26 déc. 2016


HAÏKU   Partie XXIX

°°°°°°°°°°°°°

dessinant sur nos vitres
de folles arabesques
givre est artiste

prisonnière dans l'étable
rêvant de pré vert
la vache d'hiver

au fond du jardin
une grosse châtaigne oscille
deux hérissons amoureux

du bémol des vaguelettes
au majeur des tempêtes
musique océane

dure table de la vie
d'où chutent parfois
des miettes de bonheur


22 déc. 2016

" Le quatrième mur " de Sorg Chalandon   18/20



D'un côté, Georges, un militant dans l'âme, toujours près à en découdre avec les fascistes de tout acabit. De l'autre, Samuel, un grec d'origine juive émigré en France, suite à la dictature des colonels. Mais Samuel souffre d'une grave maladie. Il obtient de Georges une promesse, pourtant difficilement tenable, celle de monter la pièce Antigone d'Anouilh avec une troupe d'acteurs de confessions multiples. La seule et unique représentation doit avoir lieu à Beyrouth le 1er Octobre 1982, soit en plein coeur de la guerre civile qui déchire la ville. Belle et pauvre Beyrouth : écartelée entre cinq factions issues des composantes politiques, religieuses ou ethniques de la société libanaise. Ce sont justement des hommes et femmes issus de cette ville en ruines qui seront choisi pour interpréter l'oeuvre d'Anouilh. Comédiens improbables, écartant un temps leur haine réciproque pour apporter de l'humain dans l'inhumain. Un faisceau de lumière dans les ténèbres.

Bouleversant et magistral sont les deux premiers mots qui me viennent une fois la dernière page lue. Comment rester indifférent à cette violence aveugle et absurde entre palestiniens, druzes, maronites, chiites et juifs ? Le symbole est beau : voler deux heures à la guerre pour rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour en ruine et jardin délabré. Une trêve poétique, une parenthèse de paix pour faire fi des différences de chacun et les faire communier, deux heures de temps, dans une autre dimension grâce à la puissance de l'Art. 

Sorg Chalandon nous donne un exemple de plus de cette haine inlassablement inhalée par l'intermédiaire des religions. Tant de morts inadmissibles au nom d'un Dieu hypothétique qui gonfle d'irresponsabilité tout croyant, se voyant ainsi légitimé dans son combat contre toute autre croyance. Force est de reconnaître que l’obscurantisme à une telle puissance de nuisance, qu'elle nous ferait presque croire à l'existence du Diable !

Chacun des protagonistes est confronté à des forces noires qui les dépassent, même Georges, malgré sa montagne de bonne volonté, y cédera. La violence est-elle inéluctablement un maelstrom qui un jour ou l'autre nous happera tous ? L'Art a-t-il une chance pour pouvoir sauver le monde ? Se battre pour la paix a-t-il un sens ? Telles sont les questions abordées avec humilité dans cette tragédie sans nom.

Avec une grande maîtrise Sorg Chalandon tire des parallèles entre la jeune fille de Georges, Louise, élevée bien au calme dans un pays en paix, et les enfants de Beyrouth, fatalement meurtris, et soumis à la folie d'hommes croyants. L'auteur, par la simple chute d'une boule de glace dans le parc Monceau, exprime la relativité de toutes choses selon la position géographique de l'observateur. Ne devrait-on pas mesurer chaque chose de la vie à l'aune des pires exactions commises en ce vaste monde ? Autre écho allant dans le même sens : les réflexions des acteurs multiconfessionnels, qui, en raison de leur origine et de leur histoire personnelle, ont, de la pièce Antigone, des visions totalement divergentes. Comme si, suivant la confession religieuse d'où on observe un travail artistique, son interprétation sera fatalement distincte, et presque inaudible depuis les visions d'une autre croyance. Expliquant ainsi bien des choses, et ridiculisant tant de positions ignorantissimes.

La plume vivante de Sorg Chalandon imprime au récit une force supplémentaire. Elle intensifie les émotions, au point de parfois souffrir à sa lecture tant l'amour, l'amitié et la haine suintent de ces mots. Rarement un auteur aura autant mis en relation la force de son histoire avec celle de ses écrits.

Tout du long, le roman est bercé par le Pie Jesu du requiem de Duruflé, une oeuvre qui augmente s'il en était besoin, la dimension affective de l'ensemble.

Pour conclure, une oeuvre remarquable et tragique, impossible à oublier, telle une ode criant la vie face à tout obscurantisme primaire.

