26 déc. 2025


 " Les fleuves du ciel "  de Elif Shafak   18/20

      Londres, 1840. Un bébé vient de naître sur une rive de la Tamise, sa mère, dépressive, est une miséreuse vivant dans les taudis de la capitale, pourtant son enfant nommé Arthur connaîtra un destin inouï, grâce à une mémoire phénoménale. A l'âge de 13 ans, son père, un être vénal et alcoolique, lui déniche un boulot comme apprenti dans une imprimerie renommée. Sa vie basculera le jour où Arthur verra, entrant dans le British Muséum, des gigantesques statutes ailées, à la figure humaine et au corps de taureaux, se sont des lamassus appartenant à Assurbanipal, l'un des rois assyriens. Dès lors, il pressent que sa vie n'aura de sens et d'intérêt qu'autour des civilisations mésopotamiennes et de son écriture cunéiforme.

      Turquie, 2014. Chassées de leur village, Naryn, une fillette de 9 ans, et sa grand-mère yésidie entreprennent un long voyage, traversant des terres en guerre dans l'espoir d'atteindre la vallée sacrée de Lalesh ; lieu où a vécu le peuple Yésidie en Irak, afin d'y baptiser Naryn.

      Londres, 2018. Zaleekhakh est une jeune femme hydrologue subjuguée par tout ce qui se rapporte à l'eau. Afin de fuir un mariage en perdition, elle emménage sur une péniche. Psychologiquement fragile, car abîmée par la perte de ses parents quand elle était enfant, Zaleekhakh recherche une forme de catharsis où l'eau est la composante essentiel.

      La mémoire, l'identité, la transmission et les génocides sont les thèmes de ce remarquable récit. Elif Shafak réussit une belle épopée, entrelaçant trois portraits et deux siècles, dans une danse s'harmonisant autour de l'élément liquide, indispensable à la vie : l'Eau. Sous sa plume élégante, l'autrice en fait une allégorie poétique. L'eau devient la mémoire intangible des civilisations qu'elle a côtoyées. Les pluies engendrant les torrents, les rivières, les fleuves, puis les océans, elle relie le ciel et la terre dans une communion et un brassage ininterrompus depuis les civilisations antiques. Par l'intermédiaire de ce fil rouge, Elif Shafak met en lumière le mépris de l'Occident pour cet Orient où la toute première civilisation est née, inventant l'écriture et les lois. A noter, sensiblement à la même époque, il y a une sorte de correspondance avec ce qui se passa en Egypte et en Chine, du moins pour l'écriture.

      La romancière turque évoque également les tragédies du passé du peuple Yésidie, qui, telles un effet miroir, sont également contemporaines et aussi effroyables. Malheureusement, ce bouleversant passé fait écho à l'actualité. Comme l'écrit Elif Shalak : ... ce qu'on nomme civilisation n'est en vérité qu'un ouragan en sursis. Puissant, protéen, parfaitement destructeur, qui tôt ou tard se libérera de ses entraves et engloutira tout sur son chemin insatiable. Pour reprendre le titre d'un essai de Laure Murat, je rajouterais : Toutes les époques sont dégueulasses.

      Ce roman célèbre la force des histoires, celle que l'humanité se raconte depuis la nuit des temps. Grâce aux tablettes d'argile, même les récits les plus anciens ressurgissent au gré de fouilles. Une partie de la mémoire du monde surnage, malgré les inondations, les incendies, les exactions, les génocides.

      J'ai été particulièrement touché par le personnage d'Arthur. Loin de se laisser abattre par la pauvreté de sa condition, il a la force de soulever en lui une volonté, une ligne de conduite, une passion, qui vont l'amener à fréquenter des horizons inespérés. Il est en quelque sorte un colibri, l'espoir du monde, même une sorte de redemption, qui aura fait ce qu'il a pu, avec une naissance si miséreuse et une adversité si constante. Inconsciemment, comme en parallèle, en similitude, j'ai songer au roman  Martin Eden de Jack London.

      Ce roman est également une plaidoirie pour la pérennité des fleuves, que l'Homme cesse leur destruction à coup de pollutions et de barrages, privant les peuples vivants en aval d'une eau pure en quantité pour eux-mêmes et leurs cultures.

      Les fleuves du monde est un excellent roman d'apprentissage et de spiritualité, un roman érudit et accessible, qui donnera, je l'espère, l'envie pour beaucoup de lecteurs et lectrices de se documenter sur cette extraordinaire période que fut celle de l'invention de l'écriture.


19 déc. 2025





" Eugénie Grandet "  de Honoré de Balzac   15/20

      1819, dans la ville de Saumur vit modestement la famille Grandet : le père, ancien tonnelier, est devenu incroyablement riche grâce à de juteuses spéculations financières ou foncières ; ainsi,  son épouse et sa fille vivent sous le joug patriarcal considérant toutes dépenses comme une hérésie. 

      Un soir, dans cette atmosphère étouffante de mesquinerie et d'avarice maladives, le neveu du père Grandet toque à la porte... dès lors, rien ne sera plus comme avant.

      Bien sûr, Balzac ouvre le bal avec d'opulentes descriptions, il sait implanter un décor, une ambiance, des sensations et nous offre d'ailleurs un bel et généreux incipit, qui, à lui seul, est un résumé symbolique du récit. Surprenant, non ?

      Puis, les nombreux protagonistes sont à leur tour mis en lumière, à l'exception notoire de la mère, de la fille et de la bonne ; chacun agit par intérêt, tout est pesé, estimé, calculé, corrompu. Toute action est jugée stérile si elle n'est pas profitable d'une manière ou d'une autre, rien n'est gratuit. Un vrai monde d'hypocrites où la nature humaine n'a rien de reluisant. Par contre, en opposition de bonté, Madame Grandet, Eugénie et la bonne ont un cœur immense à l'instar de la fortune du père Grandet. 

