" Les météores " de Michel Tournier 13/20
Dans les années 30 en Bretagne deux jumeaux, Jean et Paul, forment un couple fraternel si unis qu'on les appelaient Jean-Paul. Grandissant dans une symbiose parfaite, ils développent des règles, des rites, un langage secret et une dérangeante communion séminale. Une parfaite intégrité gémellaire s'installe et perdure, mais petit à petit, l'un d'eux, Jean, avide d'aventures est irrémédiablement attiré par l'extérieur. Il ira même jusqu'à se fiancer, aussitôt Paul se sent outragé, trahi dans sa chair, il manœuvre alors habilement pour briser les fiançailles. Jean, révolté, dégoutté, quitte alors la propriété familiale. Seul il entreprendra un voyage autour du monde, comme pour une nouvelle naissance cognitive. Paul finira par lui emboîter le pas, prenant goût à ce voyage initiatique. Il cherchera à comprendre son jumeau, mais surtout à le ramener à la maison, et renouer ainsi avec les plaisirs du passé, s'il n'est pas déjà trop tard.
Autour du couple central, les protagonistes abondent. Notamment l'oncle Alexandre, héritier malgré lui d'une grande entreprise qui collecte et traite les ordures ménagères. Et comme il s'habille toujours avec une élégance tapageuse, on l'appelle le dandy-des-gadoues. Homosexuel notoire, (thème récurrent de l'auteur) il partira à la quête de son double narcissique, de l'amour idoine, le plus harmonieux possible, à l'instar de celui que semble représenter Jean et Paul.
A travers une aventure courant de Venise à Berlin, et zigzagant entre Djerba en Tunisie, Reykjavík en Islande, Nara au Japon, Vancouver et Montréal au Canada, ce récit aborde le vaste thème du couple, en appliquant sur chacun d'eux une grille de déchiffrement, autant originale que pertinente. Aux yeux de l'auteur, le couple de jumeaux, semble être à la fois le couple idéal et une monstruosité sans nom puisque chacun lutte pour s'identifier indépendamment de son jumeau. Dès lors, le lecteur se voit projeté dans un questionnement sans réponse toute faite : L'homme est-il fait pour vivre à deux ? Soit avec une femme ou un homme ? Cette union se fait-elle inévitablement au détriment de l'une des deux parties ? L'harmonie parfaite est-elle réellement envisageable ? Ou cette osmose divine n'est-elle qu'une utopie, qui risque de nous faire courir longtemps ? Le temps d'une vie et pour quel résultat ?
L'important dans ce roman de Michel Tournier, publié en 1975, est-ce vraiment l'histoire hachée et pleine de trous ? D'ailleurs le récit ne comporte pas vraiment de fin, on ignore ce que vont devenir les jumeaux, certes on devine entre les lignes leur avenir, mais rien n'est concret, tout est en devenir, comme la vie qui coule. L'important, n'est-ce pas plutôt cette écriture pointilleuse, poétique, imagée, celle d'un grand érudit, dont certains paragraphes sont véritablement remarquables et sublimes d'inventivité ?
Comme à son habitude, Michel Tournier s'emploie à revisiter les mythes et les légendes, afin de les spiritualiser aux travers de tous ses personnages à coup d'allégories, d'idéalisations, d'affabulations et de fantaisies. Il n'y a plus qu'à se laisser porter par la force de la plume, sur les chemins des possibilités, des outrances parfois et des symbolismes révélés souvent. Car pour lui tout a un sens, tout fait sens, tout se répond, rien n'existe pour rien, tout est lié inextricablement en s'encastrant jour après jour, telles les pièces d'un jeu de dominos. Encore faut-il avoir le talent de l'exprimer et de savoir démêler la vérité ou du moins de tenter une explication. Tout le monde ne sera pas convaincu, moi le premier, mais sa réussite c'est d'oser, d'oser l'omniscience. D'oser prendre nos vies pour les exposer sous le microscope de ses ambitions démesurées de lettré. Et le parcours n'est pas triste, littérairement c'est une réussite, il y a même de l'humour parfois scabreux, mais bon il essaie, il propose, toujours et encore. Naturellement, tout n'est pas parfait, des longueurs pesantes grèvent le propos, mais quand des fulgurances narratives se mettent en place, même sur plusieurs pages, c'est magnifique de digressions, de sensations littéraires, de logiques, et d'acuité émotionnelle. Mais en vérité, il cherche inlassablement le sens du monde, citant souvent la bible comme livre ultime, comme référence intouchable à ses délires explicatifs, derrière ses décryptages atypiques, il cherche Dieu tout simplement, comme nous tous d'ailleurs, pour ne pas devenir fou.