17 déc. 2016



HAÏKU   Partie XXVIII

°°°°°°°°°°°°°°°°°

sommeil du grand cerf
il rêve qu'il vole
tel un cerf-volant

nez dans l'herbe
respirant
la peau de la terre

sous le vent fripon
plus de chapeau à l'épouvantail
rire des oiseaux

à travers le feuillage
le soleil
sculpte ma peau

canicule
la fraîcheur se cache
au fond de l'eau

12 déc. 2016


" Charlotte "   de David Foenkinos   18/20


Charlotte Salomon naît en 1917 à Berlin dans une famille juive. Depuis le suicide de sa tante, sa mère est devenue très dépressive, au point qu'un jour, elle avale un flacon d'opium avant de sauter par la fenêtre, Charlotte n'a que 9 ans, on lui raconte que c'est la maladie qui a emporté sa mère. Dès lors, Charlotte devra apprendre la solitude face à un père médecin, consacrant toute sa vie à son travail. Adolescente introvertie, Charlotte se libère dans le dessin, puis vite la peinture prend le relais, comme un besoin fondamental. Son père se remarie avec la célèbre chanteuse lyrique, Paula Lindberg, dont le professeur de chant nommé Alfred Wolfsohn, fera prendre conscience à Charlotte que son travail artistique est remarquable, et qu'elle doit persévérer. Charlotte tombera vite amoureuse de ce personnage ombrageux et insociable.

Mais nous sommes en 1933, et la haine accède au pouvoir : les juifs sont mis aux bans de la société. Sur les conseils d'Alfred, de Paula et de son père, Charlotte partira en France, retrouver ses grands-parents. Mais sa grand-mère se suicide à son tour. Son grand-père lui avouera alors la terrible vérité sur le décès de sa mère. C'est une fatalité dans la famille, toute les femmes finissent par se donner la mort, d'ailleurs si Charlotte s'appelle ainsi, c'est en référence à sa tante Charlotte, suicidée à 18 ans.

D'autres épreuves, plus éprouvantes les unes que les autres, ne manqueront pas de se cristalliser dans sa vie, comme un poids de plus en plus lourd à supporter. Afin de contrer le désespoir d'une grave crise existentielle, elle se lancera dans une série d’œuvres picturales retraçant sa propre histoire, pour conjurer ce mauvais sort. Cette résilience à peine menée à bout, déjà l'ombre noire du nazisme finira par grandir inéluctablement, puis par l'absorber dans sa sépulcrale spirale. Dès lors le parcours de Charlotte ne pourra être qu'une succession d'étapes, toutes funèbres et désespérément macabres.

David Foenkinos accouche d'un texte magnifique de concision, de poésie et de noirceur. Inspirée de la vraie vie de cette artiste peintre allemande assassinée à 26 ans, l'auteur aura dû faire face à une longue période de maturation avant de se lancer dans ce projet ambitieux.

Il y des livres sombres, que j'ai pu lire sans qu'ils ne m'attristent plus que cela, mais celui-ci est un choc, qui persiste longtemps encore après sa lecture, en vérité inoubliable puisque atypique. L'agencement du texte y est pour quelque chose, en effet, ces phrases courtes concluent par un point, avant de revenir systématiquement en début de ligne, ralentissent le rythme de lecture, mettent en exergue chacune d'elles, leur donnent intrinsèquement plus de poids, dilatant ainsi leur sens et leur puissance. D'où cette impression subliminale d'une longue poésie, d'autant que l'écrivain manie les mots avec une rare dextérité, dans cette écriture inspirée et vibrante d'émotion. Impossible dès lors de ne pas être touché dans son corps et dans son âme par ce roman original, mais dans le bon sens du terme.

David Foenkinos mêle à la narration pure ses démarches d'enquêteur de terrain pour s'imprégner des lieux où vécut Charlotte, donnant à l'histoire une véracité supplémentaire. D'ailleurs, après avoir refermé la dernière page, l'envie est forte de découvrir les peintures de l'artiste, comme un besoin de continuer le voyage, de mettre des images sur les maux.

David Foenkinos réussi l'évocation du destin tragique d'une artiste puissamment habitée par l'art pictural. Donnant grâce à sa façon d'écrire une aura, une envergure additionnelle au tragique du récit. Sans doute son roman le plus noir, mais son meilleur roman, d'ailleurs en cette année 2014, il fut couronné du Renaudot et du Goncourt des lycéens.

9 déc. 2016


" Chanson douce "  de Leïla slimani      14/20


Myriam est une mère de deux très jeunes enfants, Mila et Adam, mais ce rôle maternelle ne la comble pas, son métier d'avocate lui manque. Malgré les réticences de son mari Paul, ils partent donc à la recherche de la nounou idéale. Après un casting drastique, ils pensent avoir trouvé la perle rare en la personne de Louise, femme plutôt effacée et veuve. D'autant que leurs deux bambins tombent vite sous l'affection de cette nounou efficace et très aimante, une vraie Mary Poppins, la magie en moins !

De part son implication totale dans la vie du jeune couple, Louise, en vraie fée du logis, va rapidement devenir irremplaçable. Cette dépendance mutuelle va peu à peu faire naître d'étranges sentiments au sein du couple, comme si un piège était en train de se refermer sur eux-mêmes, les approchant petit à petit de la tragédie finale, puisque dès lors, le ver est dans le fruit.

