" Les saisons de la nuit " de Colum McCann 13/20
1916 New-York, Nathan Walker est un ouvrier terrassier qui oeuvre, avec une simple pelle, à la construction d'un tunnel pour le futur métro qui reliera Brooklyn à Manhattan en passant sous l'East River. Certes, travail de forçat, travail extrêmement dangereux, néanmoins Nathan et ses trois autres collègues s'appliquent à faire consciencieusement leur job. Ils en tirent une certaine fierté, comprenant qu'ils contribuent à la modernité de la ville.
1991, Treefog est un SDF vivant perché dans les décombres d'un tunnel. On suit son quotidien, il nous présente ses compagnons d'infortune, tout en ressassant des fragments de sa vie d'avant, celle où il vivait heureux avec sa femme et sa fille, ou quand il dansait sur les poutrelles en fer à des dizaines de mètres de hauteur.
A l'aune de ce préambule, je suis très partagé. Partant délibérément sur deux temporalités, qu'il s'amuse à entrecroiser, puis par fusionner, Colum McCann n'approfondit rien. Quel dommage. Chaque partie, intelligemment développée, aurait permis de faire deux vrais romans. Or là, à vouloir tout imbriquer, pour une utilité limitée, il brouille les cartes et nous faire lire un brouillon. Je suis peut-être sévère, mais c'est mon sentiment. En effet, la deuxième partie, interminable, nous raconte des choses bien peu intéressantes sur des pages et des pages, alors que la vraie personnalité de Treefog reste dans un flou abyssal, sans oubliées les causes de sa séparation d'avec sa femme qui restent inexpliquées. C'est regrettable car on devine que l'auteur a énormément bossé sur l'élaboration de sa copie, la plume est appliquée, presque humanitaire.
Par contre, l'histoire de la vie de Nathan Walker est poignante. Etant noir et marié à une blanche, il a laissé parler son cœur (qu'il a énorme), avant de songer aux multiples problèmes de discriminations. L'auteur nous fait un admirable portrait d'un homme droit, intègre et généreux, victime d'une société abjecte et raciste.
La description de la ville de New-York est prestigieuse. Elle se dresse de partout, bravant l'altitude, elle plonge ses racines dans le sous-sol, créant tout un réseau de tunnel. Tel un arbre, la ville croît. Autre point fort, la célébration de l'amitié entre hommes issus de différents horizons, se serrant les coudes quand le destin est néfaste.
Bref, cette première partie, à elle seule, était suffisante à en faire un exceptionnel roman, aucune nécessité, à mes yeux, d'y mêler, d'y entrelacer un autre récit inutilement bavard, même si, j'y reviens, Colum McCann aurait pu aller au bout de ce récit humaniste dont il a commencé à entrouvrir la porte. Un exemple : que dire d'un pays qui condamne une jeune mère à renier son enfant parce qu'il n'a pas la même couleur de peau ?
Malgré toutes mes remarques, ce roman vaut le détour, car il nous dessine le portrait d'une Amérique qui se met debout grâce au travail d'ouvriers trop peu reconnus. En vérité, ce livre aurait pu être Le Grand Roman Américain sur l'Amérique de la première moitié du XXème siècle. Hélas, c'est raté, mais de peu.