      Balzac nous dessine une peinture aigre d'une petite bourgeoisie étroite d'esprit, sans cœur, ne se passionnant que pour les valeurs bassement matérielles. D'ailleurs, l'optimisme ne traverse nullement l'oeuvre de Balzac, il appuie avec véhémence là où cela fait mal ; décrivant un monde mercantile et ambitieux, replié sur lui-même, qui s'atrophie peu à peu sous ses propres égarements.

      Indubitablement, la naïve et pieuse Eugénie est une figure touchante, sa bonté, même envers son père, en fait une sainte. Elle trouve même un certain bonheur à vivre dans l'abnégation, avant d'être éperdue d'amour face à son beau cousin. Malheureusement, elle si douce et tendre, devra affronter un destin bien sombre, à coup de décès, de trahisons et de mariage arrangé.

      Mon seul bémol tiendra aux passages concernant les multiples considérations financières qui m'ont perdus par leur côté abscons ; peut-être dû aussi à mon grand désintérêt pour le monde de l'argent, celui qui profite toujours aux mêmes, alors que bien souvent ils ne sont pas dans le besoin.

     Voici un formidable roman pour répondre à l'éternelle question : L'argent fait-il le bonheur ?


14 déc. 2025


" Les saisons de la nuit "  de Colum McCann   13/20

      1916 New-York, Nathan Walker est un ouvrier terrassier qui oeuvre, avec une simple pelle, à la construction d'un tunnel pour le futur métro qui reliera Brooklyn à Manhattan en passant sous l'East River. Certes, travail de forçat, travail extrêmement dangereux, néanmoins Nathan et ses trois autres collègues s'appliquent à faire consciencieusement leur job. Ils en tirent une certaine fierté, comprenant qu'ils contribuent à la modernité de la ville.

      1991, Treefog est un SDF vivant perché dans les décombres d'un tunnel. On suit son quotidien, il nous présente ses compagnons d'infortune, tout en ressassant des fragments de sa vie d'avant, celle où il vivait heureux avec sa femme et sa fille, ou quand il dansait sur les poutrelles en fer à des dizaines de mètres de hauteur.

      A l'aune de ce préambule, je suis très partagé. Partant délibérément sur deux temporalités, qu'il s'amuse à entrecroiser, puis par fusionner, Colum McCann n'approfondit rien. Quel dommage. Chaque partie, intelligemment développée, aurait permis de faire deux vrais romans. Or là, à vouloir tout imbriquer, pour une utilité limitée, il brouille les cartes et nous faire lire un brouillon. Je suis peut-être sévère, mais c'est mon sentiment. En effet, la deuxième partie, interminable, nous raconte des choses bien peu intéressantes sur des pages et des pages, alors que la vraie personnalité de Treefog reste dans un flou abyssal, sans oubliées les causes de sa séparation d'avec sa femme qui restent inexpliquées. C'est regrettable car on devine que l'auteur a énormément bossé sur l'élaboration de sa copie, la plume est appliquée, presque humanitaire.

      Par contre, l'histoire de la vie de Nathan Walker est poignante. Etant noir et marié à une blanche, il a laissé parler son cœur (qu'il a énorme), avant de songer aux multiples problèmes de discriminations. L'auteur nous fait un admirable portrait d'un homme droit, intègre et généreux, victime d'une société abjecte et raciste.

      La description de la ville de New-York est prestigieuse. Elle se dresse de partout, bravant l'altitude, elle plonge ses racines dans le sous-sol, créant tout un réseau de tunnel. Tel un arbre, la ville croît. Autre point fort, la célébration de l'amitié entre hommes issus de différents horizons, se serrant les coudes quand le destin est néfaste.

      Bref, cette première partie, à elle seule, était suffisante à en faire un exceptionnel roman, aucune nécessité, à mes yeux, d'y mêler, d'y entrelacer un autre récit inutilement bavard, même si, j'y reviens, Colum McCann aurait pu aller au bout de ce récit humaniste dont il a commencé à entrouvrir la porte. Un exemple : que dire d'un pays qui condamne une jeune mère à renier son enfant parce qu'il n'a pas la même couleur de peau ? 

      Malgré toutes mes remarques, ce roman vaut le détour, car il nous dessine le portrait d'une Amérique qui se met debout grâce au travail d'ouvriers trop peu reconnus. En vérité, ce livre aurait pu être Le Grand Roman Américain sur l'Amérique de la première moitié du XXème siècle. Hélas, c'est raté, mais de peu.


10 déc. 2025

 " Adieu Kolyma "   de Antoine Sénanque   14/20

      La révolte hongroise de 1956 est écrasée par les chars russes. En 1957, Budapest panse ses plaies et enterre ses nombreux  morts en maudissant l'innommable dictature russe. Dans cette ville meurtrie vit Sylla Bach, une ancienne survivante du goulag de la Kolyma, en Sibérie. Elle y a passé neuf années de détention et fut le bras armé des frères Vadas. Par la force, la corruption et le meurtre ils sont devenus chefs de gangs transylvaniens. Depuis, ils règnent en maître absolus sur l'extraction de l'or dans des mines situées dans cette région inhospitalière en Sibérie. Maintenant, Sylla travaille paisiblement le cuir aux côté de Varlam, un vieux bolchevick idéaliste. Cependant, la nuit, elle rôde, toujours en alerte. Elle sait que rien n'est définitif, que son passé peut remonter à la surface et venir menacer la seule personne qu'elle aime au monde : Kassia.

      La fonction de ce roman est de nous rappeler les atrocités que vécurent les prisonniers des goulags du temps de Staline. Un rappel toujours utile pour mieux appréhender le monde actuel. Ainsi, l'auteur nous décrit, sans rien édulcorer, d'une part, la violence d'un régime politique inhumain et d'autre part, il nous parle de ces mafias des pays de l'Est qui s'autorisent toutes sortes d'abjections, comme dans une incessante danse avec le diable. La toile de fond est si prégnante par son abomination froide, qu'à mon regard, elle laisse l'intrigue (pas si facile à suivre) deux pas en arrière, estompant les protagonistes derrière une nébulosité marmoréenne. Néanmoins, Antoine Sénanque donne corps à tous ses protagonistes, aucun n'est laissé pour compte, chacun à sa propre logique, certes complexe, avec en totem, chevillé au corps, cette nécessité absolue de tout tenter pour survivre à la dureté de l'environnement, qu'il soit politique, capitaliste ou physique. Aucun remord ne prévaut, toutes les trahisons sont justifiées, même si elles visent son propre frère.

