8 mai 2025

 " La cour des mirages "   de Benjamin Dierstein 13/20

      Avec l'élection de François Hollande en mai 2012 et le triomphe de la gauche, ce sont les purges anti-sarkozystes qui ébranlent les différents ministères, en particulier au sien du ministère de l'intérieur. Ainsi, la commandante Laurence Verhaeghen quitte la DCRI pour la brigade criminelle de Paris, au fameux 36 quai des orfèvres. Elle est rejointe par un ancien collègue Gabriel Prigent, toujours sérieusement hanté par la disparition de sa fille, six ans plus tôt.

      Dès leur retour au 36, ils sont confrontés à une scène de crime effroyable : un cadre politique a massacré sa femme et son fils avant de se pendre. L'enquête débouchera sur des réseaux criminels et pédophiles, sur la prostitution de luxe et sur l'évasion fiscale.

      D'emblée, ce qui me frappe est l'écriture de Benjamin Dierstein. Il copie celle de James Ellroy : des phrases courtes, un rythme saccadé, un style immersif. D'ailleurs l'auteur ne s'en cache pas, sa vocation d'écrivain lui est venue après avoir lu Ellroy. Très bien. Malheureusement, ce foisonnement incessant et hystérique m'agace un peu ; et que dire de ces anaphores présentes une page sur deux et qui ne servent strictement à rien, si ce n'est à irriter son lectorat et à rallonger un roman déjà assurément volumineux ?

      Néanmoins, le fond s'avère effroyablement passionnant. Benjamin Dierstein réussit le tour de force de mêler des politiques de premier plan aux crimes les plus sordides lorgnant vers une immonde pédophilie très lucrative pour individus désespéremment immoraux, tout cela couronné par le pouvoir suprême, celui de l'Argent Roi, capable de toutes les corruptions et de toutes les permissivités.

      Ce roman est un vaste opéra basé sur la cruauté et sur l'horreur. Certes, l'Homme n'en sortira pas grandi, bien au contraire, cependant Benjamin Dierstein met le doigt sur l'un des travers les plus odieux de l'humanité : la pédophilie dans toute son abjection la plus sordide, d'ailleurs le dessin de couverture avec ce nounours, baignant dans une flaque d'eau ou de sang, est là pour nous mettre en garde d'un texte naviguant sur un bouillon de culture glauque et innommable ; surtout à ne pas mettre entre toutes les mains ; d'autant que dès l'incipit, le ton est donné : l'indicible sera au rendez-vous.

      Mon autre bémol porte sur le foisonnement des personnages, des démêlées de l'enquête et des considérations politiques, j'ai parfois perdu le fil de l'histoire avant de retrouver un point d'appui, puis de me voir déboussolé derechef et d'enfin raccrocher mes wagons dans les dernières pages. J'oubliais les longs passages qui font écho à l'actualité politiques, mais qui ne sont que des copiés collés de nouvelles distillées par la radio. Bref, lecture éprouvante et inoubliable à tous les points de vue. Suis-je prêt à renouveler l'expérience avec Benjamin Dierstein aux manettes ? La question se pose.


28 avr. 2025


" Les démoniaques "   de Matthias Köping   17/20


      Emporté par la lecture passionnée de son dernier roman publié : Cartel 1011, critiqué récemment sur ce blog, j'ai voulu en savoir plus sur cet auteur de roman très noir, d'où ce flash-back sur son tout premier livre.

      On est très vite plongé dans le bain de l'horreur dès l'incipit, la suite est du même acabit : drogue, proxénétisme, pédophilie, inceste, tortures, viols et assassinats, l'ensemble sous le joug d'une violence épouvantable. Certes, ce roman est trash, mais il décrit parfaitement comment un réseau mafieux réussit à s'implanter dans un coin apparemment tranquille de la campagne normande : Viaduc-sur-Bauge. Bien sûr, la corruption gangrène tous les niveaux de la société ; aidée en cela par la perversion nichée dans l'âme noire de certaines personnes influentes. Aucun niveau d'empathie ne peut jouer pour ces êtres abjects.

      Cependant, au milieu de ces ténèbres sans fond, un fil ténu d'humanité jaillit de cette fange. Il est symbolisé par deux personnages victimes dans leur chair des monstruosités de "L'Ours", le mafieux qui règne d'une main de maître sur la région : Kimy et Henri. Elle, est la propre fille de "L'Ours", rêvant de se venger de ses immonbrables et intolérables souffrance, lui, un prof ayant perdu sa fille quelques années plus tôt, et ne vivant que dans son souvenir.

      On peut souligner quelques incohérences dans le déroulé de l'action, mais elles sont vite balayées par la force intrinsèque du vent de folie qui file vers un épilogue ténébreux qui ne m'a pas franchement surpris, rapport aux petits cailloux semés ici ou là.

      Il faut avoir le coeur bien accroché pour s'élancer dans cette lecture glauque et malsaine, cependant, la plume percutante de Matthias Köping nous emporte, comme rarement, dans un tourbillon de furie ayant pour effet de nous faire tourner les pages tel des hystériques, si impatients d'en savoir plus. Il s'agit d'un page-turner type, néanmoins pour public averti. Âmes sensibles, passez votre chemin.


