28 oct. 2019

" Le bruit et la fureur "   de William Faulkner   2/20



      Dans l'état du Mississipi, une vieille famille du Sud, hautaine et autrefois prospère, chute inexorablement dans la misère et l'abjection. A côté d'elle, une famille d'anciens esclaves subsiste comme elle peut. Dans chaque famille, trois générations s'y déchirent.

      J'ai eu beau m'accrocher à ce livre, pensez-donc : mon premier William Faulkner, j'ai eu beau relire certains passages pour mieux en saisir l'insaisissable, j'ai eu beau y mettre tout mon coeur de grand lecteur, j'ai eu beau, soir après soir, me remettre courageusement à la tâche avec une nouvelle hargne, rien n'y a fait, ce livre m'est définitivement tombé des mains ! Et pourtant, je ne suis pas de ce genre de lecteur à abandonner facilement, pensez donc, Boussole de Matthias Enard, livre hautement difficile à terminer, est passé comme une lettre à la poste ! Mais là, je suis tomber sur un os littéraire. Un os comme on en rencontre rarement !

      Honnêtement, qui a pu venir à bout de cet obscur objet littéraire ? Un esprit supérieur, sans aucun doute. Un lecteur digne de ce nom, un homme d'une sagesse infinie, un bouddha quoi ! N'étant rien de tout cela, je me fais tout petit et passe mon tour humblement.

      Mais pourquoi William Faulkner s'est-il amusé à embrouiller avec excès, une histoire qui n'en avait pas besoin ? Pourquoi pousser le vice de l'hermétisme au point d'écrire un livre de presque 400 pages d'une façon si confuse, si abstraite, qu'il figure, à n'en point douter, parmi les livres les moins lus du globe ? Tout écrivain n'a-t-il pas le souhait d'être lu par le plus grand nombre ? Apparemment non !

      L'histoire est composée en quatre parties, chacune narrée à travers un monologue intérieur par un personnage différent. La première se déroule le 7 avril 1928, la deuxième le 2 juin 1910, la troisième le 6 avril 1928 et la dernière le 8 avril 1928, pour ce qui est de la chronologie, on est déjà dans les choux ! Pour expliquer la pénibilité intrinsèque de la lecture, voici juste un exemple : Le narrateur de la première section se nomme Maury et/ou Benjamin et/ou Benjy, c'est un homme de 33 ans au cerveau atrophié, tel l'idiot du village. Dans sa longue narration il passe d'une idée à une autre au hasard de ses sensations. Tout s'enchaîne par association d'idées naissant d'un mot, d'un geste, d'un bruit ou d'un parfum. Ce papillonnage incessant m'a étourdi au point de perdre pied dans ce puzzle océanique.
      Outre le fait que les protagonistes sont pléthores, deux prénoms identiques, sont attribués à deux personnes différentes ! De plus chaque narrateur oriente les faits suivant sa sensibilité, les omissions ne sont pas rares et les mensonges encore moins ! Puis souvent le temps dérape sur une même page, passant allègrement de 1910 à 1928 et vice versa ! Une maman n'y retrouverait pas ses petits !

      Le pire dans tout cela, c'est que l'intrigue, abordant des thèmes universels, était porteur de grandes espérances. En effet, ordonné de façon classique, cette bouillie informe pouvait se muer en chef-d'oeuvre intemporel ! Quel dommage !

      Trop énervé par tant de gâchis, alors qu'il y avait matière à tant de choses, j'ai peur d'avoir été un peu sévère dans ma notation !!!



" Le trône de fer, l'intégrale 3 "
de George R.R Martin   18/20


      Par-delà le Mur qui protège la frontière du nord de Westeros, une armée glaciale et ténébreuse se lève et menace de détruire toute vie sur son passage. Seule une poignée d'hommes veille sur le Mur en attendant le secours et les renforts du royaume des Sept Couronnes. Cependant, les rois, les reines, les chevaliers et une tripoté de renégats ont d'autres chats à fouetter, le trône de fer offre beaucoup plus d'attrait. Alors, priorité à la trahison, aux coups retors et autres manigances, la terrible armée des ténèbres peut bien patienter un peu !

