26 avr. 2018


" Histoire du juif errant "   de Jean d'Ormesson   17/20


      Par pure jalousie, un cordonnier de Jérusalem nommé Ahasvérus, fou amoureux de Marie-Madeleine, refuse un verre d'eau à Jésus le nazaréen pendant son chemin de croix. Devant ce refus inexplicable, Jésus lui dit : " Je marche parce que je dois mourir, toi, jusqu'à mon retour, tu marcheras sans mourir ". Dés le lendemain, Ahasvérus quitte son échoppe, et, condamné à l'errance et à l'immortalité, il marche, il marche encore et toujours, jusqu'à la fin des temps, il est devenu le Juif errant !
      Deux mille ans plus tard, on le retrouve à Venise, au pied de la Douane de mer, en face du palais des Doges, sous le nom de Simon Fussgänger. Tous les soirs, il prend l'habitude de venir raconter ses improbables aventures à deux jeunes amoureux, qui l'écoutent fascinés, presque envoûtés. Ahasvérus ou plutôt Simon Fussgänger leur fait le récit de ses péripéties incroyables, à travers l'espace et le temps. Ses souvenirs, déballés pêle-mêle, éclateront comme un grand canevas de l'Histoire, avec ses figures incontournables : Christophe Colomb, Stendhal, Théodora, Néron, Chateaubriand, Saint François d'Assise, Poppée, et tant d'autres ! L'auteur nous fait voyager en Italie, en Russie, en Espagne, en Inde, au Caucase, et tout autour du bassin méditerranéen.
      Cependant, qui est vraiment ce Simon Fussgänger ? Un escroc de génie ? Un fou savant ? Un assassin recherché par la police ? Un séducteur aux talents infinis ? Les questions s'alignent par poignées, les réponses s'ordonnent en rang parfait en face, dérangeantes et troublantes parfois, néanmoins toujours opportunes. D'autant que les innombrables noms de notre juif errant, portés tout au long de son parcours, ne peuvent qu'ajouter du mystère au mystère, jugez-en : Cartaphilus, Démétrios, Isaac Laquedem, Omar Ibn Battûta, Esperendios, Luis de Torrès, Hiuan-tsang, ou encore Ragnar le Savant !

      S'inspirant de la légende du juif errant, Jean d'Ormesson y déploie tout son talent de conteur, tout son savoir d'érudit et toutes ses réflexions de penseur. Ce sujet mythique fait figure de folle récréation pour lui, il s'y défoule comme un gamin, bousculant et retournant allègrement nos certitudes, tel un polisson, aussi espiègle que licencieux, aussi futé qu'odieux. Le tour de force de l'auteur est de mêler astucieusement Ahasvérus aux grands événements du monde, de l'antiquité, jusqu'à aujourd'hui, de défiler une bobine sans fin, à l'instar du mythe de Sisyphe.

       Parmi les réflexions développées par l'auteur, et qui lui tiennent à coeur, il y a celle sur la vie et la mort, ou plutôt celle de la vie par rapport à la mort. Stipulant avec ferveur qu'elles sont si étroitement unies qu'elles n'ont de sens que par l'autre, ou grâce à l'autre. Jean d'Ormesson se complaît à détricoter ce thème, à le ridiculiser, comme tant d’autres, rien que pour le rebâtir à sa manière, c'est-à-dire avec une éblouissante argumentation aussi grandiloquente que probante. 
      Autre piste de réflexion : la foi. N'est-elle rien d'autre qu'une forme d'espérance ? Devant les injustices de ce monde : de tous les temps les riches y dominent toujours les pauvres, qu'ont-ils à attendre de cette vie de misère ? Et si, de l'autre côté de la nuit, une vie inconnue, nécessairement plus favorable leurs souriaient ? Toute l'histoire des religions n'est-elle pas dans ce sophisme ?

      Naturellement, à travers ce personnage arlequinesque, Jean d'Ormesson parle d'un mythe qui traîne dans nos cœurs, dans nos souvenirs, dans nos fantasmes, dans nos peurs, dans nos espérances, il est nous-même et tous les autres, il est l'homme prisonnier de lui-même, écartelé entre passé et avenir, il est l'humanité dans son entièreté, immonde et magnifique, effroyable et magnanime. Il est nous tous.

      Au long cours de la magie de la lecture, fortuitement, on peut entendre, au détour d’une phrase ou d'une expression, la douce voix  et légèrement acidulée de l'écrivain nous susurrer à l'oreille, et même d'y surprendre son oeil malicieux, tant ces mots sont les siens. C'est épatant !
      Peut-être quelques longueurs et quelques répétitions sont-elles à déplorer, cependant, vite le vent de la petite et de la grande Histoire regonfle nos voiles, et savamment nous emporte à nouveau vers d'autres lieux, encore plus magiques et plus envoûtants.

      Et comme rien n'épuise jamais l'histoire et le temps, il y a de forte chance pour qu'un événement s'achevant, un autre lui succède... Amis lecteurs, quand vous aurez refermé ce livre atypique, le monde vous reprendra dans ses bras pour vous emporter vers demain, car il y a toujours un demain à demain, jusqu'à la fin des temps, avant que d'autres temps ne se lèvent, et ceci indéfiniment...


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