23 avr. 2025

 Petit aperçu du jardin printanier 2025

Partie 2



Multitude de narcisses, se dressant vers l'azur, fiers d'inonder le printemps de leurs couleurs chaudes.



Plus loin, cachées derrière un houx massif, des fleurs de pervenche, timidement, font une apparition toute discrète.



En gerbe très colorée, un pied de blette prend ses aises sans vergogne.


Pendant ce temps là, les pieds de petits pois envoient déjà leurs premières fleurs blanches, exprimant ainsi leur joie de participer au festival printanier du jardin.

Ne voulant pas rester à la traîne, les choux cabus aussi augmentent leur vitesse de croissance.


Et que dire de l'ail des ours, qui d'année en année grignote du terrain inexorablement ?

Le pommier Cox-Orange, lui aussi mêle ses couleurs à toute la fanfare silencieuse printanière.



Et Bouddha, toujours aussi immuable, si ce n'est abîmé par les griffes du temps, trône au milieu de quelques jacinthes des bois.


Dans la serre, ou plutôt dans ma nurserie, mes bébés plantules patientent tranquillement à l'abri des gels tardifs.


Elle aussi, la glycine s'exprime, mais tout en nuance et délicatesse.


Au jardin suspendu, un pied de pourpier balance ses oranges si lumineux.


Ah, j'oubliais cette touche de bleu apportée par les myosotis...


...et le blanc des fleurs d'Amélanchier.


Je vous dis à bientôt avec ces iris aux pétales si emberlificotées.



15 avr. 2025


" Madelaine avant l'aube "   de Sandrine Collette   18/20


      Tout lecteur se souviendra longtemps de cette petite Madelaine, une enfant affamée et sauvage, surgit de la forêt une nuit, et faisant irruption dans ce minuscule hameau en pleine campagne. L'autrice ne dit rien de l'époque, cependant, nous sommes au coeur d'un moyen-âge douloureux pour le simple paysan, obliger de donner une grande partie de sa récolte aux seigneurs des lieux. Comme si cette autorité ne suffisait pas, il doit subir les affres d'un climat aléatoire, capable de ruiner ses plantations de printemps par plusieurs jours de gelée tardives. Et que dire du fils du seigneur, un indivu ignoble, capable de choper n'importe quelle paysanne pour lui faire subir ses moindres désirs ? Sans oublier les périodes d'épidémie. Pas facile la vie dans le hameau Les montées pour celui qui n'est pas noble.

      Madelaine sera recueilli par la vieille Rose, une femme sachant préparer des onguants capables de soigner beaucoup de maux. Par son courage et sa détermination, elle fera l'admiration des autres habitants, notamment des deux femmes jumelles : Ambre et Aelis, de leurs maris : Eugène et Léon et de leurs enfants. Néanmoins, au fond d'elle, la flamme d'une rage inextinguible demeure, folle de justice, elle sait qu'un jour cette petite flamme presque innocente brûlera ce monde.

      Pour bien prendre conscience de la dureté du monde des malheureux qui cultivent une terre qui ne leur appartient pas, rien de mieux que cette lecture. L'idée sous-tendue en arrière fond est celle qui nous confronte à l'injustice la plus criante. Que faire ? Accepter de plier éternellement l'échine devant une autorité violente et inique, tout en permettant de garder une existence de nécessiteux, ou, relever la tête, rester debout et fier, dire l'arbitraire et l'inéquitable, au risque d'en payer le prix lourd ? Alors, se taire ou protester ? Accepter le joug ou se rebeller ? Vivre petitement ou mourir dignement ? Questionnement universel.

      En dehors de sonder notre instinct de révolte, Sandrine Collette, grâce à une plume enhardie de maîtrise, interroge également nos liens familiaux, sont-ils indépassables ou faut-il s'en affranchir pour mieux faire naître d'autres liens tout aussi forts.

      S'il fallait une critique, un léger bémol, je dirais que l'histoire peine un peu à se mettre en branle. On passe par quelques rallongements d'écriture avant d'embrayer sur un narratif captivant. Néanmoins, je me demande si le calme trompeur du début n'est-il pas uniquement là dans le dessein de nous saisir d'autant plus par la suite ?

      Je me suis toujours demandé comment Sandrine Collette, à l'air si inoffensif, au sourire si engageant, à l'oeil qui frise, pouvait écrire des livres si effroyables ? Déjà son tout premier roman : Des noeuds d'acier, nous plongeait dans l'horreur d'une séquestration, et là, elle continue et persiste dans la voie du roman glaçant et inévitablement inoubliable. De surcroît, par quelques figures d'écriture, je la sens prendre un grand plaisir à nous manipuler ; cachant une vérité pour mieux nous l'offrir en cadeau ensuite.

      Par sa force et son intensité, Sandrine Collette nous dresse un portrait d'un petit bout du monde écartelé entre humanité et sauvagerie, celui des hommes, mais aussi celui d'une nature elle aussi inflexible dans son impériosité avec ses exubérances dévastatrices. A force de douleurs et de rage, le monde des hommes de peu, réussiront-ils à faire plier l'autre monde qui les asservi ? Affreusement noir, ce roman nous offre une étincelle d'espoir. Seulement une étincelle.