      Dans ce troisième opus la stature de Daenerys adopte une autre dimension, elle prend conscience de la responsabilité qu’engendrent ses décisions. Vouloir offrir la liberté à des population d'opprimés nécessite une stratégie, une logistique et une intendance, quelles soient militaires ou plus bassement alimentaires. Aucun retour en arrière n'est possible, trop de peuples dépendent d'elle, Daenerys est condamnée à réussir !
      Le personnage de Jaimie devient également à son tour plus complexe, menant, face aux épreuves, une réflexion approfondie sur lui-même et sur son passé. Tous ont eu vite fait de le cataloguer de régicide, la vérité est loin d'être aussi simple, comme toujours.
      Et que dire de Jon Snow, obéissant aux ordres de son supérieur, mais néanmoins accusé de traîtrise de tous les côtés, il est condamné à être tiraillé entre fidélité à ses engagements d'homme de la garde de nuit et les attraits d'une belle et explosive sauvageonne.

      Face à des protagonistes aussi denses et prolixes en interrogations, donc passionnants à lire, d'autres, à l’inverse, par leur peu de pertinence sur les intérêts en jeu, nous délivrent des chapitres un peu fades, notamment ceux sur Bran et certains sur Arya qui traînent en longueur pour un rendu bien médiocre face à la force des enjeux. Faut-il dire un mot aussi sur la quantité de personnages qui frôlent l'overdose, se rappeler de chacun relève de l’omniscience ou du moins d'une mémoire absolue ! Naturellement, je veux bien concéder que pour rendre un roman d'une telle ampleur crédible, il faut naturellement multiplier les situations et les interactions, nécessitant une foultitude d'intervenants, mais ne facilitant pas la tâche du pauvre lecteur !

      Cependant, malgré ces bémols qui n'en sont pas vraiment, l'ensemble tend vers une intrigue magistralement haletante, sans parler de l'épilogue qui vous propulse vers des possibilités inespérées et un rien jouissives !


24 oct. 2019



HAÏKU   Partie CXXXIV

°°°°°°°°°

vigoureux châtaignier
sous ses branches
toute sa marmaille


forêt d'automne
douce odeur d'humus
parfum de décomposition


les feuilles du peuplier
caressées de jaune
du soleil d'octobre


pluie la nuit
pluie le jour
si loin les canicules !


grosse averse d'automne
même sous le parapluie
l'eau rebondie


20 oct. 2019

Visions fugitives du jardin automnal.
Partie 1



Générosité annuelle du châtaigner.




Le houx femelle et ses rouges enfants.




Un vrai tableau automnal tout bien bio !




La saison des colchiques !




Dernières roses jaunes avant l'hiver.




Qui dit automne dit champignons.
Ici le Clavaire chou-fleur.





Au détour des brins d'herbe !





Résurgence inespérée des alysses blanches.





Interlude pluvieux !





Rose trémière rampante  !





L'éphémère Ipomée en fin de vie !


°°°°°°°°°°°°°°°°°

A bientôt !

" Le secret de Neige "  de Jean-Luc Mousset   14/20


      Paris, fin des années 1980. Eric Duval est un trentenaire employé dans une entreprise de produits phytosanitaires de Cergy. Ce fils d'agriculteur du Perche reste nostalgique de la vie à la campagne, il ne peut parvenir à s'épanouir totalement dans l'hystérie de la vie parisienne. Valérie, sa femme depuis deux ans, est une citadine affirmée.
      Quand survient le décès accidentel du père d'Eric, sa mère, malgré la solidarité de ses voisins agriculteurs, doit assumer seule les lourds travaux de la ferme. Sa santé lui faisant défaut, il faut songer à la vente de l'exploitation, à moins qu'Eric se décide à franchir le pas en reprenant la succession.
      Ne supportant plus les remontrances de son irascible patron, Valérie, à la grande surprise de son mari, décide elle aussi, de quitter la capitale et de découvrir la vie d'agricultrice.

      Tout comme son personnage, Jean-Luc Mousset est un fils d'agriculteurs. Lui aussi n'a pas repris l'affaire familiale, choisissant de vivre autrement. Cependant, toute sa culture du terroir paysan lui permet de dresser un portrait honnête et profond de la vie du peuple de la terre. Il n’omet pas la notion si primordiale de nos propres racines, celles qui s'ancrent dans l'histoire familiale, dans le substrat de notre passé, celles qui sont à la source de nos vies.

      Autant l'auteur subjugue son lectorat par une fine description de la vie rurale, ponctuée par les saisons et leurs capricieuses météos, autant sa maîtrise des différentes énigmes jalonnant l'intrigue manque de rigueur. En effet, (attention je déflore) tout est mis en évidence pour nous faire croire que la mort du père d'Eric est tout sauf accidentelle, pour déboucher dans le final sur une absence aberrante de révélation. Le roman avait-il besoin d'alimenter pléthore de mystères pour captiver son lectorat, tant les thèmes abordés, par ailleurs, sont variés et passionnants ? Assurément, la richesse de sujets se suffit à elle-même, pêle-mêle l'auteur développe : les choix immanquables à chaque vie, la remise en question de la façon de pratiquer son activité professionnelle, l'élevage intensif, une certaine recherche d’authenticité, les luttes face au scepticisme des banquiers et parfois des collègues, envisager la rentabilité de son exploitation, la difficulté de bosser avec un associé, la notion de culpabilité, la possibilité d'expiation, le sacrifice, etc. Aucunement utile d'aller piétiner les plates-bandes de je ne sais quel roman à suspens à deux balles !

