30 janv. 2023


 " Animal "   de Sandrine Collette   17/20

      Au cœur de la forêt népalaise vit Mara. Un jour, elle découvre deux jeunes enfants attachés à un arbre, sans réfléchir, par réflexe, elle les libère et les emmène vivre avec elle. Cependant, si elle reste dans sa cabane, les responsables du ligotage vont la retrouver, alors elle fuit vers la grande ville avec les enfants...

      Vingt ans plus tard, au Kamtchatka, sur cette péninsule pleine de forêts et de volcans, débarque un groupe de chasseurs d'ours. Vite ils en prennent un en chasse, un spécimen colossal. Dès lors, une poursuite s'amorce, mais la grosse bête est loin d'être bête...

      Une fois de plus Sandrine Collette sait emporter son lecteur dans ces histoires où l'homme se voit contraint d'aller au bout de lui-même, de s'adapter jusque dans ces derniers retranchements. Il n'y a pas de triche, pas de toc, que du brut et du sauvage à l'état pur. La nature ne fait pas de cadeau, l'homme non plus. Toute la noirceur du monde est là, obligeant toute faiblesse à se payer cash. Seulement le jour où l'inférieur réussit à s'affranchir de sa misérable condition, l'être qui en émerge ne peut être que très dangereux ; fabriqué par ceux-là mêmes qui l'asservissaient.

      S'il y a un personnage qui transcende le récit, ce ne peut être que Lior, une jeune femme dont le regard vous transperce de sa volonté et de son ineffable chagrin. En pleine nature, elle possède un instinct, une acuité et un flair affûté. Une vraie féline, à la limite de basculer dans le monde animal. Néanmoins, au fond d'elle, on sent poindre une fissure, une souffrance venue du fond des âges, une douleur lancinante que rien ne peut calmer. 

      Qu'ils soient animal ou humain, pour survivre, les protagonistes devront piocher au fond de leurs tripes la force de vaincre, d'aller au bout du bout d'eux-mêmes. La tension que développe l'autrice est si palpable, si insoutenable, que la frontière entre l'homme et l'animal sera parfois franchie ; tant de sauvagerie chez l'humain et tant d'humanité chez l'animal.

      La plume, tel un animal sauvage, se déploie, se courbe, se raccourcit avant de repartir au galop, mangeant ses propres mots, elle adhère à l'histoire afin de mieux la transcender.

      Dans une nature omniprésente, entre ours et tigre, Sandrine Collette nous embarque sur un chemin tortueux pour nous brosser, à la peinture rouge sang, l'une des facettes d'une société plus sauvage que le plus sauvage des animaux.


23 janv. 2023



 " Azincourt par temps de pluie "   de Jean Teulé   16/20

     Courte histoire d'une curée mémorable.

      Avec la verve que nous lui connaissons, Jean Teulé nous raconte par le détail la fameuse bataille d'Azincourt. Celle qui fut qualifiée d'imperdable par les chevaliers français et qui, au final, fut bel et bien perdue, ridiculement et stupidement perdue. Pourtant, en ce 25 octobre 1415, même s'il tombe des hallebardes sur l'Artois, les français avaient pour eux une supériorité numéraire indéniable, de surcroît, ils étaient sur leur terrain, frais, nourris et bien reposés, en face, une armée anglaise peu nombreuse, fatiguée et affamée. Seuls, un excès aveugle de confiance, une fidélité idiote aux lois de la Chevalerie, une distribution des rôles à qui a la plus grande richesse, un dédain sans nom pour le corps d'armée anglaise et une suffisance sans égale, ont permis cet affront et cette honte. 

      Finalement, la vanité est à l'origine de tout, de cette vanité qui englue le cerveau, qui annihile toute réflexion, qui stérilise toute pensée. Ce livre est une grande leçon d'humilité et de modestie. On a vite fait de se croire grand, beau, intelligent, remarquable, au final la réalité nous rattrape toujours. Cependant, il est très souvent trop tard, encore heureux s'il nous reste nos yeux pour pleurer.

      La plume fantasque et flamboyante de Jean Teulé nous donne un récit au scalpel du déroulé de la bataille, rien ne nous sera épargné ni de la boue, des entrailles en vadrouille ou des corps bouillis. Avec lui, on ressent le souffle de la lutte dans toute son horreur et son imbécilité, oui imbécilité, car les anglais étaient prêts à déposer les armes, à restituer Harfleur et Calais au royaume de France, mais la fierté des aristocrates de la cour de France veut une bataille pour se couvrir de gloire. Ils ne réussiront qu'à se couvrir de boue et de mort. Bravo la France !