      En personnage sans visage se dessine une sinistre Sibérie où un froid glacial domine toute chose, obligeant les prisonniers à travailler jusqu'à des températures flirtant avec les -50°. La faim, le froid et les mauvais traitements auront raison de 300 000 hommes et femmes rien qu'à la Kolyma. Une horreur sans nom voulut par le régime politique de l'U.R.S.S.

      Les descriptions de scènes innommables sont tellement saisissantes, qu'elles restent imprimées dans nos mémoires de lecteurs. Naturellement, en filigrane apparaît Les récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, dont l'auteur s'est ardemment nourri. D'où un personnage se nommant ainsi.

     Ce roman est un monstrueux drame shakespearien s'articulant au cœur d'une terre glaciale, hantée par la tragédie (éternelle) de l'Histoire de l'URSS. 


6 déc. 2025

 

" La forêt de flammes et d'ombres "  de Akira Mizubayashi   18/20

      Tokyo, décembre 1944. Embauché dans un centre de tri postal, Ren Mizuki y fait la connaissance de deux autres étudiants qui se passionnent, comme lui, pour la culture de l'art européen : Yuki et Bin. Aussitôt, les deux jeunes hommes tomberont amoureux de la belle Yuki...

      Je ne veux surtout pas en dire plus, car le quatrième de couverture divulgue l'essentiel de l'intrigue, gâchant le plaisir de lecture. Ce qui est trop souvent le cas, cela devrait être interdit.

      La force intrinsèque de ce roman vient des sentiments qui ne sont pas dits ouvertement. Tel un hymne à l'amitié et à l'amour qui unit les morts aux vivants, et les vivants aux survivants. Car seul l'amour véritable peut permettre aux mutilés de la vie d'envisager un avenir, bancal peut-être mais existant.

      J'ai été touché aussi par cette éloge de la pudeur, à la modération et de la politesse : composantes si absentes de notre actualité. L'art, qu'il soit musical ou pictural, par effet cathartique, ouvre des portes à ceux qui sont meurtris, isolés, victimes d'une époque traumatique ; il ravive l'empathie entre ceux qui savent encore penser par eux-mêmes.

      Au centre du récit, la musique des quatuors de Beethoven ou celle de Félix Mendelssohn résonne comme un baume ou un révélateur, elle donne de la hauteur en faisant naître des émotions, redessinant incroyablement nos propres destins. Encore faut-il savoir écouter, savoir ressentir et savoir se taire.

      L'auteur japonais, écrivant en français, nous offre une manière de vivre autrement, en savourant la magie de l'art, celui qui touche l'âme, celui qui nous réconcilie avec la vie, celui qui donne un sens à nos petites vies. Sa plume est toute en sensibilité et en élégance, elle accompagne le récit comme une ombre, pleine de douceur, je dirais presque de courtoisie.

      A noter la présence, tel un fil rouge immuable, d'une chienne immortelle nommée Hanna, elle symbolise la gardienne du temps, tel un ange femelle, elle veille à une liaison harmonieuse entre les êtres de bonne volonté.

      Ce roman aux ambitions universelles est une ode contre les insoutenables blessures engendrées par la guerre. Un message d'espoir porté à bout de bras par toutes formes d'art que ne renierait certainement pas Catherine Meurisse. Emotionnellement bouleversant.


1 déc. 2025


 " Croix de cendre "  de Antoine Sénanque   11/20

      En l'an de grâce 1348, l'Europe subit la terrible Peste noire. Dix-neuf ans plus tard, le prieur du monastère dominicain de Verfeil, Guillaume, sentant la mort s'approcher, souhaite faire connaître l'origine de la peste, et la vérité sur la mort de son maître en théologie : Eckhart de Hochheim qui fut un prêcheur aux sermons étonnants de combativité. A la même époque, l'inquisition fait des ravages, s'autorisant tous les abus ; ainsi, elle s'intéresse de près au Prieur de Verfeil et à son ancien maître à penser : Eckhart de Hochheim.

      Tous les ingrédients sont là pour écrire un livre sur le moyen-âge passionnant : des ecclésiastiques, un inquisiteur, un théologien sentant le soufre, des religieuses béguines, un ténébreux mystère et les origines de la Peste de 1347 lors du siège de Kaffa. Tout aurait dû aller pour le mieux, sauf que l'auteur nous a gratifié de considérations idéologiques interminables, faut dire qu'Eckhart de Hochheim, en homme d'esprit, décortique la théologie au point de devenir un langage sibyllin qui m'a simplement perdu et singulièrement lassé. Heureusement que l'intrigue immerge de temps en temps, nous faisant découvrir un moyen-âge captivant. Grâce à la belle plume érudite d'Antoine Sénanque, on visite les geôles inhumaines de l'Inquisitions toulousaine, on participe au siège de Kaffa (comptoir génois), on rencontre de misérables lépreux, néanmoins, on retombe vite sur la philosophie religieuse qui sait dire tout et son contraire avec une assurance qui m'interpelle et me déplait.

      L'auteur réussit l'incarnation des protagonistes, ils se révèlent tous plus complexes qu'il n'y paraît, chacun progressant au cours du récit, loin d'une sombre caricature.

      Un grand merci à Antoine Sénanque de parler des béguines, ces femmes formant des communautés pieuses et courageuses, œuvrant sans relâche à aider son prochain dans une foi enthousiaste et joyeuse. Malheureusement, l'Inquisition en a puni certaines, notamment Marguerite Porète, brûlée en 1310 pour hérésie.