2 avr. 2025

 Petit aperçu du jardin printanier 2025

Partie 1



Plein feu sur une anémone mauve, avec elle, le printemps est vraiment là !



Autre signe printanier : l'explosion en fleur des ficaires sur des talus entier.



Le camélia ne veut surtout pas rester à la traîne avec pléthore de fleurs tout azimut.



Curiosité végétale avec cet arbuste très original appelé : Buisson à papier.



Comme tous les ans, mes semis commencent avec les petits pois en pots (pour éviter tous les nuisibles), et vite transplantés au jardin, d'où déjà ils s'élancent vers le ciel bleu.



Nouvellement arrivé au jardin : un Nandina ou bambou sacré. Ses couleurs mitigées lui donne une beauté supplémentaire.



Ces deux tulipes sont si enlassées que l'on dirait un couple d'amoureux.



Quand l'écorce des grosses racines en surface d'un arbre s'écarte, elle laisse entrevoir un entrelacs de couleurs, telle une arabesque abstraite. Impressionant.



On se quitte avec ces royales jonquilles, aux couleurs chaudes perdues dans l'azur.


A bientôt.

30 mars 2025


 " La perfection du tir "   de Mathias Enard   13/20

      Tout au long du roman, nous ne connaîtrons pas le nom du personnage central, juste qu'il est un soldat tireur d'élite ; nous ignorerons également dans quelle armée il se bat ; nous ne saurons pas non plus où se déroule l'action, néanmoins, tout porte à croire que nous sommes à Beyrouth, au Liban, dans les terribles années de guerre civile débutée en 1975. Aux yeux de Mathias Enard, l'important n'est pas là, car il se focalise en priorité sur l'état psychologique de son héros. 

      Ainsi, dès l'incipit, le lecteur se retrouve dans la tête de ce soldat tireur d'élite, dont le seul plaisir, en ce monde où le diable a élu domicile, est de tuer, peu importe que sa cible soit un homme, une femme, un enfant ou un animal ; sans le moindre état d'âme il tue et tue encore. Son meilleur ami, Zak, est un soldat lui aussi peu recommandable : en plus du tueur qu'il est lui aussi, il torture et viole sans vergogne. On tremble encore pour la jeune fille, Myrna, que notre tireur d'élite embauche pour venir s'occuper de sa mère dont l'état frôle la folie.

      Tout le roman se déroule dans un monde abandonné aux fouches du mal. Toutes raisons d'espérer sont jetées au néant. La loi du chaos règne sur ce pays en déreliction, là encore, se roman pourrait porter allègrement le titre d'un livre de Donald Ray Pollock : Le diable, tout le temps.

      L'idée de Mathias Enard est d'élaborer le processus démoniaque qui transforme un jeune homme équilibré en bête féroce sans conscience, dont le seul plaisir, la seule jouissance est d'exécuter l'acte de tuer, comme un acte solennel. Certes, je comprends bien la perversion de la guerre sur les hommes, cependant certains passages sont en dehors de ma compréhension : comment accepter que l'on s'oppose à un viol, tout en ne voyant rien de répréhensible à assassiner la personne violée ?

      Roman noir sans espoir, et encore, c'est un euphémisme.


26 mars 2025


" La vie en sourdine "  de David Lodge   12/20

      Desmond est un professeur de linguistique, récemment à la retraite ; malheureusement, il a de gros problèmes d'audition. Lors d'un vernissage, alors qu'il n'entend et donc ne comprend pas un traître mot de ce qu'on lui dit, il répond par politesse et au petit bonheur la chance à une étudiante venue des States. 

      En partie autobiographique, ce roman, comme tout ceux de David Lodge, flirte entre l'humour et le tragique. Il sait tirer le cocasse de chaque situation avec une adresse, une verve, et même une tendresse, chaque fois renouvelées, notamment avec les tracas innombrables que doivent affronter quotidiennement les porteurs d'appareils auditifs.

    Néanmoins, bien qu'amusantes, les démélées de Desmond avec sa femme, ses enfants et son père, traînent souvent en longueur. On aimerait qu'il se déroule plus de choses intéressantes et pittoresques dans sa vie. Heureusement qu'Alex Loom, l'étudiante américaine au comportement énigmatique, est là pour mettre du piment, et ainsi maintenir une attention bien vacillante par ailleurs. On lui doit, du reste, les meilleurs passage du roman : des conseils hilarants pour réussir un suicide parfait ; inoubliable. Egalement un bon point émotionnel avec la visite, pleine de gravité, du camp d'Auschwitz ; respect.

      Malgré ces bonnes idées, l'histoire peine à aboutir. Il s'agit du tout premier roman que je lis de cet auteur, j'espère faire meilleur pioche la prochaine fois.


22 mars 2025


 " Sweet Harmony "   de Claire North   15/20

      Harmony Meads est une belle jeune femme belle qui habite Londres. Sa carrière professionnelle, en tant qu'agent immobilière pour yuppies, s'annonce radieuse. Le couple qu'elle forme avec Jiannis fait sensation dans les soirées branchées de la City. La vie est merveilleuse pour Harmony, jusqu'à ce qu'un petit grain de sable apparaisse, symbolisé par un simple bouton sur le visage. Dès lors, la belle mécanique du bonheur va s'enrayer.