16 janv. 2023


 " Serge " de Yasmina Réza   17/20


      Chronique familiale aigre-douce, doublée de la question de la mémoire et de ses conséquences.

      Dans la famille Popper, les vieux meurent comme ils peuvent, les enfants grandissent aussi comme ils peuvent et les amours, naturellement, se déploient comme ils peuvent. Tout le monde fait ce qu'il peut, avec ses propres moyens, mais est-ce suffisant ? D'autant que chacun a un avis sur chacun, forcément pertinent et différent. Ainsi, tout le monde a sa vérité. Allez vivre avec tout cela !

       Yasmine Réza écrit sur la fratrie, sur la dépendance des liens familiaux. Ces liens étant à la fois une folle damnation et un pur bonheur. Être unis pour la vie, ne jamais se sentir vraiment seul(e) pour vivre les pires moments de la vie. Liens irremplaçables, imputrescibles, mais parfois si lourds.

      Derrière la grande quantité de dialogues, on devine la dramaturge confirmée aux répliques cinglantes, pleines d'humour et de vérités cachées. Tous ces griefs mal digérés, ces rancunes inassouvies ressurgissent, oui, mais pas n'importe où : lors d'une visite en famille du camp d'extermination d'Auschwitz ! Gros malaise. Il fallait oser. Yasmina ose et elle a raison. Elle remet en question ces visites obligatoires dans les camps de la mort, où les tenues négligées, les selfies, les rires, sont des affronts sans nom face à l'ignominie des camps d'extermination.

      Yasmina Réza multiplie les points de vues, elle s'empare du drame de la vieillesse, ce moment de non-retour qui vous saute à la gueule, mais que rien ne pourra incurver. La vieillesse a sa propre trajectoire, assurément désespérante, affligeante pour ne pas dire mortelle !

      Douée d'une ironie ravageuse, Yasmina Réza signe un roman follement désenchanté. Nos égocentrismes sont sur la sellette, ridicules et pourtant si humains. Entre tragique et comique vous dis-je !


12 janv. 2023


" Deux hommes de bien "   de Arturo Pérez-Reverte   18/20

      Quelques années avant la révolution française, deux membres de l'Académie royale d'Espagne sont mandatés par leurs collègues pour se rendre en France, dans le dessein d'en ramener les 28 tomes de la fameuse encyclopédie de Diderot et d'Alembert, jusqu'alors toujours interdite dans leur pays. Ainsi, le bibliothécaire don Hermogenes Molina et l'amiral don Pedro Zarate, tous deux hommes intègres et courageux, entreprennent ce long et périlleux voyage de Madrid à Paris...

      Saluons avant tout l'écrivain pour la qualité historique et littéraire de ce roman. Que de travail, de recherche et d'acharnement pour aboutir à raconter ce fait historique comme si nous y étions. De surcroît, l'érudition nous élève à chaque page, sans oublier la trame romanesque nous entrainant de droite à gauche et vice-versa, tel le fallacieux courant d'une rivière.

      La plume d'Arturo Pérez-Reverte nous éclaire sur la situation politico-religieuse de l'Espagne et de la France. L'Espagne est alors soumise au joug rigoureux et cruel de l'inquisition. Celle-ci, au nom d'une vénération sans borne pour la tradition, d'un amour excessif de l'ordre et d'une soi-disant sacro-sainte religion, s'oppose à toute avancée scientifique venant contrecarrer les principes divins. Alors qu'en France, et plus particulièrement à Paris, l'esprit des Lumières se déploie sous les plumes entre-autres de Voltaire et de Rousseau.

      Avec une précision chirurgicale, l'auteur nous fait ressentir les prémices du mouvement de révolte qui débouchera sur 1789. Il pointe du doigt le désespoir de tout un peuple vivant dans une misère extrême, même au cœur de la capitale. Par l'intermédiaire de l'abbé Bringas, il parle des malheureux ruminant leurs offenses, ressassant leurs rancunes. Présageant le pire, il voit déjà se profiler une silencieuse armée des ombres qu'un trop plein de désespoir va finir par jeter dans d'effroyables excès. Comme un miroir tendu à notre société soi-disant moderne et intelligente laissant dans la marge un nombre croissant de miséreux. Méfiance, quand un système abuse de ses pouvoirs le retour du balancier est toujours sans limite. 