      Malgré cela, le roman ressemble à un salmigondis, la construction est pour le moins erratique, comme si l'auteur émiettait son récit en une multitude de fractions, le tout noyé dans des divagations religieuses stériles et des pensées tortueuses fichtrement ennuyeuses. De surcroît, des anachronismes viennent plomber la véracité de l'ensemble. Exemple : l'Inquisition n'existait plus en 1347 avec un dernier bûcher en 1328 à Carcassonne. Et pan sur le bec ! Une bonne remise en ordre aurait redonné un élan vital à ce récit qui souffre de trop de longueurs. Dommage !


25 nov. 2025

 " Les étoiles de Compostelle "   de Henri Vincenot   15/20


      Durant le XIIIème siècle, il existait des communautés vivant à l'écart du monde et chargées par le seigneur local de transformer, en 20 ans, une forêt en un terrain fertile. On les appelait les essarteurs. Jehan de Tonnerre, un jeune homme de 15 ans, sauvage et farouche, était de ceux-là. Un jour dans la vallée, sa curiosité aidant, il est attiré par les prémisses du chantier d'une abbaye cistercienne. Sa vie va en être entièrement chamboulée. Bientôt, le voilà embauché par le maître des compagnons menuisiers. Magnifique parcours initiatique.

      Tout le roman est constellé d'interactions entre les religions celtique et chrétienne liées à une singulière réflexion autour de  l'élaboration de l'art roman et l'art gothique. Rien dans une construction religieuse n'est là pas hasard, tout répond au spirituel, au symbolisme, au sens profond de ce qui nous entoure, au sens philosophique de la vie et aux mathématiques. Ainsi, naturellement dans l'Histoire européenne, apparaissent les compagnons, ces artisans bâtisseurs (charpentiers, tailleurs de pierre), hautement compétents, passionnés de leur métier et fiers de leur travail. Ce récit est un hymne aux métiers manuels, d'ailleurs l'auteur déclame : " La civilisation qui méprise la main est vouée à la catastrophe...". Il prend aussi son temps pour nous expliquer la technique des constructions à partir de la géométrie.

      Ainsi, la lecture s'avère érudite et enrichissante, entre les lignes Henri Vincenot cherche l'union de toutes choses, mais également l'altruisme, la paix et enfin le bonheur des peuples, tous unis derrière la capacité intellectuelle, créative et physique des hommes de bonne volonté. Une vague d'universalité traverse et transcende l'ensemble. L'harmonie totale comme dessein ultime.

      La plume de l'auteur ne cherche jamais la simplicité, elle nous nourrit d'innombrables mots archaïques datant du moyen-âge, néanmoins grâce à eux, l'histoire prend chair, on y croit. On suit avec empathie le cheminement initiatique de Jehan Tonnerre sur les routes d'une France où naissent de partout monastères, églises, abbayes ou cathédrales. Chaque site est l'occasion de parfaire un savoir souvent gardé secret. D'ailleurs, derrière ces activités de construction une nouvelle société se forme : celle de la franc-maçonnerie.

      J'ai également été séduit par la lucidité de l'auteur, n'hésitant pas à faire dire à certains personnages la vérité sur les croisades, ces guerres saintes servant de prétexte à toutes abominations ou vols.

      Par contre, Henri Vincenot est le roi de l'anachronisme. Nous sommes sensés être au XIIIème siècle, or, intervient durant l'histoire la mort d'Abélard en 1182 ; le prêche de Bernard de Clairvaux en 1145, puis sa mort en 1153, sans oublier l'incendie de la cathédrale de Chartres en 1194, etc. Cherchez l'erreur ! 

      En résumé, ce roman historique nous fait revivre une époque phare à la charnière entre l'art roman et l'art gothique, une époque d'espérance où tout semblait possible, une époque où l'artistique a eu ses lettres de noblesse. Enfin j'espère que ce roman fera taire tous ceux qui disent encore qu'il ne s'est rien passé au moyen-âge, alors que tant de bouleversement ont eu lieu, autant religieux qu'architectural, autant intellectuel que philosophique. A bon entendeur, salut !


22 nov. 2025



 Petit aperçu du jardin automnal 2025

Partie 2



Avec les températures automnales, la sauge coccinelle regagne une nouvelle jeunesse.


Petit à petit, en prévision des prochaines gelées, le jardin potager se dissimule sous une couverture de paille.



Comme un cache-nez autour des pieds de blette.


Inespérés, mais néanmoins bienvenues mes derniers choux-fleurs de l'année.


Voici l'époque où la mâche garnie nos assiettes de novembre.



Les toutes dernières tomates prolongent ainsi une saison bien généreuse en solanacées.



Les dipladénias prennent leur quartier d'hiver sous une première serre.



Un dernier frelon dans une première fleur de camélia.



Dégustation de mon dernier melon, soyons honnête, il manque un peu de sucre !



Toujours la magnificence de ce pied de dahlias, avant les premiers gels.



Idem pour ces lys Incas.


On se quitte avec cette branche de cotonéaster, pleine de baies rouges si appréciées des oiseaux pendant la période hivernale.

A bientôt.


 " Indiana "   de George Sand   14/20


   En Octobre 1827, dans un château situé aux environs de Paris, sont réunis autour de la cheminée trois personnages : Une jeune et belle créole de 19 ans du nom d'Indiana ; son mari, le colonel Delmare, un vétéran des armées napoléoniennes, de quarante ans son aîné ; et Ralph, l'ami fidèle de la famille et cousin de la chatelaine. L'intrusion d'un troisième homme dans ce trio, viendra semer le trouble dans l'esprit d'Indiana. Il s'agit de Raymon de Ramière, un royaliste trentenaire, beau de sa personne, à la faconde plaisante. Il sera l'élément romanesque qui bouleversera l'existence morose d'Indiana ; il faut dire que Raymon est un séducteur opportuniste, d'ailleurs il s'est introduit dans la propriété pour assouvir sa faim de conquête avec la dame de compagnie d'Indiana : Noun, mais en voyant la jeune chatelaine, il changera immédiatement de cible. Un Don Juan vous dis-je.