      Dans cette dystopie quasi comtemporaine, Claire North part du principe que tous nos problèmes de santé, de beauté et d'intelligence peuvent entièrement gérés par la nanotechnologie, à l'intérieur même du corps. Il existe un régime de base pour éviter les maladies les plus graves, néanmoins pour accéder au niveau supérieur, vers des extensions très attirantes, l'échelle des prix s'envole vers des sommets. Quand on a commencé à goûter à des améliorations de son corps, comment résister à tout vouloir corriger et optimaliser ? Dès lors, la spirale infernale est amorcée, les dettes ne peuvent que s'accumuler et la chute inéluctable.

      Néanmoins et honnêtement, que ferions-nous si la technologie nous permettait ses corrections ? Remarquez, la chirurgie esthétique en est déjà une version simplifiée. Aurions-nous la sagesse d'accepter notre patrimoine génétique sans broncher et d'autoriser le temps à laisser ses marques sur et dans notre corps ? 

      Naturellement, la firme qui propose ces évolutions perfectionnées, Fullife, engrange de nombreux abonnements, transformant une avancée technologique en mine d'or financière incommensurable. L'argent, toujours lui, qui pervertit tout et tout le monde.

      Ce court roman d'anticipation soulève le lourd problème du culte de l'apparence allié à la pression sociale et à la marchandisation de la santé. Le monde manquant grandement de sagesse, cette dystopie prend dès lors une dimension réaliste. De quoi faire peur, vraiment peur.


18 mars 2025

 " Cartel 1011 " Tome 1 : Les bâtisseurs " de Mattias Köping   18/20

      La péninsule du Yucatan est située entre le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes, le lieu est paradisiaque, néanmoins, depuis des siècles, un déchaînement de violence effroyable s'y déploie. Descendants des premiers conquistadors, le clan Hernandez règne sur toute la région sous le nom d'un conglomérat : la COMEX, regroupant le BTP, les laboratoires pharmaceutiques, le réseau des eaux, l'agro-alimentaire et le tourisme, à coup d'intimidations et de corruptions, voire d'assassinats, quand ils ont affaire à des personnes incorruptibles. Actuellement, la sphère très influente des Hernandez planche sur un projet colossal : le train Maya. Véritable construction écocide visant à la destruction d'une vaste partie de la forêt équatoriale de la péninsule, de ses animaux et de ses autochtones.

      Au même endroit, entre Cancün et Tulum, vient d'apparaître un nouveau cartel : le 1011, pour asseoir son hégémonie sur les trafics internationaux, ces hommes sont prêts à tout, avec l'idée que tout obstacle devra être anéanti.

      Mattias Köping frappe très fort avec ces histoires de grands criminels à l'appétit sans limite et sans frontière. Tout peu s'acheter et tout peu se vendre : drogues, armes, sable, animaux exotiques, corps, âmes et surtout les consciences. Le peu de quidams osant leur tenir tête sont condamnés à disparaître, mais toujours dans d'atroces souffrances. L'auteur nous met en garde de cette sauvagerie inédite qui pourrait bien apparaître en Europe. Pour ce faire il nous donne les clés de compréhension du système mafieux de l'intérieur. Il nous explique le processus de corruption mis en place par des hommes sans interdit. Ainsi, on comprend mieux les rouages d'une telle mécanique infernale de destruction. D'autant plus que cette machine de guerre est alimentée en permanence par la misère, l'exil et la surpopulation.

      Que ce soit la COMEX ou le Cartel 1011, chacun cultive la négation de l'être humain, la glorification de l'argent roi et l'impunité absolue de toutes les dérives imaginables et même inimaginables. Au-delà des limites il n'y a plus de limites.

      A noter qu'une recherche importe en documentation a dû être nécessaire pour aboutir à un tel rendu. Malheureusement, captivé par ce premier opus, il faudra que je m'arme patience avant de pouvoir lire les deux tomes suivants. 

      A la lecture de la puissance du mal qui nous entoure, une question légitime se pose d'emblée : Avide de richesse, concupiscent aux désirs éternellement inassouvis, corruptible jusqu'à la moëlle, sadique à l'extrême, prédateur de toute vie sur la Terre : l'Homme, mérite-t-il de vivre ?

     Ce roman magistral et fascinant est un coup de poing dans la gueule pour narrer l'indicible. Un livre totalement inoubliable. Un acte d'explication fort sur l'état de déréliction de notre monde. D'ailleurs, ce roman est si diabolique, si cynique, qu'il pourrait emprunter sans la moindre honte le titre du premier livre américain de Daniel Ray Pollock, paru en 2011 : Le Diable, tout le temps. Pour lecteur averti.