      Cadeau de l'écrivain : à l'intérieur du récit s'en cache un autre, celui où l'auteur nous montre les ficelles de son roman, comment celui-ci s'écrit avec ses doutes, ses innombrables recherches, et ses judicieuses intuitions, sans oublier ses repérages sur le terrain pour mieux s'imprégner de l'essence des lieux, du moins quand ils existent encore (n'oublions pas qu'Haussmann n'avait pas encore éventré Paris).  Une belle leçon d'écriture historique, pleine de judicieux conseils, pour tout plumitif en herbe.

      A travers le long parcours de nos deux académiciens, Arturo Pérez-Reverte en profite pour célébrer l'amitié et l'honneur, la force immuable des convictions, l'amour immodéré des livres, le respect entre deux hommes aux idées différentes, mais aussi la stupidité des vaniteux, l'hypocrisie faite homme, la sordide immoralité et le cynisme d'hommes devenus brigands ou aristocrates : bref, le monde entier en un roman. Que demander de mieux ?

      Parfaitement documenté, hautement stimulant pour la pensée, aussi trépidant qu'instructif, ces " Deux hommes de bien " font rayonner leur aura longtemps encore après la dernière page tournée ; un livre remarquable.


9 janv. 2023






HAÏKU   Partie CLXXI


°°°°°°°°°


petit bonhomme

observant la nuit étoilée

questions à l'infini



champ d'étoiles

des mondes partout mais si loin

belle espérance



lumière pure

venue du fond des temps

- contemplation



chers disparus

les nuits étoilées j'imagine

vos âmes briller



yeux grands ouverts

j'oublie mes soucis terrestres

tête dans les étoiles



6 janv. 2023

 


" L'ordre du jour "   de Eric Vuillard   18/20


      Livre atypique, comme sait nous les servir Eric Vuillard, d'ailleurs le Goncourt 2017 est venu couronner ce talent et ce roman. Avec L'ordre du jour, l'auteur décortique certains pans des prémisses de la seconde guerre mondiale. Notamment, quand ce 20 février 1933, en plein hiver berlinois, 24 grands prêtres de l'industrie allemande sont conviés dans l'un des salons luxueux du président du Reichstag. Parmi ces hommes d'affaires on trouve entre autres : Krupp, Siemens, Opel, Bayer. Cette réunion à pour dessein d'aider à financer l'Etat nazi. Naturellement, la compromission de ces grands groupes leur assure de gigantesques marchés adossés à de colossaux bénéfices. Tous bâtis sur une fidélité au régime en place et sur les prisonniers puisés dans les camps de concentration, même s'il n'y a pas eu que ces malheureux-là dans les usines. Main d'oeuvre gratuite, pourquoi s'en priver ? Bien sûr, ce n'est que du business. Peu importe l'idéologie et les effroyables souffrances : business is business.

      Suivant son chemin de décryptage, Eric Vuillard évoque l'arrivée des troupes allemandes en territoire autrichien le 12 mars 1938, lors de la fameuse annexion de l'Autriche : l'Anchluss. En regardant attentivement derrière les images et le discours officiel, cette soi-disant avancée fulgurante ne fut qu'une laborieuse aventure, digne des pieds nickelés, où une grande partie du matériel militaire tomba tout simplement en panne ! Consternant ! Fureur du Führer !

      Avançant ainsi par petit touche, l'auteur évite la guerre frontale avec son côté spectaculaire pour mieux nous glisser derrière le rideau des coulisses de l'Histoire, tant sur le plan diplomatique que celui du terrain propre. Appelant chacun d'entre nous à nous méfier de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un message de propagande. Toute image, déjà à l'époque, pouvait être falsifiée, alors aujourd'hui !

      D'aucuns trouveront cet essai romancé trop succinct, sautant du coq à l'âne, n'ayant rien d'une étude historique, qu'il est une succession de réflexion moraliste, inaboutie, indigeste ! Que nenni ! Ces pages éclairent l'Histoire, allument le feu de la connaissance, dessillent nos yeux, bref nous rendent moins bête, et c'est là l'essentiel !

      Dans un style ramassé, 150 pages, Eric Vuillard mêle l'ignoble au grotesque et la stupeur à l'effroi. Il décrit la force incroyable du bluff, mais surtout nous apprend à toujours zieuter derrière les vérités dîtes "officielles". Instructif et glaçant.