      La trame est plantée, suivront d'innombrables échanges verbaux ou épistolaires entre la belle et bellâtre. Car Indiana est une femme malheureuse, qui vit sous la férule d'un homme sans esprit et sans éducation, elle subit une violence verbale au point d'envisager la mort comme une libération. Elle a toujours vécu en se posant mille questions sur sa condition de femme et ses possibilités d'avenir. Le surgissement de Raymon, dans sa triste vie, rebat les cartes de futurs possibles. Cependant les carcans de la société sont si prédominants, si influents qu'Indiana fait mille aller-retour dans ses pensées. De trop nombreuses pages relatent ces zigzags intellectuels, naviguant entre mille réflexions et rendant l'ensemble assez poussif.

      Le personnage de Ralph est attachant par son effacement volontaire dû à tout gentleman. Il séduit par sa sensibilité extrême et sa grande dignité morale. De surcroît, Ralph est un idéaliste qui rêve de république en opposition avec les deux esprits calculateurs et pragmatiques que sont ceux du colonel Delmare et de Raymon. Ainsi, ce roman est plus politique qu'il n'y paraît, dessinant les différentes visions d'avenir pour la France.

      Au travers de ce premier roman publié, George Sand dénonce l'injustice et la barbarie des lois qui régissent l'existence des femmes, non seulement dans le mariage, dans la famille, mais aussi dans la société. Elle appuie sur l'iniquité de traitement entre hommes et femmes, dont celle-ci, sacrifiées sur l'autel d'un patriarcat tout puissant, telle une loi immuable.

      Ecrit en 1832, cette étude des mœurs aurait méritée un certain élagage car l'ensemble m'a semblé parfois indigeste, même si le fond du roman est légitime, la forme est malheureusement trop verbeuse ou sur-écrite.

   A noter qu'il est sorti en 2023 une version en bande dessinée, signée Bouilhac & Catel aux éditions Dargaud, qui retranscrit très fidèlement le roman. Avec de surcroît un prologue et un épilogue mettant en scène Gorge Sand parlant d'Indiana.


13 nov. 2025


" Les partisans " Kessel et Druon, une histoire de famille. De l'académicienne Dominique Bona   18/20

      L'autrice, nous fait revivre deux légendes de la littérature française, celles de deux hommes puissamment imbriqués dans l'Histoire du XXème siècle. A noter que Joseph Kessel est l'oncle Maurice Druon. En décembre 1942, ils quittent la France pour rejoindre le général De Gaulle à Londres. L'année suivante, ils signeront les paroles de l'hymne de la Résistance, le fameux Chant des partisans. A partir de ces faits, Dominique Bona nous déroule le tapis de leur vie. Une vie tournant autour de leur passion commune : l'écriture. Pour les plus jeunes, je rappelle que Kessel a signé notamment : Le lion et Les cavaliers, quant à son neveu Druon on lui doit la grande fresque : Les rois maudits.

      Je tiens à saluer le colossal travail de documentation nécessaire à l'élaboration de ce livre si érudit. Sous sa plume élégante, elle nous fait revivre la vie de personnages que le temps a figé dans un passé poussiéreux. Comme elle écrit avec son cœur, on ressent véritablement les liens familiaux qui cimentent la relation entre Kessel et Druon, tout en tendresse et en fidélité, jamais la moindre once de jalousie ne viendra ternir leur binôme. Ce sont des personnages hors-normes, débordant constamment du cadre par leur caractère excessif, les poussant à agir quand d'autres seraient paralysés par la peur. Cela vaut pour leurs attitudes en temps de guerre, pour leurs amitiés, comme pour leurs vies amoureuses. De vrais baroudeurs de la vie.

      Certes, Joseph Kessel, l'aventurier, le bourlingueur, le journaliste, préfère nettement voyager dans les pays de conflits, y dialoguer avec toutes cultures, s'immerger dans les bas-fonds, y interroger les pauvres, et écrire sur le vif, sans se préoccuper des avis extérieurs ; paradoxalement, Maurice Druon est plus un homme plus mesuré, d'aspiration classique, voyageant peu, attaché à son confort et cherchant la reconnaissance de l'élite aristocratique.

      En écrivant ces deux biographies croisées, Dominique Bona laisse une belle part aux femmes, celles, nombreuses, qui ont su séduire un temps l'un des deux monstres sacrés. Notamment Germaine Sablon, une femme forte, courageuse, qui a su tenir tête à plus d'un, d'ailleurs elle entre dans un réseau de résistance bien avant Kessel et Druon. L'autrice remet aussi l'église au centre du village en joignant le nom d'Anna Marly à la création du Chant des Partisans. De même, loin de toute hagiographie imbécile, elle donne une dimension humaine à tous les protagonistes, révélant leurs qualités et leurs travers avec toujours en toile de fond le contexte historique. 

      Ainsi, une partie de l'histoire du XXéme siècle reprend forme dans nos mémoires, avec certaines séquences fortes, comme notamment celles sur le procès de Nuremberg ou celui de Eichmann en Israël, couvert par Kessel pour le journal France-Soir d'un certain Pierre Lazareff.

      L'ensemble fourmille de renseignements judicieux, d'anecdotes, cela pétille d'une masse considérable d'informations (peut-être trop) et d'une fine analyse psychologique de nos deux "héros". Bref, il s'agit là d'un travail honorable, d'une bible, qui nous fait revivre une époque révolue où des esprits volontaires pouvaient déplacer des montagnes.


5 nov. 2025

" La promesse d'Odessa " de Natacha de Rosnay   6/10

      A la fin de sa vie, Zanaïda a demandé à son arrière-arrière-petite-fille, Natacha, d'écrire un jour toute l'histoire de sa vie. Natacha a tenu parole, c'était la grand-mère de la célèbre autrice Tatiana de Rosnay.