      

12 mars 2025


" Philby, portrait de l'espion en jeune homme "   de Robert Littell   18/20

      Quelques mois après l'incendie de Reichstag, en 1933, à peine sorti de l'université de Cambridge, un jeune anglais, issu de la haute société anglaise, arrive à Vienne en Autriche où il prend une part active à la lutte contre le fascisme. Les périls s'amplifiant, pour lui sauver la vie, il épouse Litzi Friedman, la jeune Hongroise, juive et communiste qui l'a hébergée. Puis, par souci de sécurité, il la ramène en Angleterre. De retour à Londres, les services de renseignements russes cherche à le recruter...

      Robert Littell explore la jeunesse du célèbre espion Harold Adrian Russell Philby, pour en extraire sa propre vérité. Il essaie de cerner la personnalité d'un homme particulièrement "glissant" ou insaisissable intellectuellement. Qui est réellement ce jeune homme qui débarque à Vienne en quête d'aventures, quelles soient idéologiques ou sexuelles ? De quel côté vont réellement ses sympathies ? Quel fut exactement le rôle de son père, personnage lui aussi énigmatique, qui se convertit à l'Islam, parcourt le désert d'Arabie comme T.E. Lawrence et finit par achever sa vie à Beyrouth ? L'ambiguité plane sur tout le roman avant que l'auteur nous propose ses audacieuses clés de compréhension.

      Pour être honnête, il faut un certain nombre de pages avant de saisir le déroulé du récit où chaque chapitre est raconté par un protagonsite différent : une enquêtrice du NKVD, la femme de Philby, son agent recruteur, ses amis de Cambridge, etc. Chacun nous offre sa propre vision de son Philby, même si cela doit le ou la mener à sa perte. Bien sûr, nous n'aurons jamais le point de vue de Philby, qui peut l'avoir à part lui-même ?

      Ce roman est également un portrait au vitriol de Staline avec ses effroyables purges. On ressent avec une efficacité redoutable la pression qui pèse lourdement sur la tête de chaque russe, qu'il soit simple soldat ou officier supérieur. 

      Passionné d'espionnage à l'esprit retors, ce roman est pour vous. De surcroît, il apporte un éclairage intelligent sur une période trouble de l'Histoire. Passionnant.

3 mars 2025

 Petit aperçu du jardin d'hiver 2024/2025

Partie 1



Mon Bouddha au jardin se souviendra longtemps de la pluie et du gel hivernal, il en porte des traces indélébiles. Comme le vieux jardinier que je suis, le temps est assassin et n'épargne personne. Ce Bouddha-ci, est un autre moi-même.



Le cotonaester, tout resplendissant avec ses baies rouges, bien utile pour la nourriture des oiseaux l'hiver.



Le même, mais en gros plant. Toutes ces baies en grappe ont l'air bien appétissantes... non ?



Mon Camélia rampant, avec sa floraison toute en nuance de roses.



Mon second Camélia, celui-ci arbuste, avec un rose beaucoup plus affirmé, s'impose parmi un camaïeu de vert.



Voici mes dernières pousses de mâche avant leur montée en graines. Avec mes semis étalés dans le temps, j'ai réussi à en manger tout l'hiver.



Fidèles de chaque fin d'hiver, les jonquilles annoncent le retour prochain du printemps.



Dans la serre, mes toutes premières salades, de la variété Gotte Jaune d'Or, s'épanouissent doucement avant leur implantation en pleine terre.



On se quitte avec cette splendide gerbe de crocus. Rien de mieux pour redonner des couleurs à cette fin d'hiver.

A bientôt.

2 mars 2025


 

" Les guerriers de l'hiver "   de Olivier Norek   19/20

      Débutée le 30 novembre 1939 et terminée le 12 mars 1940, la guerre opposant L'URSS à la Finlande nous est racontée avec une grande précision en n'omettant surtout pas les intérêts géo-politiques avant, pendant et au sortir du conflit.

      J'avais connaissance depuis ma jeunesse de cette guerre opposant David contre Goliath, seulement j'en étais resté au résumé froidement objectif, toutefois, sous la plume précise d'Olivier Norek, ce conflit prend taille humaine et un sentiment profond d'empathie nous habite du début à la fin, d'autant que l'auteur n'invente rien, tout est vrai, il s'est juste contenté de légèrement romancer l'ensemble pour lui donner plus de corps.

      Indépendante depuis seulement 1917, la Finlande était à l'époque le pays le plus pacifique du monde, toutefois, les velléités d'expansion du troisième Reich, ont poussées Staline à prendre de force la région finlandaise, septentrionale de Léningrad. Son but était d'empêcher les armées nazies de emparer de la ville de Lénine. Naturellement, sans se préoccuper le moins du monde de l'avis des finlandais. En trois mois et demi de combat l'armée rouge perdit environ 400 000 hommes, côté finlandais les pertes furent de 22 830 hommes. Cette différence abyssale s'explique par la résistance incroyable de ce petit pays face à une armée rouge mal préparée et dont les purges staliniennes avaient décimé les officiers. Par la suite, vu la faiblesse de l'armée russe, cela encouragea Hitler à envahir l'URSS avec l'opération Barbarossa, déclenchée le 22 juin 1941.

      La force intrinsèque de récit est de nous raconter le parcours de certains protagonistes, dont la naissance d'un héros nordique : Simo Häyhä, un sniper hors norme, baptisé par les russes : la mort blanche, une véritable légende.

