sans négocier. La nielle est perpétuellement dans la crainte, le doute et la méfiance.

Bref, une impression indicible d'altruiste pour l'une, et d’ostracisme vénéneux pour la deuxième.

Elles ont débuté leur croissance au cours de l'hiver précédent, j'ignorais alors qui elles étaient. Certaines personnes malotrues ou pire (j'en connais), auraient hurlé aux mauvaises herbes, et les auraient sauvagement arrachées sans autre forme de procès ! 

Heureusement pour elles, ces mignonnes ont choisi mon jardin !
Dès l'apparition de leurs fleurs, début Mai, j'ai pu les identifier sans erreur.

L'épilobe en épi est recommandé par la médecine populaire contre l'hypertrophie de la prostate. Ses jeunes feuilles peuvent être consommées comme légume. Chaque plant donne des milliers de graines minuscules, qui sont transportées grâce à leur aigrette de poils, et par l'influence d'un vent coquin, jusqu'à dix kilomètres à la ronde.

La nielle des blés (que j'ai dépeint volontairement de manière péjorative et abusive, afin de mettre en perspective un contraste certain, je m'en excuse d'ailleurs auprès des caryophyllacées susceptibles, qui risqueraient de m'en tenir rigueur, et pourraient fomenter à mon égard et dans mon jardin, une rébellion dévastatrice), était autrefois redoutée, car elle pouvait produire une farine toxique, quand ses graines se mêlaient au blé. Car leur taille identique apportait un risque de confusion non négligeable. C'est ainsi que jadis on consommait involontairement de la nielle toxique, ou qu'on la ressemait avec le blé. En cas d'absorption, elle donne le vertige et des crampes, et peut être mortelle, d'où mon parti-pris arbitraire et excessif de développer en parallèle, ces deux plantes nomades issues de mon jardin du hasard, devenues les reines de mon laboratoire vert. 

Grand merci à mère nature !