      L'histoire de la vie de Zanaïda aurait pu être passionnante, malheureusement chaque situation est survolée, le compteur du temps s'accélère, rien n'est vraiment traité ; franchement, j'ai eu l'impression de lire une longue bande-annonce d'une série sur Netflix !

      Cette Russie du XIXème est uniquement observée du point de vue de la bourgeoisie ; le peuple qui souffre n'a jamais droit à la parole, seul compte l'amour, les belles robes, un mariage réussi, une descendance digne de ce nom, un amant ici ou là, des futilités sans nom, bref, la ferme volonté de profiter d'une vie confortable et distrayante dans un monde où les prémisses d'une rébellion sont en germe. Bien sûr, on entrevoit le destin de la Russie au travers de quelques rappels historiques, mais si ténus, si ridicules.

      A part Zinaïda, aucun personnage n'existe vraiment, trop esquissé, et puis il y en a tellement, presque un nouveau à chaque page. C'est simple, l'autrice balaye 70 ans d'une famille sur quatre générations en 280 pages ! Une aberration. C'est dommage, car à la vue de toutes les péripéties incroyables qu'à vécue cette famille (si toutefois tous les éléments sont vrais), cela aurait mérité un bien meilleur traitement, digne justement de cette incroyable épopée familiale.

      Un roman facile à lire, néanmoins vite oublié, pourtant il y avait amplement matière.


2 nov. 2025

 Petit aperçu du jardin automnal 2025

Partie 1



Typique des récoltes d'automnales : la châtaigne, dont la bogue me fait songer à un bébé hérisson.



Avant les premiers gels, ce pied de cosmos envoie ses dernières fleurs vers le cosmos ; d'où leurs noms !



De même pour ce pied de dahlias aux fleurs follement lumineuses.



Quelques timides œillets viennent réveiller ma plate-bande d'un puissant rose...



... à deux pas d'un pied d'œillet d'Inde fleurissant inlassablement depuis six mois.



Plus loin, une splendide fleur d'ipomée jette son bleu nuancé à travers une frondaison de vert.



Les pluies de l'automne ont réveillé cette sauge assommée par les chaleurs estivales.



Au potager, mes dernières laitues Appia ne demandent qu'à honorer nos assiettes de novembre.



Comme l'année dernière, mes pieds de chayottes attendent sagement l'automne pour faire grossir ses fruits. Je rappelle qu'il s'agit d'une cucurbitacée.



Autre symbole des légumes d'hiver : le fameux radis noir, ici en version toute ronde.



On se quitte avec cette belle fleur de topinambour, défiant le ciel d'azur.

A bientôt.

22 oct. 2025


 " Un roman russe "   de Emmanuel Carrère   6/20

      Avec ce roman, Emmanuel Carrère nous livre, sans le moindre préavis, toute son intimité ; cela m'a un peu dérangé, non pas que je sois un grand prude, mais parce que je m'attendais franchement à autre chose. Quelque chose de plus russe et de moins "déchirement amoureux ". Ce foutu titre m'a vraiment induit en erreur. Précisons les choses : Emmanuel Carrère enquête sur son grand-père maternel, notamment sur son comportement de celui-ci pendant l'occupation allemande, au grand dam de sa mère Hélène Carrère d'Encausse. Là, on est raccord avec le titre, mais cette recherche occupe à peine 10% du roman, et je suis large ; le reste tourne autour d'un reportage fait en Russie, sans lien avec son père, disons 40% du roman, et les 50% restant nous narre une passion amoureuse interminable. Certes, elle démarre sur les chapeaux de roues, avec une acmé inouïe, sensée se dérouler dans un train. Bravo pour ce passage aussi sexy qu'original, mais le reste n'est qu'une séparation à répétition lassante au plus haut point. J'en baille encore !

      Je félicite Emmanuel Carrère pour sa volonté de ne rien cacher de sa personnalité, de son caractère, de ses défauts (nombreux) et de ses qualités (beaucoup moins nombreuses), peu d'écrivains oseraient dire autant sur eux-mêmes, surtout sur leurs manquements et leurs petitesses. Néanmoins, encore une fois, cela n'a aucun lien avec le titre du roman. Il fallait l'intituler : Tel que je suis ! Ainsi, aucun lecteur n'aurait été sournoisement floué. Enfin... surtout moi !

      Nonobstant cela, il y a un autre point qui me dérange énormément, c'est ce mépris patent des classes sociales inférieures. On ne choisit pas ses parents, on ne peut pas tous naître dans un milieu aisé où on peut prendre le temps de vivre, où la vie professionnelle n'est pas une priorité quand l'argent tombe quoi que l'on fasse. Alors cette arrogance et ce désintérêt pour ceux qui viennent du bas de l'échelle sociale me contrarie notablement. Je lui reconnais le courage de l'écrire, d'autres auraient été plus hypocrites.

      Bref, j'ai nettement eu l'impression, à la lecture de ce carnet de bord, que l'on est prié de s'apitoyer sur les problèmes d'un privilégié. Pauvre Emmanuel Carrère, que cela doit être difficile d'être sans problème d'argent mais déprimé quand même ; sans parler de ses tracas existentielles tournant notamment autour d'un grand-père sensiblement collabo. Franchement, du point de vue empathie, j'étais à un niveau gélif. Comment tout ceci pourrait-il donner une oeuvre remarquable ? Il y a tant de malheur en ce monde, que désolé, cette pleurnicherie me semble d'une futilité abyssalement honteuse.


13 oct. 2025

 



" Le voyant "   de Jérôme Garcin   15/20

      Jacques Lusseyran est né en 1924, un malheureux accident le rend aveugle à 8 ans, il devient résistant à 17 ans, puis la Gestapo l'arrête et le déporte à Buchenwald. Libéré par la troisième armée du Général Patton, il écrit son premier livre " Et la lumière fut ". A l'âge de 34 ans, peinant à trouver sa place dans la société française, avide d'autre chose, il file aux Etats-Unis en août 1958 enseigner la littérature. Sa faconde, son attitude, sa lumière intérieure, lui vaudront un succès immédiat. De retour en France, il perd la vie dans un stupide accident de la route en août 1971.