      Alternant les narrations entre les belligérants, les gradés, les hommes du rang et les femmes de l'ombre, Olivier Norek soulève également la transformation psychique du soldat inexpérimenté devant tuer son premier homme. Puis, inconsciemment une effroyable routine se met en place pour convertir un homme affable en un redoutable assassin. 

      Ce conflit passé n'est pas sans tirer d'innombrables parallèles avec la guerre actuelle en Ukraine. Toujours le même agresseur avide de territoires ne tenant absoluement aucun compte de la vie humaine, sacrifiée sur l'autel de l'ambition personnel. 

      Tout en respectant avec brio la réalité historique, ce roman se vit à hauteur d'hommes et de quelques femmes, lui conférant une humanité insoupçonnée. Un livre universel contre la bêtise toute puissance, celle qui dirige le monde depuis toujours, et pour combien de temps encore ?


24 févr. 2025


 " Le diable tout le temps "   de Donald Ray Pollock   18/20

      De l'Ohio à la Virgine-Occidentale, de la fin de la seconde guerre mondiale aux années 60, de l'amour le plus puissant à la haine la plus farouche, Donald Ray Pollock nous propose le destin d'une poignée de protagonistes abimés par les hasards d'une vie sans relief.

      Williard Russell revient entier de la guerre du Pacifique contre les japonais, néanmoins il est hanté par des visions d'horreur ineffables. Après dix ans de mariage, sa femme adorée tombe gravement malade. L'esprit encombré d'une religion mal assimilé, il est prêt à toutes les aberrations pour la sauver. Son fils Arvin assiste à son combat délirant pour essayer de guérir sa mère, tant pis s'il en sort traumatisé. Carl et Sandy Henderson forment un duo diabolique qui arpente les routes à la quête de jeunes auto-stoppeurs à photographier, mais pas que. Roy est un prédicateur convaincu de posséder le pouvoir exceptionnel de ramener les morts à la vie. Chacun se fourvoie, chacun se perd.

      Quelle folie a pu s'emparer de ces personnages pour qu'ils agissent ainsi, sans la moindre moral, ni retenue. Qui ose encore évoquer l'idée d'une amérique puritaine ? Laissez-moi rire. Sur la face A peut-être, mais sur la face B une abomination l'habite. Donald Ray Pollock excelle pour nous raconter ces destins sordides, perdus dans des solitudes vides de sens. Tel un chef d'orchestre, il crée une symphonie horrifique, aussi noire que disparate, dans le dessein de tout réunir au final dans une apothéose libératrice. 

      L'auteur pose son cadre dans l'Amérique profonde des années 50, 60. Il parvient à nous faire ressentir des montagnes de frustrations, de haine intériorisée, de désirs inassouvis, où ses protagnistes vont tenter de se libérer frontalement. Et que dire de la religion où chacun y trouvera une excuse pour agir. Cette religion de façade bien utile pour commettre l'innommable. Le diable aurait-il réussi à tout investir ?

      Peu de raison d'espérer dans ce roman où le diable mène une danse infernale, à peine un rayon de lumière vient-il s'inviter à la dernière page, mais à quel prix ? Celui d'une séparation inéluctable et douloureuse. 

     Certes, l'auteur nous décrit avec une infime empathie tous ces perdants loin d'être magnifiques, ces laissez-pour compte, ces paumés, ces fanatiques, ces oubliés de la vie, néanmoins, tous ne sollicitent que trop peu la volonté de sortir de l'ornière, le diable tend des bras si longs, si puissants.

     Ce roman doit être lu pour prendre conscience, une fois de plus, mais jamais une fois de trop, jusqu'à quel point la bête qui sommeille en chacun de nous, caché sous un monceau de frustrations, peut se réveiller un jour ou l'autre, et commettre l'abject.

      La plume et la prose de Donald Ray Pollock est habile et fluide, elle nous entraîne dans une lecture addictive, dont la dernière page arrive trop vite. Pour un premier roman, c'est une réussite. Diable ! Il est doué ce Pollock, aurait-il signé un pacte avec le diable ?


18 févr. 2025


 " Blizzard "   de Marie Vingtras   17/20

      A peine le temps pour Bess de lâcher la main de l'enfant pour refaire son lacet, que déjà, celui-ci a disparu, avalé par la tempête de neige soufflant au coeur de l'Alaska.

      Dès l'incipit, le ton est donné ; un huis clos à ciel ouvert s'amorce, perdu au bout d'un monde glacial. A tour de rôle chaque protagoniste va intervenir autour des heures suivantes le temps de tout petits chapitres. Les voix s'entremêlent, reconstruisant le passé de chacun, comme une mosaïque qui se reconstituerait sous nos yeux. Les drames individuels se chevauchent, chacun cherchant à résoudre ses problèmes insolubles. La vie ne fait pas de cadeaux, mais des fragments de lumière peuvent jaillir ici ou là.

      Avec ce récit morcelé et bouleversant, Marie Vingtras vient nous interpeller sur l'absurdité de nos croyances, sur les non-dits insoupçonnables, sur nos traumatismes et sur une hypothètique possibilité de jours meilleurs.