Contradiction absolue entre le titre du roman, qui n'évoque que volupté, et son saisissant incipit : Le bébé est mort. Comme-ci sous toute mer tranquille où le noheur s'invite souvent, l'ombre du malheur rôdait en permanence, comme son corollaire. Ainsi l'histoire débute par le dénouement : Louise, nourrice parfaite, assassine les deux enfants dont elle a la charge. Mais malgré notre connaissance du drame à venir, Leïla Slimani possède l'art de faire monter le suspense par petites touches, mine de rien, elle remonte un à un les fils tendus vers le drame. C'est au rythme d'une écriture simple mais précise et sans grandiloquence, qu'elle nous distille une narration pleine de quiétude et de moelleux, avec juste une pointe mélancolique, qui accentue le côté Chanson douce du titre.

Le point fort du roman est sans nul doute la rencontre entre deux mondes parallèle, si éloignés qu'ils ne peuvent se comprendre. D'où cette fracture abyssale entre les gens de peu, toujours démunis, qui jour après jour, galèrent tels des spectres urbains, pour maintenir la tête hors d'eau, face à une classe moyenne supérieure, économiquement dominantes, pris dans le maelström de leur carrière, et donc, volontairement ou pas, ignorante des difficultés d'existence de son petit personnel. Leïla Slimani remet en quelque sorte au goût du jour la dialectique si universelle du maître et de l'esclave. Malgré tout, elle ne juge jamais ces protagonistes, elle se contente de décrire ce qui est, c'est tout, mais c'est déjà beaucoup. 

Ce roman pose intelligemment la question sur nos modes de vies actuels. Faut-il sacrifier sa vie professionnelle pour se permettre de voir grandir ses enfants ? Ou vaut-il mieux suivre ses ambitions carriéristes afin de se réaliser professionnellement, au risque de vivre souvent de grands instants de frustrations profondes, devant des enfants que l'on a peu vu mûrir.

Malgré les qualités du roman, il reste une part d'ombre que Leïla Slimani n'élude pas. En effet, du passé de Louise trop peu de choses nous sont réellement révélées. Difficile dès lors d'adhérer totalement au mouvement de bascule, qui fait d'une femme que le destin n'a pas ménagée, une sombre et froide meurtrière. La fin également nous percute trop vite, me laissant un goût bizarre d'inachevé sous les doigts. Est-ce une volonté délibérée de l'auteure de nous laisser en suspend, comme-ci les 12 dernières pages du livre, toutes absolument vierges d'écriture, étaient là pour nous faire comprendre que l'on ne sait jamais tout de tout ? Que chaque chose garde toujours une part de mystère ? Que rien ne s'explique à 100% ? Quoiqu'il en soit cela gâche notablement mon plaisir de lecture. Peut-être suis-trop rationnel? Dommage !

Bref, Une chanson douce est un roman qui tient en haleine, parce qu’il diserte sur notre conception de l'alliance forcément bancale entre l'éducation et la vie professionnelle, également sur les sempiternels rapports de dominations inhérentes à l'argent, et enfin sur les impérissables préjugés de classe. 

Pour conclure, c'est un émouvant portrait croisé et un hypnotisant huis clos. L'ensemble nous rappelle qu'il ne jamais fait jamais oublier que derrière la façade tragique de beaucoup d'histoires, il y a un toujours un si légitime cri de vie, une simple et banale recherche d'amour. Cet amour qui fait tenir debout.

7 déc. 2016


HAÏKU   Partie XXVII

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

fin juin -
allumage des hortensias
fête au jardin

petit matin d'été -
quel bonheur 
pieds nus dans la rosée

Hortense y a du plaisir
lorsque juin
ouvrent les hortensias

sur le mur blanc
un point rouge -
feu le moustique

qui hume les lys
repart...
le nez en jaunisse !

4 déc. 2016

" A quoi rêvent les loups "   de Yasmina Khadra  18/20


Fin des années 80 en Algérie, Nafa Walid est un jeune algérois vivant à Bab-El-Oued dans la casbah. Malgré son origine modeste, il se rêve en acteur de renommée internationale, d'ailleurs un metteur en scène l'engage sur son long métrage, mais depuis... plus rien. Pour patienter, il devient le chauffeur d'une très riche famille d'Alger, l'occasion pour lui de découvrir un monde au-delà de toute rationalité, où les lois de l'état ne s'appliquent pas. Il en fera la cruelle expérience, terrorisé pas ce qu'il a vu, il finira par démissionner. Mais le traumatisme est si profond qu'il va le broyer peu à peu. Dès lors, comme l'enclenchement d'un mécanisme diabolique, il glissera inexorablement sur la pente de l’innommable.

Parce qu'une graine saine s'est vue humiliée par des hommes immoraux et corrompus, lui ayant fait perdre le respect d'elle même.

Parce que cette graine désormais altérée et vulnérable, s'est vue revalorisée fallacieusement par des recruteurs islamistes.

Parce qu'avec l'ébranlement psychologique dans laquelle elle est tombée, cette graine déroutée finit par se mettre à dos sa famille, brouillant ses repères.