      Derrière la plume sensible de l'auteur, on sent l’incarnation d'une sincérité qui parle de choix, de regrets et de blessures non refermées ; à chacun de ses protagonistes de vivre en s'arrangeant ou en s'accommodant de ces petits et grands traumatismes, qui, au gré de leur envie, refont surface un jour ou l'autre pour pourrir des moments de vie qui auraient pu être heureux. Ces faiblesses, ces fragilités sont notre lot quotidien, inhérentes à la condition humaine, à l'âpreté d'un monde où la noirceur humaine abîme trop souvent et inutilement tout.

      Jean-Luc Mousset saisit le temps qui passe dans une période où la société rurale est une fois de plus en pleine mutation, des questions se posent sur le productivisme intensif, des voix contradictoires se font entendre prônant un retour à une culture plus douce, plus variée, débouchant sur une vente directe au public. Sans donner de réponses péremptoires, l'auteur amène le public à s'interroger sur le type d'agriculture qu'il souhaite. Et rien que cela, c'est déjà beaucoup.

      

18 oct. 2019

" Testament à l’anglaise "   de Jonathan Coe   17/20



      Michael Owen, est un jeune écrivain déprimé et complexé, en perte d'inspiration et de finances. Par le hasard des rencontres, il se voit confier un beau jour, par la vieille Tabitha Winshaw, la charge de rédiger un récit sur son illustre famille : les Winshaw. Ceux-ci ont joué un grand rôle dans la politique et entrepreneuriat depuis la seconde guerre mondiale jusqu'au début des années 90. Profitant, de façon éhontée de leurs larges relations publiques et privées, tous les membres de la famille, ou presque, se sont construit des fortunes répugnantes sur le dos d'une société anglaise en déliquescence.
      Au fur et à mesure de sa monumentale enquête, Michael Owen mettra à jour une dynastie aussi peu reluisante que mystérieuse, sans se douter de la concordance de certains faits, tirant des traits avec son propre passé. Toutes coïncidences ne sont-elles vraiment que hasard ?

      Grâce à des personnages délicieusement immondes, l'auteur nous dessine le portrait au vitriol d'une Angleterre thatchérienne avide et cynique. Tous surfent sur la vague d'un libéralisme effréné prôné par Margaret Thatcher. Il y a, entre autre, Dorothy, n'épousant un fermier que pour mieux mettre en place des élevages intensifs, sans le moindre respect de la vie animale, et se dupliquant à l'infini dans tout le pays. Mark, lui, triomphe comme marchand d'armes, peu importe le pays, du moment que cela rapporte gros. Henry, c'est la politique qui le fait vibrer, entre magouilles et enrichissement personnel. Hilary, elle, règne sur la presse et les médias, distillant son fiel à tout va, en faisant et défaisant l'opinion publique, comme bon lui chante, du moment que cela se vend bien. Etc. Tous se gavent des subventions, des déréglementations, du dépècement de leur pays, tels des opportunistes, uniquement stimulés par l'argent, peu importe sa provenance, son odeur et sa couleur.

      En antinomie de ces ignobles monstres, il y a Michael Owen, fragile et seul, écœuré par la dynastie Winshaw, il retrouve le goût d'un certain bonheur grâce à sa voisine Fiona, celle-ci étant malade, il va être confronté au système hospitalier anglais et à son délabrement. Magnifiques pages où Jonathan Coe nous montre l'envers de la médaille thatchérienne qui engraisse un petit nombre en asphyxiant la majorité.

      Testament à l’anglaise est une véritable prouesse littéraire, en effet, Jonathan Coe réussit la performance d'allier toute la pertinence d'une satire politique avec l'ambition, parfaitement aboutie, d'y mêler mystère et suspens, le tout sous une plume fichtrement éclairée et diablement subtile : quoi de mieux ?

     Pour cela, l'auteur nous sert une construction tous azimuts,  distillant avec doigté les différents éléments façon puzzle, les brassant allègrement au travers des années et des protagonistes, certes il faut un temps pour s'habituer à ses frasques stylistiques, mais la sauce finit par prendre, en montant en puissance au fil des pages, jusqu'à un final époustouflant, digne d’une Agatha Christie au meilleur de sa forme.