      Sa plume ne s'encombre pas de descriptions interminables, elle va directement là où résident nos souffrances, la psychologie des personnages tient lieu de décor. Etant un lecteur assidu de la collection Gallmeister il me manque une plus grande présence de la nature, silencieuse, oppressante, inhospitalière mais effroyablement belle. 

      Naturellement, le titre du roman ne fait pas seulement allusion aux phénomènes météorologiques, mais surtout à nos douloureuses souffrances morales. Chacun pourra s'y reconnaître : comment faire un bon choix de vie ? D'ailleurs, avons nous vraiment le choix ? Le déterminisme social est-il toujours le plus fort ? Comment lutter contre nos instincts primitifs ? Comment vivre avec une culpabilité qui ronge ?

      En lisant cette autrice, on ressent une sensibilité fortement imprégnée de la culture américaine, avec toute la violence intrinsèque que cela induit. Derrière les monologues ou confessions appliquées des protagonistes, je n'ai pu m'empêcher de voir l'ombre de l'avocate, profession que Marie Vingtras exerce en dehors de l'écriture.

      Ce roman restera gravé dans nos mémoires de lecteurs par sa construction façon puzzle et par l'équilibre instable des innombrables innocences perdues.


13 févr. 2025


 " Le mage du Kremlin "   de Giuliano Empoli   de 18/20

      Mêlant fiction et réalité, Giuliano Empoli nous emporte dans un voyage à la fois magnétique et terrifiant dans les pas d'un homme : Vadim Baranov, il fut l'éminance grise de Poutine. Adoptant le ton narratif du dialogue, nous assistons médusés à la montée en puissance d'un homme apparemment inoffensif, mais qui une fois au pouvoir, ne fut la marionnette de personne : Vladimir Poutine.

      Giuliano Empoli joue adroitement avec la réalité, ainsi Baranov n'est autre que Vladislas Sourkov. Comme son modèle, Baranov est un homme érudit, féru de littérature, producteur de télévision, créateur de pièces de théâtre sarcastiques et fut l'organisateur de la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques de Sotchi. L'intrigue luxuriante laisse une place à l'amour et au danger, car vivre dans l'entourage proche de Poutine n'est pas sans risque. S'il a été un témoin majeur de la montée en puissance du nouveau tsar, il aura eu l'intelligence de prendre du recul avant d'être broyé par le système. Ainsi, contrairement à d'autres, morts de façon bizarre, lui vit toujours paisiblement en Russie.

      Ce roman est un portrait au vitriol de Poutine, son unique but : redonner gloire et puissance à la Russie contemporaine, suppprimer dans l'oeuf la moindre contestation, et encourager les diverses factions politiques ou sociales à l'étranger pour mieux les diviser et ainsi créer le chaos. A préciser que ce roman a été écrit avant l'invasion de l'Ukraine, il en résonne encore plus de façon saississante dans l'actualité. Ce livre est une négation de toute démocratie, de tout libre arbitre, un refus manifeste de toutes nos valeurs : liberté, égalité, tolérance. Il a de quoi faire trembler dans les chaumières. Il en découle une vision glaçante de la géo-politique, doublé d'une réflexion sur l'avancée technologique et ses possibilités d'aliénation totale de l'homme par la machine. La machine aura rendu possible le pouvoir dans sa forme la plus absolue. L'ensemble, d'après l'auteur, aboutissant à la création par l'Homme de Dieu. Dieu, ce colossal organisme artificiel, telle une machine superpuissante capable de tout voir et de tout contrôler, l'idéal du totalitarisme.

      Cette lecture laissera des traces indélébiles, elle nous raconte une humanité pensant la machine comme un instrument d'aide, en vérité, comme l'écrit Giuliano Empoli, ce sont les hommes qui ont été l'instrument de l'avènement de la machine.

1 févr. 2025

 " Les sept piliers de la sagesse " de T.E. Lawrence   15/20


      Pour la postérité, le colonel T.E. Lawrence nous offre ses mémoires de guerre couvrant les années 1916-1918. Il s'agit principalement de la révolte arabe contre les turcs ottomans.

      Pendant la première guerre mondiale, le rôle de T.E. Lawrence fut d'unir les tribus arabes et bédouines afin d'aider l'armée britannique à lutter contre l'Empire Ottoman, allié de l'Allemagne, qui occupait une grande partie de l'Arabie Séoudite actuelle, la syrie, la Palestine et le bassin mésopotamien.

      Quasiment, jour après jour, T.E. Lawrence nous raconte sa guerre à chameau contre les places fortes turcs, mais également ses multiples escarmouches et actions de sabotage contre les voies ferrées. Naturellement, archéologue de formation, il est amené à partager la culture arabe, sa langue, sa vie quotidienne, ses vêtements. Rapidement il épouse la cause arabe, cela devient pour lui une quête absolue, une révélation, allant, par honnêteté pure, jusqu'à raconter les projets secrets des britanniques après la guerre auprès de Fayçal, le futur roi d'Irak et fils d'Hussein ben ali, le chérif de la Mecque et roi du Hedjaz. 