      Jérôme Garcin rend hommage à un homme fascinant mais relativement peu connu : Jacques de Lusseyran, dans un récit biographique sobre, précis et factuel. Aucune extrapolation ne vient ternir ce récit qui ne manque pas d'envergure, tant le personnage remplit l'espace par son charisme. J'ai même eu l'impression que la cécité avait servi de révélateur à cet homme qui dû partir à l'étranger pour que sa valeur soit enfin reconnue.

      Comme derrière chaque homme, même remarquable, se cache une part d'ombre, Jérôme Garcin, loin de toute hagiographie, lève le voile notamment sur la dépression de Lusseyran et sa rencontre, puis son attirance intellectuelle, envers George Saint-Bonnet, une sorte de gourou épris d'anthroposophie, une doctrine spirituelle inventée et développée par Rudolf Steiner en 1920. D'ailleurs la première femme de Lusseyran, Jacqueline Pardon, finira par divorcer pour épouser le mentor ésotérique. L'auteur n'enjambe pas non plus la vie personnelle, pas toujours reluisante à l'égard de ses enfants qui se sentirent littéralement abandonnés.

      Sous les mots savamment jaugés de l'auteur, on devine un être ébloui par les femmes (d'ailleurs il se mariera trois fois), un être lumineux, passionné de culture littéraire, dont le seul vrai plaisir est la transmission, comme s'il voulait éclairer la vie des autres de son feu intérieur, dans un joie inextinguible et follement communicative.

      Sans Jérôme Garcin, le nom de Lusseyran serait resté dans la pénombre poussiéreuse de l'Histoire de France. Sa vie, ses convictions, ses activités, furent un tel flambeau pour l'humanité, qu'elles ne feraient presque douter de sa cécité.

      Cette courte biographie est une réhabilitation d'un homme lucide et clairvoyant, dont la ligne de conduite et la force intrinsèque force le respect.


30 sept. 2025


 " Vingt mille lieues sous les mers "  de Jules Verne

      En cette année 1866, un évènement inexplicable eut lieu dans les océans : l'apparition d'un objet, long, effilé, parfois phosphorescent et plus rapide que n'importe quel cétacé. Plusieurs navires l'aperçurent sans pouvoir le rattraper. Les savants du monde entier s'interrogent. Une expédition maritime est mise sur pied pour comprendre l'incompréhensible. Une frégate, l'Abraham Lincoln, est rapidement affrétée avec à son bord un savant français, professeur au muséum de Paris, Pierre Aronnax. Un voyage extraordinaire commence. 

      Ce classique des classiques, ce roman des profondeurs, lu à plusieurs reprises dans ma lointaine jeunesse, considéré à tort comme un livre d'aventures pour l'adolescence, m'a titillé l'esprit à un tel point, que j'ai eu un besoin viscéral de le lire une ixième fois. Pourquoi mon inconscience a-t-elle souhaitée ardemment me faire replonger dans cet emblématique roman vernien ? Une myriade de raisons se bousculent dans mon esprit. Je vous les livre pêle-mêle :

      Primo : L'époustouflante imagination de Jules Verne m'a toujours sidéré. Cette capacité à nous faire pénétrer dans des univers si méconnus à l'époque me fascine. Comment une inspiration aussi bouillonnante peut-elle émerger d'une seule tête ?

      Deuxio : Pour les connaissances scientifiques qui y sont, non pas distillées à petite dose, mais déversées tel un torrent de savoir où chacun y pioche ce qui l'intéresse. En effet, tous les chercheurs ayant renseignés le monde sur sa géographie océanique, sur sa faune aquatique, sur sa flore pélagique, y trouve une place légitime. Bien sûr, on peut estimer l'inflation de listes ichtyologiques, puissamment érudites, comme un étalement vaniteux de connaissances, cependant, à l'époque de son écriture, c'était un intelligent moyen de s'informer pour ceux qui avaient peu accès à la culture. Ainsi, l'élan de la découverte dynamise le déroulé du voyage. Le tout étant question d'équilibre entre périodes descriptives et déploiements narratifs.

      Tertio : Pour la personnalité ténébreuse du capitaine Némo, cet homme au caractère complexe et nuancé, brisé par un destin dont on aura peu d'explications. En effet, les sources de sa haine envers une partie de l'humanité demeurent recroquevillées sur elles-mêmes. Néanmoins, en filigrane, quelques indices affleurent, dispersées ça et là au fil du texte, comme son effondrement en larmes devant le tableau d'une jeune femme et de ses deux enfants. Voilà pourquoi, si persécuté qu'il ait été par le passé, il se donne le droit de justice, d'être le bras vengeur de l'opprimé face à l'oppresseur. Cela ne vous rappelle rien ? N'y a-t-il pas des similitudes troublantes entre le capitaine Némo et Edmond Dantès, devenu le Comte de Monte-Cristo sous la plume d'Alexandre Dumas ?

      Quarto : Pour le personnage de Ned Land, il incarne un harponneur solide, vigoureux et pragmatique ; un homme déterminé à risquer sa vie pour recouvrer une liberté chérie, vitale et inconditionnelle. A l'image de chacun de nous, il est habité de paradoxes, allant jusqu'à sauver la vie de son geôlier.

      Quinto : Pour le couple Aronnax/Conseil, soit le savant et son domestique flamand, il forme une paire, pour ne pas dire un couple, puisque le second est indissociablement lié au premier. En effet, le personnage de Conseil est l'être le plus flegmatique qui existe, ne s'étonnant jamais des situations les plus déconcertantes. Les dialogues avec son maître deviennent humoristiques tant ils sont confondants de dévouement absolu et de lucidité sereine. sans oublier son savoir abyssal concernant l'ichtyologie. Quant à Pierre Aronnax, c'est le type même du savant aux connaissances amples, néanmoins susceptible de se laisser surprendre, émerveiller et déborder par la beauté d'une observation inattendue. Deux positions savantes moins antinomiques que complémentaires. Un duo bien distractif.