Parce qu'en ces années 80/90, une guerre civile née d'un état corruptible, vénal, immoral et inique, opposant les militaires à des bandes armées islamistes dans une série d'exactions sans fin. 

Parce que tout cela, plus des circonstances particulières, cette graine qui ne demandait qu'à pousser normalement s'est muée en un abominable monstre froid, comme tant d'autres jeunes gens rendus vulnérables par les contorsions d'un état et l'obscurantisme des fanatiques religieux.

Comme toujours, Yasmina Khadra nous propose une histoire déroutante, écrite avec une efficacité absolue. Ses protagonistes sont criants d’authenticité. A son habitude, le style est maîtrisé, l'écriture ciselée, un vrai travail d'artisan de haut niveau. D'ailleurs tous ces romans sont d'un maintien remarquable, aucun déchet dans sa production, aucun compromis ou facilité dans ses écrits. Peut-être pour lui, dans les années à venir, un prix Nobel de littérature pour couronner sa carrière ? A mes yeux, cela ne serait nullement volé. Longue vie à cet homme, et qu'il nous enchante encore longtemps avec son excellente écriture.


30 nov. 2016


HAÏKU   Partie XXVI

°°°°°°°°°°°°°°°°

le vent se lève
sur son brin d'herbe
le rodéo de la fourmi

ciel de mars
pluie de grêle
sur terre tambour

pourchassée par un merle
une coccinelle se refugie...
sur un hérisson

sieste sous mon châtaignier
qui me surveille ?
l’œil noir du coquelicot

rouge et noir
cocarde
du coquelicot


26 nov. 2016



" Les météores "  de Michel Tournier   13/20


Dans les années 30 en Bretagne deux jumeaux, Jean et Paul, forment un couple fraternel si unis qu'on les appelaient Jean-Paul. Grandissant dans une symbiose parfaite, ils développent des règles, des rites, un langage secret et une dérangeante communion séminale. Une parfaite intégrité gémellaire s'installe et perdure, mais petit à petit, l'un d'eux, Jean, avide d'aventures est irrémédiablement attiré par l'extérieur. Il ira même jusqu'à se fiancer, aussitôt Paul se sent outragé, trahi dans sa chair, il manœuvre alors habilement pour briser les fiançailles. Jean, révolté, dégoutté, quitte alors la propriété familiale. Seul il entreprendra un voyage autour du monde, comme pour une nouvelle naissance cognitive. Paul finira par lui emboîter le pas, prenant goût à ce voyage initiatique. Il cherchera à comprendre son jumeau, mais surtout à le ramener à la maison, et renouer ainsi avec les plaisirs du passé, s'il n'est pas déjà trop tard. 

Autour du couple central, les protagonistes abondent. Notamment l'oncle Alexandre, héritier malgré lui d'une grande entreprise qui collecte et traite les ordures ménagères. Et comme il s'habille toujours avec une élégance tapageuse, on l'appelle le dandy-des-gadoues. Homosexuel notoire, (thème récurrent de l'auteur) il partira à la quête de son double narcissique, de l'amour idoine, le plus harmonieux possible, à l'instar de celui que semble représenter Jean et Paul.

A travers une aventure courant de Venise à Berlin, et zigzagant entre Djerba en Tunisie, Reykjavík en Islande, Nara au Japon, Vancouver et Montréal au Canada, ce récit aborde le vaste thème du couple, en appliquant sur chacun d'eux une grille de déchiffrement, autant originale que pertinente. Aux yeux de l'auteur, le couple de jumeaux, semble être à la fois le couple idéal et une monstruosité sans nom puisque chacun lutte pour s'identifier indépendamment de son jumeau. Dès lors, le lecteur se voit projeté dans un questionnement sans réponse toute faite : L'homme est-il fait pour vivre à deux ? Soit avec une femme ou un homme ? Cette union se fait-elle inévitablement au détriment de l'une des deux parties ? L'harmonie parfaite est-elle réellement envisageable ? Ou cette osmose divine n'est-elle qu'une utopie, qui risque de nous faire courir longtemps ? Le temps d'une vie et pour quel résultat ?

L'important dans ce roman de Michel Tournier, publié en 1975, est-ce vraiment l'histoire hachée et pleine de trous ? D'ailleurs le récit ne comporte pas vraiment de fin, on ignore ce que vont devenir les jumeaux, certes on devine entre les lignes leur avenir, mais rien n'est concret, tout est en devenir, comme la vie qui coule. L'important, n'est-ce pas plutôt cette écriture pointilleuse, poétique, imagée, celle d'un grand érudit, dont certains paragraphes sont véritablement remarquables et sublimes d'inventivité ?

