" Madelaine avant l'aube " de Sandrine Collette 18/20
Tout lecteur se souviendra longtemps de cette petite Madelaine, une enfant affamée et sauvage, surgit de la forêt une nuit, et faisant irruption dans ce minuscule hameau en pleine campagne. L'autrice ne dit rien de l'époque, cependant, nous sommes au coeur d'un moyen-âge douloureux pour le simple paysan, obliger de donner une grande partie de sa récolte aux seigneurs des lieux. Comme si cette autorité ne suffisait pas, il doit subir les affres d'un climat aléatoire, capable de ruiner ses plantations de printemps par plusieurs jours de gelée tardives. Et que dire du fils du seigneur, un indivu ignoble, capable de choper n'importe quelle paysanne pour lui faire subir ses moindres désirs ? Sans oublier les périodes d'épidémie. Pas facile la vie dans le hameau Les montées pour celui qui n'est pas noble.
Madelaine sera recueilli par la vieille Rose, une femme sachant préparer des onguants capables de soigner beaucoup de maux. Par son courage et sa détermination, elle fera l'admiration des autres habitants, notamment des deux femmes jumelles : Ambre et Aelis, de leurs maris : Eugène et Léon et de leurs enfants. Néanmoins, au fond d'elle, la flamme d'une rage inextinguible demeure, folle de justice, elle sait qu'un jour cette petite flamme presque innocente brûlera ce monde.
Pour bien prendre conscience de la dureté du monde des malheureux qui cultivent une terre qui ne leur appartient pas, rien de mieux que cette lecture. L'idée sous-tendue en arrière fond est celle qui nous confronte à l'injustice la plus criante. Que faire ? Accepter de plier éternellement l'échine devant une autorité violente et inique, tout en permettant de garder une existence de nécessiteux, ou, relever la tête, rester debout et fier, dire l'arbitraire et l'inéquitable, au risque d'en payer le prix lourd ? Alors, se taire ou protester ? Accepter le joug ou se rebeller ? Vivre petitement ou mourir dignement ? Questionnement universel.
En dehors de sonder notre instinct de révolte, Sandrine Collette, grâce à une plume enhardie de maîtrise, interroge également nos liens familiaux, sont-ils indépassables ou faut-il s'en affranchir pour mieux faire naître d'autres liens tout aussi forts.
S'il fallait une critique, un léger bémol, je dirais que l'histoire peine un peu à se mettre en branle. On passe par quelques rallongements d'écriture avant d'embrayer sur un narratif captivant. Néanmoins, je me demande si le calme trompeur du début n'est-il pas uniquement là dans le dessein de nous saisir d'autant plus par la suite ?
Je me suis toujours demandé comment Sandrine Collette, à l'air si inoffensif, au sourire si engageant, à l'oeil qui frise, pouvait écrire des livres si effroyables ? Déjà son tout premier roman : Des noeuds d'acier, nous plongeait dans l'horreur d'une séquestration, et là, elle continue et persiste dans la voie du roman glaçant et inévitablement inoubliable. De surcroît, par quelques figures d'écriture, je la sens prendre un grand plaisir à nous manipuler ; cachant une vérité pour mieux nous l'offrir en cadeau ensuite.
Par sa force et son intensité, Sandrine Collette nous dresse un portrait d'un petit bout du monde écartelé entre humanité et sauvagerie, celui des hommes, mais aussi celui d'une nature elle aussi inflexible dans son impériosité avec ses exubérances dévastatrices. A force de douleurs et de rage, le monde des hommes de peu, réussiront-ils à faire plier l'autre monde qui les asservi ? Affreusement noir, ce roman nous offre une étincelle d'espoir. Seulement une étincelle.