2 janv. 2023


 " Sérotonine "   de Michel Houellebecq   5/20


      Sérotonine, à 46 ans Florent-Claude a bien besoin de cette substance miracle qui aide les hommes à vivre... ou du moins à ne pas mourir. En effet, il aura fallu que notre Florent-Claude (prénom impossible) croise à une station-service une belle jeune espagnole (jamais revue) pour qu'il se rende compte du néant affectif de son existence, sans oublier celui aussi abyssal de sa vie professionnelle. Cette lucidité débute avec sa compagne actuelle : Yuzu, une japonaise avec qui il partage une relation devenue platonique dans un appartement parisien de grand standing. Il décide alors de tout plaquer et de quitter son poste au ministère de l'agriculture. Florent-Claude songe à fuir en Argentine... avant d'échouer dans un hôtel de la place d'Italie, bien moins exotique... quoique ! Isolé dans sa chambre, il fait le bilan de sa première moitié d'existence en commençant par ses amours : Claire, une actrice qui ne percera jamais ; Kate, l'avocate danoise qui le quittera pour l'humanitaire ; et Camille, l'ex-vétérinaire stagiaire ; cependant le monde social est un animal vorace qui détruit tout amour en construction. Puis, il se remémore son ancien camarade d'étude en Agro : Aymeric d'Harcourt-Olonde, qui a choisi de reprendre les terres agricoles familiales à Canville-la-Rocque. Mais les difficultés économiques arrivant et sa famille s'étant disloquée, ayant tout perdu, il se lance dans une jacquerie contre l'état et l'Europe.

      Michel Houellebecq étale son blues d'homme moderne en panne érectile, à la chair triste et au moral en lambeaux. Il nous offre le pitoyable déclin de la classe moyenne imbue d'elle-même, avant de se répandre en une longue dissection de ses idées noires. Pas bien emballant comme résumé et royalement déprimant à lire. Bien sûr, Houellebecq fait du Houellebecq, sauf que là, l'empathie ne prend pas, ce Florent-Claude me laisse totalement indifférent. Personnage déplaisant, égocentrique, misogyne, qui aspire à tout, sauf à la sympathie. Il n'y a que son plaisir qui compte, celui de fumer dans les chambres d'hôtel en regardant la télé, belle perspective ! Celui de travailler le moins possible en gagnant un maximum, belle ambition ! Celui de tromper allègrement la gente féminine, beau programme ! Celui de critiquer ouvertement les écologistes, belle responsabilité planétaire ! Non rien pour le sauver, rien ; il est désespérément inintéressant et mérite grandement l'avenir sinistre qu'il se prépare. 

      Si aucun rayon de soleil, ni aucune lumière rasante ne vient éclairer le récit, l'écriture est de cette même veine, désabusée, sans le moindre élan littéraire, plat, vide, insipide. La sale impression que l'imagination manque à l'auteur, qu'il ronge toujours le même os, éperdument, désespérément. Apparemment les critiques ne s'en sont pas encore aperçu, il serait peut-être temps de leur dire. 

      Heureusement que Michel Houellebecq glisse la parenthèse du monde paysan en déclin, même si le désespoir est toujours là, on touche à un vrai sujet sociétal, à une sensibilité qui prend sens, à un singulier questionnement entre paysannerie et politique. L'auteur aurait pu relier cela à des perspectives environnementales plus saines, mais non, à quoi bon donner de l'espoir quand l'accablement, la désolation et l'affliction sont les seules conjectures que Houllebecq comprenne. Se vautrer dans la fange des bas-fond de la vie, voilà son ambition, son viatique, je le lui laisse !

      Même si ce roman est à prendre au second degré, tout dégoulinant d'humour noir ou d'acidité gratuite, j'en ai ras-le-bol de ces personnages qui fument et boivent sans vergogne, qui roulent en SUV, qui sont ouvertement misogynes, homophobes, qui ont un phallus à la place du cerveau, qui critiquent constamment un pouvoir en place alors qu'ils agissent pire que lui. Bref, par connerie pure ou par goût de la provocation, tous ces protagonistes m'indiffèrent et m'emmerdent au plus haut point car ils salissent tout sans jamais être un chouilla constructifs. Qu'ils débarrassent le monde de leurs carcasses méphistophéliques et de leurs prosélytiques déprimes stériles, le monde n'a pas besoin d'eux.

      Bon bah, je ne sais pas vous, mais moi, pour me remettre de cette lecture ennuyeuse, inerte et morne je prendrai bien un petit antidépresseur, d'où le titre du roman, certainement !