Comme à son habitude, Michel Tournier s'emploie à revisiter les mythes et les légendes, afin de les spiritualiser aux travers de tous ses personnages à coup d'allégories, d'idéalisations, d'affabulations et de fantaisies. Il n'y a plus qu'à se laisser porter par la force de la plume, sur les chemins des possibilités, des outrances parfois et des symbolismes révélés souvent. Car pour lui tout a un sens, tout fait sens, tout se répond, rien n'existe pour rien, tout est lié inextricablement en s'encastrant jour après jour, telles les pièces d'un jeu de dominos. Encore faut-il avoir le talent de l'exprimer et de savoir démêler la vérité ou du moins de tenter une explication. Tout le monde ne sera pas convaincu, moi le premier, mais sa réussite c'est d'oser, d'oser l'omniscience. D'oser prendre nos vies pour les exposer sous le microscope de ses ambitions démesurées de lettré. Et le parcours n'est pas triste, littérairement c'est une réussite, il y a même de l'humour parfois scabreux, mais bon il essaie, il propose, toujours et encore. Naturellement, tout n'est pas parfait, des longueurs pesantes grèvent le propos, mais quand des fulgurances narratives se mettent en place, même sur plusieurs pages, c'est magnifique de digressions, de sensations littéraires, de logiques, et d'acuité émotionnelle. Mais en vérité, il cherche inlassablement le sens du monde, citant souvent la bible comme livre ultime, comme référence intouchable à ses délires explicatifs, derrière ses décryptages atypiques, il cherche Dieu tout simplement, comme nous tous d'ailleurs, pour ne pas devenir fou.

23 nov. 2016


" Mourir sur Seine "   Michel Bussi   14/20


Juillet 2008 à Rouen, l'heure de l'Armada a sonné. Une fois de plus, une multitude de voiliers venus de tous horizons viennent s'aligner le long des quais de la ville aux cent clochers. Au sixième jour, un marin de l'équipage mexicain du célèbre Cuauhtémoc est retrouvé poignardé sur les quais. Puis d'autres marins goûteront aussi au redoutable poignard du mystérieux tueur.

L'enquête menée par le commissaire Paturel, un homme divorcé dont c'est le mois de garde de ses deux enfants, devra jonglé entre son enquête et son rôle de père. Il devra aussi faire rapidement preuve d'efficacité professionnelle pour éviter une hémorragie de touristes due aux assassinats. Débute alors une course effrénée contre la montre, d'autant que cette manifestation avec ses 8 millions de visiteurs se place en deuxième rang juste après le Tour de France, de gros enjeux sont en jeux (si vous me permettez cette répétition).

Maline Abruzze, l'une des principales protagonistes, est journaliste au Seinomarin, l'un des hebdomadaires de la région. Ses talents de fouineuse hors pair vont l'amener au plus près du danger ; toujours prête à payer de sa personne, notamment auprès de l’apollon : le bel Olivier Levasseur, responsable des relations avec la presse pour l'Armada.

Outre l'intrigue principale, le roman effleure en toile de fond le monde des pirates et des trésors ramenés des Amériques par les premiers explorateurs. Ces récits picaresques de la piraterie sont rapportés par le charismatique Ramphastos, un ancien conteur et pirate anarchique (pléonasme), ivrogne à ses moments perdus et Dieu sait qu'il en a beaucoup ! Cependant, petit bémol, les liaisons entre ce passé sensé ensemencer le présent sont-elles véritablement à la hauteur des espérances suscitées ?

Les réjouissances de ce polar sont ailleurs, d'abord dans le rythme : des phrases simples et courtes, prompts chapitres également, aucun temps mort, difficile de ne pas avaler les pages avec une gourmandise gargantuesque pour vite en savoir plus. On est exactement dans ce que les anglo-saxons appellent un page-turner. Et pour mon cas, ces 470 pages furent dévorées en quelques heures, comme il se doit !

Deuxième point positif : Michel Bussi sait utiliser l'Histoire de la navigation en Seine et ses naufrages pour pimenter la trame du récit. Les lieux originaux sont également à l'honneur, tels : les rues médiévales de Rouen, notamment cette danse macabre sculptée sur les piliers de l'aître Saint Maclou, la chapelle bleue de Caudebec-en-Caux, le cimetière de Villequier et les vitraux de son église, le marais Vernier, le pont Flaubert, etc... deviennent sous la plume de l'auteur des sites à visiter lors de nos prochaines vadrouilles hautes normandes.

Enfin, dernière réussite, son côté ludique. Ce roman est un jeu où chaque lecteur s'engouffre avec volupté, dans la brèche consistant à se muer en Sherlock Holmes, afin de démasquer le véritable meurtrier. Malheureusement, dans ce livre, Michel Bussi développe avec une telle dextérité l'art de nous mener en bateau, si je puis dire, que c'est avec stupeur et consternation que l'on découvrira le nom de l'assassin. D'ailleurs en parcourant la fin du roman, et si on possède l'art de lire entre les lignes, on ressentira l'auteur piaffer de joie de nous avoir berné, que dis-je, manipulé, escroqué ! Ses fausses pistes sont comme des chausse-trappes où plus d'un lecteur est condamné à chuter ! Mais n'est-ce pas ce que l'on demande à un polar avant tout ?