      Hormis quelques pages hautement politiques qui peuvent anesthésier un lectorat apolitique, mais qui sont là pour restituer le cadre et l'atmosphère d'une époque, cette fresque sociale pétille de virtuosité et de clairvoyance. Le plaisir est assuré tant les portes d’entrée sont nombreuses. Volontairement, j'ai tu beaucoup de thèmes et de péripéties pour ne pas trop déflorer ces plus de 600 pages, cependant, allez-y les yeux fermés, la joie de lire est au rendez-vous.

      A noter que Jonathan Coe déclare qu'il écrit pour mieux comprendre son pays, s'en imprégner, se l'expliquer à lui-même afin de pouvoir s'en accommoder, telle une catharsis personnelle rejaillissant sur un lectorat curieux.

      Testament à l'anglaise est une comédie caustique, décryptant les rouages d'une politique pour expliquer les carences d'un pays. Si la caricature n'est pas loin, c'est uniquement dans le dessein d'en rire, même s'il est jaune, plutôt que de s'en scandaliser et d'en pleurer de rage et d'impuissance.



12 oct. 2019

" Manifesto "   de Léonor de Récondo   11/20


      Proche de son dernier souffle, Félix, ancien peintre et sculpteur, repose sur son lit d'hôpital. A son chevet, sa femme Alice et sa fille Léonor, dans un dernier rendez-vous d'amour et d'émotion. Léonor se souvient des moments de tendresse artistique avec son père. Pendant cette ultime nuit, l'esprit de Félix revit sa jeunesse espagnole, avant la guerre civile et l'inéluctable exil. Ainsi il y rejoint le souvenir d'Hemingway, ils se racontent la vie, la mort, les femmes et la guerre.

      Ce roman largement autobiographique fait se chevaucher alternativement les pensées de Léonor et celles de Félix, telle une dernière danse tourbillonnante de joie partagée entre amour et force créatrice, avant que la mort ne tire définitivement son lourd manteau sombre.

      Il n'est pas toujours aisé d'exprimer sa déception pour une romancière pour qui on éprouve une certaine sympathie grâce à de vrais moments de bonheur littéraire, notamment avec le jouissif Amours et le magnifique Point cardinal. Là, je suis resté dubitatif. Oh certes, la belle plume de Léonor de Récondo répond toujours présente, oscillant entre poésie et émotion ; certes, elle aborde le périlleux sujet d'un décès imminent avec délicatesse et retenue ; certes, elle nous distille un beau dialogue inventé et imagé entre Félix et Ernest ; certes, les pages évoquant les notes musicales de la jeune apprentie violoniste au milieu de l'atelier de son père sont touchantes ; cependant, j'ai eu l'impression de ne vivre que des fragments ou des éclats de vie, si petits et si restreints qu'ils s'apparenteraient aux pièces d'un puzzle incomplet. Pourtant cette vie partagée était faite de lumières, de douleurs et de forces créatrices, mais au point final, le compte n'y est pas. Ce roman me semble n'être que le synopsis d'un vrai roman. Il aurait fallu développer, et non pas caresser ; il aurait fallu dilater et non pas ratatiner ; il aurait fallu éclabousser et non pas butiner. Ah, la richesse de la vie de Félix, à elle toute seule, aurait dû m'entraîner dans une effervescence pleine de bruit où le bouillonnement des couleurs, les brûlures du soleil, les ténèbres du fascisme, la musique des vents chauds, les passions amoureuses auraient dû faire exploser le cadre des possibles. Là que nenni ! Arrive là-dessus un Hemingway venu d'on ne sait où ! Sans doute là pour crédibiliser les terribles années espagnoles et pour créer un ancrage littéraire, car Ernest aurait aussi bien pu être ailleurs qu'ici. De même, n'y a-t-il pas une sorte d'impudeur à révéler, aux yeux de tout lecteur, des moments si forts émotionnellement qu'ils auraient peut-être dû restés privés ? Enfin, jamais l'auteure n'appelle sa mère Maman, c'est toujours le prénom de Cécile qui est choisi, comme si une distance devait être de mise dans cette histoire si intime. En tout cas, cette distance m'a tenu à l'écart d'une écrivaine si talentueuse par ailleurs.
      A moins que Léonor de Récondo, dans un besoin vital et cathartique, n'aie éprouvé le désir bien compréhensible de coucher sur le papier une ode à l'amour paternel. Bel hommage à un père adoré. Une chose est certaine, là où il est, il doit être fier de sa fille !