      Il est surprenant de noter qu'à travers ses memoires, T.E. Lawrence ne se met jamais en vedette, même s'il est objectivement un grand stratège, il minore son rôle et narre tout : ses maladresses, ses erreurs et ses joies, rien n'est esquivé, rien n'est enjolivé au profit d'une gloire narcissique. Nous sommes en face d'un homme humble, avec une conscience et d'énormes doutes, doublés d'une humanité folle : jamais la mort d'un homme ne pourra le rejouir, même s'il s'agit d'un ennemi.

      Par acquis de conscience, j'ai voulu revoir le célèbre film de David Lean : Lawrence d'Arabie. Comment avait-il fait pour résumé un tel monument littéraire ? C'est très simple : en faisant de gigantesques raccourcis, concervant sur pellicules uniquement les moments charnières. Ainsi, le film garde l'esprit de la personnalité de T.E. Lawrence, quelques paysages et le propos global, néanmoins on passe à côté de tant d'aller retour mental ou physique, de tant de souffrance mental et physique, de tant d'aspects du désert, qu'une vraie lecture de ces mémoires s'impose.

      J'oubliais d'évoquer l'avalanche de personnages qui viennent parsemer un texte très riche, impossible de tous les retenir. Par contre, pas de femme, pas une, juste deux évocations lointaines de Gertrude Bell, une archéologue de formation comme lui, qui travailla longuement à la mise en place d'un nouveau pays nommmé Irak, et dont Fayçal fut le premier roi en 1921.

    Lecture colossale, à la dimension des déserts traversés. Le point final s'identifie à un mirage, tant il est loin. Cette bible comporte 950 pages d'une écriture dense, hermétique et aride. Le tout partagé en plus de 100 chapitres séparés par de petites oasis bienfaitrices. Ainsi, par parallélisme, tout lecteur se verra confronté au froid glacial et à la chaleur extrême, au manque d'eau et de nourriture, par contre, il en bouffera du sable, par pelletée entière !

      Afin de facilité la lecture de chacun, une ou plusieurs cartes détaillées n'auraient pas été superflues, car j'ai dû, un nombre incalculable de fois me reporter à google maps, afin de mieux saisir les tenants et les aboutissants de chaque position militaire. J'en ai profité pour admirer la splendeur des déserts et de leurs multiples variations.

      Dans cette fresque littéraire, se mêle et s'entre-mêle un récit d'aventures dépaysant, des réflexions philosophiques et une cynique analyse politique. Le mythe de T.E. Lawrence tient à une personnalité hors norme, à une sensibilité extrême et à une humanité rare. Peut-être une sorte de saint perdu dans un monde de violence qui le terrifie, allez savoir !?!


22 janv. 2025



" Les âmes féroces "  de Marie Vingtras   16/20
      
      Bienvenue à Mercie, cette ville de 4000 âmes, perdue dans un recoin des Etats-Unis. La vie y est paisible, presque endormie ; aucun drame ne vient ternir sa réputation de sérénité. Pourtant, un jour de printemps, sa légendaire quiétude va être mis à mal : le corps sans vie d'une jeune fille de 17 ans y est découvert, les jambes immergées dans la rivière coulant aux abords de Mercy. Le shérif de la localité, une femme aux allures hommasse, commence ses investigations, sous le regard critique de l'un de ses adjoints et du maire...

      Marie Vingtras tisse son récit sur un an. Au rythme des saisons, quatre protagonistes (deux hommes et deux femmes) très proches de la victime, détricotent les mailles du passé, prenant conscience des évènements, parfois insignifiant, qui ont permis à l'horreur de surgir là où rien n'aurait dû venir semer le trouble. Utilisant la forme du labyrinthe littéraire, l'autrice réussit l'exploit, par l'intermédiaire d'une construction habile et d'une plume agile, de ne pas nous perdre entre ces destinées meurtries par ses propres désirs et les inévitables pressions sociales.  
 
      Grâce à sa fascination pour la culture et la littérature anglo-saxonne, Marie Vingtras ne pouvait placer son histoire autrement qu'aux Etats-Unis, dans une petite ville isolé de tout. Dans ce huis-clos en extérieur, son récit y prend plus de force, plus de frustrations y naissent, plus d'ostracisme s'y déploie (Toute ressemblance avec l'Amérique de Trump n'est pas fortuite). Qu'ils le veuillent ou non, les personnages sont prisonniers de leurs mensonges, de leurs rancoeurs, de leur non-dits ; leurs instincts de survie fera le reste.

      Naturellement, l'enquête policière passe au second plan devant le portrait psychologique sans fard d'une ville et de ses habitants, dont les narrations ternissent peu à peu la douceur de vie spécieuse d'une communauté apparemment sereine. Ainsi, Marie Vingtras nous offre une représentation de la nature humaine dans sa rudesse parfois violente, poignante et insoumise. On a constamment de bonnes excuses pour faire ce que l'on fait, mais chacun voit le monde à l'aune de son passé, de son déterminisme social. La vérité est toujours infiniment multiple. De ce fait, l'autrice nous tend un miroir en recherche d'humanité, car ses âmes féroces, ne l'oublions pas, ce sont également les nôtres.