Certains titres des chapitres relèvent de jeux de mots plus ou moins heureux, à l'instar du titre du roman Mourir sur Seine, grosse référence à Dalida, mais que les jeunes qualifieront d'humour de vieux, encore faut-il qu'ils connaissent l'artiste !

Michel Bussi nous offre dans le même paquet deux ou trois considérations sur la ville de Rouen, telles des paradoxes qui la paralysent et la pénalisent face aux défis du futur.

Pour conclure, Michel Bussi écrit un bon thriller populaire français, assumant son lot de rebondissements et de révélations, où un lectorat pas trop exigeant passera un agréable et jouissif moment de détente. Finie la dernière page, il souffle comme une invitation à venir flâner dans la région rouennaise. Cependant, certains personnages manquent d'épaisseur et de relief. Les brefs récits historiques trop succincts auraient mérité un développement plus étoffé. Mais bien sûr, cela aurait nui au rythme échevelé, et puis, on n'est pas là pour ça, me direz-vous ! Et vous aurez bien raison !

22 nov. 2016


HAÏKU   Partie   XXV

°°°°°°°°°°°°°°°°

petites boules rouges
entre aiguilles vertes
- houx de décembre

fleuve blanc en crue
sur nuit noire
- la voix lactée

vol de lumière
en pleine nuit
- les lucioles

fleur du malin
immortelle au regard
- l'orchidée

vers l'horizon rougi
deux coccinelles s’envolent
- disparition

20 nov. 2016



" Viva "  de Patrick Deville   14/20


Une sacrée enquête est à la base de ce roman, où fourmillent des célébrités du monde politique : Lev Davidovitch Bronstein dit Trotsky. Du monde littéraire : Malcom Lowry le génie d'Au dessus du volcan, B.Traven l'écrivain du Trésor de la Sierra, Antonin Artaud, André Breton. Du monde de la peinture : Frida Kahlo, Diego Rivera. Tant d'autres encore vont débarquer pour une raison ou une autre au Mexique durant la première moitié du XXème siècle. Comme si un hasard espiègle leur avait donné rendez-vous pour une danse macabre, définitive pour certains et transitoire pour d'autres. En tout cas un fantastique prétexte à un brassage de cultures venues de tous horizons.

Utilisant avec intelligence ces parcours à la croisée des chemins, tous échouant sur cette terre bouillonnante et révolutionnaire, Michel Deville tisse sa toile avec opiniâtreté, telle une araignée obstinée, prenant plaisir à emmêler à l'envi les pistes de ces destins parallèles et tragiques. Cet écheveau à la fois politique, littéraire et amoureux empreinte tous les chemins pour aboutir à d'autres chemins, qui à leur tour...  Une roue sans fin de raccordement historique.

L'une des figures majeures de ce roman est Trotsky, théoricien de la révolution universelle et fondateur de l'armée rouge. Traqué par les espions de Staline afin de l'assassiner, il échoue à Mexico en 1937, dernière étape de sa longue fuite. Il y organisera sa riposte aux procès de Moscou tout en fondant la IVème internationale. C'est Frida Kalho qui recueillit Trotsky dans sa maison bleu dont elle fut le dernier amour. On prend conscience que Trotsky fut aussi un grand écrivain qui aurait pu révolutionner le monde des lettres si une autre mission, tout aussi révolutionnaire, ne l'avait pas sollicitée ailleurs.

L'autre figure prioritaire est celle de Malcom Lowry, poète et romancier anglais, dont la vie sulfureuse fut trop souvent noyée dans l'alcool et les drogues. Bien que séjournant en même temps que Trotsky à Mexico, ils ne se croiseront pas, néanmoins, dans son roman culte, Au dessus du volcan, il le fera apparaître en filigrane.

Des chapitres brefs créés des respirations salvatrices dans cette constellation de destins parfois fugaces, mais toujours fulgurants. Pour ces protagonistes, le Mexique de ces années 20, 30, 40, se veut terre d'asile, de respiration et d'inspiration artistique, terre qui cumulent les révolutions, gorgée d'histoires et de fluctuations politiques où la France tenta de s'y faufiler avec la tragique histoire de l'empereur Maximilien, terre en perpétuelle mouvement, s’inventant constamment, où tant d'hommes y recherchèrent le salut pour malheureusement s'y perdre corps et âmes.

Cependant, j'émets deux bémols, le premier à propos des oscillations de la narration où les retours en arrière incessants font parfois perdre le cours chronologique historique. Et le second concernant un déferlement de noms d'artistes, de politiques et de révolutionnaires frisants le trop plein, l'asphyxie. A moins qu'il ne faille accepter de se perdre dans les méandres de ce pays, aux noms plus dépaysant les uns que les autres comme : Acapulco, Tampico, Coyoacan et Oaxaca. Se perdre pour mieux se retrouver !