7 oct. 2019



HAÏKU   Partie CXXXIII

°°°°°°°°°

littoral automnal -
montagne de galets
mer en vacances


yeux fermés -
bruit du vent marin
ou celui des vagues


sous leurs cheveux d'algues
les rochers immobiles
peignés par les vagues


sur les galets
yeux clos
le conseil des vagues


une bombe au Havre -
le secteur est évacué
risque de tomber en amour


5 oct. 2019

" Vers la beauté " de David Foenkinos   16/20


        D'une part il y a Antoine Duris, un éminent professeur aux Beaux-Arts de Lyon. Un beau jour, sans prévenir quiconque, il décide de tout quitter pour devenir un simple gardien de salle au musée d'Orsay. Pourquoi cette décision étonnante de déclassement volontaire ? Quel drame fuit-il ? Un crime peut-être ? Même sa soeur, de qui il est resté proche, ne peut lever le secret qui expliquerait ce suicide sociétal et professionnel.
      D'autre part, il y a Camille, une étudiante en art, qui, pour son jeune âge, affirme déjà une certaine maturité et une captivante originalité dans l'exigent art pictural. Malheureusement, la vie lui réserve une belle saloperie comme elle sait les concocter.
      Ces deux destins, ces deux trajectoires d'êtres cabossés par la vie vont s'entrecroiser brièvement pour, telle une supernova, furtivement éblouir le monde de la peinture.

      Avec ce roman, David Foenkinos agrandit le cercle de l'art comme catharsis qu'il avait admirablement amorcé avec Charlotte Salomé, jeune peintre juive noyant sa vie dans la peinture pour survivre au nazisme. Toujours dans l'esprit de mettre un baume sur les blessures, il en remet une belle couche (si je puis dire) en considérant toutes formes d'art comme des cautérisations vitales pour surmonter les lourdes épreuves de la vie. Cependant, la finalité de l'existence de l'art, sa raison d'être première, est-elle en priorité un médicament, un dérivatif spirituel pour une humanité en déliquescence et en souffrance ?

      Ce livre lui permet de mettre le doigt sur un sujet très dramatique et inacceptable de nos sociétés, il dénonce ouvertement des pratiques si souvent tues pour des raisons bien compréhensibles. Même si le mouvement MeToo est passé par là, les choses ont-elles fondamentalement changé? Le fait de poser la question est, déjà en soi, une réponse.

      Même si l'intrigue tarde quelque peu à démarrer, la force intrinsèque du texte final donne une puissance inoubliable à l'ensemble ; d'autant qu'une plume parfois facétieuse, parfois ténébreuse hisse le roman à un niveau poignant.

       Au passage, David Foenkinos soulève tout l'arbitraire et l'iniquité à propos de ces peintres morts dans la misère et dont les oeuvres se vendent aujourd'hui à grands coups de millions d'euros.
      Parmi les thèmes abordés, l'auteur fait ressortir le constat effarant qu'il suffit de désirer vivre autrement que la majorité, d'être à contre-temps en quelque sorte (notamment vivre sans portable, sans nécessité de s'amuser à tout prix, sans envie d'imiter la foule), pour passer pour un être suspect aux yeux des autres, comme un attardé, un démodé voire un fossile ! Pourquoi le bonheur ne pourrait-il pas être simple, sans toutes ces fioritures inutiles et souvent dispendieuses ?
      L'auteur digresse avec bonheur sur toutes ces expressions absurdes et toutes faites qui nous agressent journellement comme : refaire sa vie ou tourner la page, ou cette particularité de définir la personnalité d'une personne juste en examinant sa chevelure, de mémoire cela existait déjà avec les chaussures dans le film Héroïnes de 1997.

      Mon véritable bémol vient d'une absence d'évocation lyrique des tableaux sans pour autant en faire une fastidieuse étude détaillée. On sent que l'auteur veut rester généraliste, ne pas ennuyer un lectorat qui n'entend rien à la peinture. Quel dommage ! De même survoler à 10 000 mètres la vie de Modigliani me semble infiniment léger et négligeant. Sans en faire une biographie on pouvait évoquer son parcours chaotique et torturé ou du moins en écrire un minimum ; juste dire qu'il est décédé de tuberculose à l'âge de 35 ans en 1920 me paraît un point essentiel, cela aurait donné un positionnement de Modigliani dans son époque.

      Vers la beauté est un roman universel sur le rôle de l'art dans la cicatrisation de toutes nos écorchures, de toutes nos déchirures, grandes ou petites. Un livre tout en délicatesse, aussi sombre que pertinent, où la beauté apaise. Une magnifique ode à l'Art.