      Sexto : Pour le Nautilus, ce sous-marin avant-gardiste, à la construction novatrice et sophistiquée en matières de bateaux submersibles, capable de sillonner les océans du monde, de braver toutes les tempêtes, constamment en quête de beauté inconnue, de joyaux dont personne de profite. Il est l'âme de Nemo, sa liberté, son indépendance, son arme vengeresse face à la barbarie humaine et face à des pays avides de profit et de pouvoir. D'ailleurs le N de leur initiale respective ne rappelle-t-elle pas celle de Napoléon. Nemo, l'Empereur des mers, des océans, ou tout simplement : L'homme des eaux. 

      Septimo : Pour cette euphorie langagière qui dessine une ligne poétique. A la lecture des listes des animaux aquatiques, il y a moyen de s'enivrer de la beauté de noms de poissons ou autres crustacées. Et quand la lumière du soleil ou de la lune vient nuancer, sous l'eau, la couleur des roches et des poissons, un kaléidoscope se concrétise dans la tête de chaque lecteur, élevant la lecture à un niveau supérieur.

      Octavo : Pour l'idée qui transcende tout, celle d'humanisme universelle, comprenant le respect de l'autre, de la terre, de la mer et de tous les animaux qui la peuplent. Aucune sorte de profit n'est admis, on prend juste le nécessaire pour vivre sans chercher le moindre enrichissement, la moindre colonisation. Le paradis sur terre, une idée bien utopiste, n'est-ce pas ?

      Certes, ce roman peut être rangé dans la catégorie des romans scientifiques, néanmoins, je retiens avant tout les messages humaniste et écologiste qu'il contient pour en faire une oeuvre universelle et donc indémodable.

18 sept. 2025


 " Le Comte de Monte-Cristo " d'Alexandre Dumas

      Est-il utile de faire un résumé de ce célébrissime roman ? Je dirai simplement qu'en 1815, Edmond Dantès est un jeune homme honnête à qui tout sourit : l'amour (il va épouser la ravissante Mercédès), comme le travail (il va être promu au grade de Capitaine). Malheureusement, le jour même de ses noces, il se voit victime d'une machination et est aussitôt emprisonné, sans jugement, dans les geôles du chateau d'If.

      Ce roman dantesque est une bible, d'abord par son nombre de pages (1200) et par la multiplicité des sentiments humains qui s'y développent, allant des plus vils aux plus dignes. De surcroît, ce qui octroie au roman sa dimension mythique et inoubliable est le parcours psychologique du personnage principal : débutant par une existence idyllique, suivit d'une chute allant jusqu'aux apparences de la mort, pour enfin connaître une résurrection inespérée, en passant d'Edmond Dantès au Comte de Monte-Cristo, symbolisant le châtiment donné par le fils et ordonné par Dieu. La racine commune entre Cristo et Christ ne doit rien au hasard.

      Ce récit est aussi l'art de dénoncer la corruption des puissants, qu'ils soient banquiers, juges ou ministres. Se servir du pouvoir pour protéger ses propres intérêts sillonne le monde depuis la nuit des temps, et à la vitesse où il cavale ce n'est pas demain qu'on le stoppera ; serait-il intrinsèque à l'humanité ?

      Cette histoire est aussi une réflexion sur le temps perdu, notamment celui de sa jeunesse, souvent sacrifiée sur l'autel du travail et de l'obéissance à un système. On se dit que la jeunesse est éternelle ; les années défilent ; enfin on peut souffler un peu grâce à une situation financière plus stable, avec toutefois beaucoup moins d'années à vivre en bonne santé ; trop tard pour changer d'aiguillage, la jeunesse s'est enfuie ailleurs, définitivement trop loin pour lui remettre la main dessus. Alors Carpe Diem.

      Cet opus de Dumas comprend également toute une dimension orientaliste ; en effet, dans ce roman de moeurs contemporaines (écrit en 1843/1844), l'auteur y insuffle le charme et le danger d'aventures exotiques. Eléments très importants pour l'intrigue centrale mais que bizarrement on ne retrouve quasiment jamais dans les différentes adaptations cinématographiques. D'ailleurs, le roman jouit d'un tel foisonnement de richesses à tous les niveaux, que le cinéma est bien impuissant à pouvoir mettre des images sur tous les mots de Dumas. Une série serait bien plus adaptée pour rendre toute la dimension généreuse voire gargantuesque de cette oeuvre, à l'image de son auteur.

      Par contre, j'ai noter quelques invraisemblances, par exemple : Des marins rescapés du trois mâts Le Pharaon racontent son naufrage, cependant quelques pages plus loin, il entre à nouveau dans le port de Marseille, à la plus grande joie de son armateur ?!? La jeune et belle Valentine de Villefort est empoisonnée, son cœur ne bat plus, pourtant elle surgira toute pleine de vie dans les dernières pages ?!?

   A noter qu'Alexandre Dumas s'est partiellement inspiré d'une histoire vraie pour élaborer son roman et que l'abbé Faria a réellement existé.

      Contrairement à beaucoup de films s'achevant dans la noirceur d'une vengeance enfin assouvie, mais qui laisse Dantès dans une ténébreuse insatisfaction, le roman se termine à Marseille avec une remémoration de tout son passé, Dantès s'auto-analyse, ce qui lui autorise le droit se regarder à nouveau en face et d'affronter l'avenir. Et puis, après toutes ces années gâchées par la cupidité des hommes, n'a-t-il pas le droit de profiter enfin de toutes les joies de l'amour dans les bras de Haydée, la jeune femme qu'il a sauvé de l'esclavage ?

      Et que dire de la plume aérienne de Dumas, de cette faconde enfiévrée qui coule page après page tel un torrent fougueux ou un cheval indompté ? Un seul mot : Bravo !