A noter quelques erreurs de français, notamment une flagrante et inévitable puisque placée juste en début de chapitre, celui intitulé  à Coyacan : Après que j'avais marché seul dans ce quartier...  J'avais vient naturellement du plus-que-parfait, mais que j'avais, n'existe pas, seul existe au subjonctif : que j'ai, que j'eus, que j'eusse ou encore que j'eusse eu, c'est tout ! D'où l'invention d'un nouveau temps par Patrick Deville ! Peut-être trop envoûté par le vapeur de la tequila ou le mezca, si présente dans l'ambiance mexicaine !

Récit patchwork, gorgé d'anecdotes, Viva est un hymne à la quête de l'intransigeance, de la perfection, du summum de la littérature, et de l'évolution idéale d'une révolution. Tentative originale de toucher du doigt l'absolu en quelque sorte ! En tout cas si vous aimez les puzzles littéraires et historiques ce livre est indéniablement pour vous !



14 nov. 2016


" Dans la maison de l'autre "    de Rhidian Brook   15/20


En 1946 à Hambourg, pendant l'après guerre, le Colonel Lewis Morgan se retrouve à la tête des troupes d'occupation. Il est chargé d'opérer la dénazification de toute la partie allemande attribuée à l'Angleterre, et d'ébaucher la reconstruction de la zone dévastée. La tâche s'annonce lourde et épuisante devant l'état de ruine quasi totale du pays, sans parler d'une population parfois hostile mais toujours famélique et indigente, qui n'a qu'un seul but, subsister. Rien ne leur sera épargné à ces malheureux, d'autant que l'hiver 1946 fut très rigoureux.

Logé avec sa famille dans une grande et belle maison d'architecte réquisitionnée, le Colonel Lewis, par souci d'altruisme, propose aux propriétaires de continuer à demeurer dans leur bâtisse, au grand dam de sa femme Rachel. Cependant, les circonstances et les différents vécus vont vite rendre ce huis clos étouffant, oppressant, faisant monter un sentiment de haine, surtout de la part de Frieda, la fille d'un propriétaire allemand, très marquée par la mort de sa mère, victime comme tant d'autres des bombardements alliés (Hambourg détruite à 90 %).

Rhidian Brook éclaire de son talent cette page peu connue de l'histoire, celle ou les vainqueurs et les vaincus sont forcés de vivre ensemble, le temps de réorganiser un semblant de vie, après les dévastations inhumaines subit par les deux camps. Toutes les aigreurs, les rancœurs et les haines farouches sont dévoilés et combattu afin d'apporter un début d'apaisement aux souffrances inhérentes à la guerre. Une vie dite "normale" doit reprendre ses droits, après ces années d'hostilités. 

C'est un roman où l'absence est omniprésente, celle des couples séparés par les péripéties de la vie en temps de guerre, celle des disparus face à la douleur ineffable des survivants, celle d'un pays détruit si agréable hier encore, celle d'une époque révolue à jamais noyer sous les ruines et les cendres, et enfin, absence criante de nourriture et de logements décents.

La relation entre la femme du colonel, Rachel, et Edmund, le propriétaire de la maison, s'affiche comme étant le noeud du roman, passionnante de rigueur, de sévérité, puis enfin, d'humanité. Bien sûr les débuts de cette vie en communauté furent houleux et orageux, bâtis d'individualisme, d'ignorance et de bêtise, cependant petit à petit ces deux "ennemis" vont apprendre à se connaître, à s'apprivoiser, puis à s'apprécier, entre autre grâce à l'art... mais chut, je ne voudrais pas en dire de trop !

Petit bémol à mes yeux, il manque au récit un soupçon de souffle épique, un brin d'envergure européenne, un courant dynamique et décoiffant, bref un élan ébranlant protagonistes et situations. De plus les descriptions de la ville et du fleuve (L'Elbe) me semble un rien succinctes, et auraient grandit le propos et nos horizons géographiques, mais j'en demande sûrement trop !

A noter que cette histoire fut inspirer à l'auteur par celle de son grand-père le Colonel Walter Brook. Nommé à Hambourg "Gouverneur de district", et responsable de la reconstruction d'un territoire aussi vaste qu'un comté anglais. A la recherche d'un toit, il réquisitionna la demeure d'un riche marchand, mais autorisa ses propriétaire à y rester. Cette situation atypique due à un fond d'altruisme si bienvenu, prouve que égocentriste n'est pas encore omniscient.

Bref un roman mêlant avec délicatesse et sensibilité des vies lourdement éprouver, dont Rhidian Brook sait parfaitement mettre en exergue leurs profondes complexités. Qui bouleversera certes, mais résonnant d'une bienveillante humanité.

11 nov. 2016


HAÏKU   Partie   XXIV

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

le soleil et la lune 
discutent
du temps pour demain

sur une pierre une araignée
sur l'araignée...
mon pied !

au jardin
les courgettes grandissent
pudique, la lune se voile

le houx bavarde
avec son cousin germain
le hérisson

nuit d'automne 
dehors je bois
le lait de la lune


4 nov. 2016


" Le bonheur national brut "   de François Roux  19/20


Mai 1981. Dans les Côtes d’Armor vivent quatre amis, ils ont tous 17 ans et s'apprêtent à passer leur bac. Ils sont tous issus de milieux différents. D'abord il y a Paul Savidan, le narrateur, grand fan de Barbara, il n'a qu'un seul but dans la vie : devenir acteur, au grand dam de son père qui veut absolument lui faire poursuivre des études de médecine afin de prendre son cabinet de gynécologue, sans oublier son orientation sexuelle qui n'est pas là pour simplifier les choses. Le deuxième, Rodolphe Lescuyer, l'ambition chevillée au corps de se lancer dans la politique, fait déjà partie de fédération locale des Jeunes Socialistes. Le troisième, Tanguy Caron, résolument de droite, se voit comme futur cadre dans une grande entreprise. Le dernier de la bande, Benoît Messager, a raté son bac mais ne s'en fait pas pour autant, c'est un marginal une sorte de rebelle, il pense trouver le bonheur ailleurs, notamment dans l’art photographique.  

Avec la fin des années lycée, leurs parcours se dispersent : Paul monte à Paris, Tanguy et Rodolphe étudient à Rennes, Benoît reste au pays. Puis le temps passe, le quatuor évolue, et les espoirs et les espérances de bonheur du début ne sont pas toujours au rendez-vous. Paul se cherche toujours, d'autant que sa carrière sur les planches tarde à démarrer. Rodolphe devra faire des compromis pour avancer politiquement. Tanguy vendra son âme au diable, pour se maintenir dans les hautes sphères de l'entreprise. Et Benoît, sur une rencontre due au hasard deviendra un photographe reconnu et renommé. Tous s'épuisent à tenter d'exister dans un monde partial où rien n'est donné. Les idéaux de leur enfance sont loin. Chacun aura ses propres désillusions, le monde est ainsi fait.

François Roux vient d'écrire un roman magnifique de part en part. Sa maîtrise de l'écriture et de son sens narratif impressionne fortement, et cela sur plus de 750 pages ! Dans les longs romans, il y a souvent des passages où l'on s'ennuie fortement, où l'on aurait aimé de la concision, souhaité un élagage qui redynamise l'ensemble. Ici non, malgré sa longueur il n'y a rien de trop, au contraire, on en redemande encore. Son talent magnifie les morceaux de bravoure, les dialogues, les scènes de confrontation, de crise existentielle. D'autant qu'il narre la petite et la grande histoire pour notre plus grand bonheur de lecture. Ah si tous les livres avaient cette force intrinsèque, cette aisance de narration, cette lecture de nos vies, cette description de nos complexités !

Les parcours amoureux de chacun sont épatants de pertinence et de réalisme. François Roux n'élude aucun doute, aucune souffrance. Il s'intéresse à nos motivations profondes, nos révolutions personnelles, celles qui font mal aux autres mais que l'on ne peut pas nier, celles qui nous poussent en avant, mais qui auront besoin d’accommodements plus ou moins vertueux. 

A la fois roman d'apprentissage et chronique d'une génération, ce roman d'une virtuosité folle nous fait revivre les trois dernières décennies, rétablissant le climat social et politique d'une époque charnière, au travers de la vie de quatre jeunes hommes, pleins d'illusions, comme nous l'étions nous-même !

Une vraie réussite, à lire absolument. D'ailleurs, fait rare, je n'ai pas la moindre critique à formuler, c'est un signe !

François Roux, un écrivain à suivre les yeux fermés !



1 nov. 2016



HAÏKU   Partie   XXIII

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

soir d'été
le ciel en feu
s'éteint dans la mer

fleur et abeille
papotent
elles médisent du bourdon

au large
ces geysers vivants
le souffle des baleines

nuit chaude
impudique elle s'exhibe
la lune toute nue

trois petits vers doux
c'est tout
le haïku

29 oct. 2016


" Le lièvre de Vatanen "   de Arto Paasilinna  14/20

En Finlande, dans une forêt près d'Helsinki, deux amis un rien cyniques, un journaliste et un photographe reviennent de la campagne quand leur voiture heurte un lièvre sur la route. Le véhicule s'arrête dans le soleil rasant en cette fin de journée de la Saint Jean. Vatanen part à la recherche de l'animal, il le récupère et lui fabrique une attelle pour tenter de sauver une patte arrière cassée. Puis par désœuvrement, ou simplement malheureux, ne sachant plus très bien ce qu'il attend de la vie, il s'enfonce délibérément dans la forêt le lièvre sous le bras. 

De là vont naître une foultitude d'aventures plus ou moins cocasses au travers de toute la Finlande. Elles se veulent une réflexion sur nos véritables désirs profonds. Les questions se bousculent alors pour Vatanen, rejaillissant invariablement sur nous-même : Sommes-nous heureux dans la vie de tous les jours ? D'où vient notre désenchantement ? Sommes-nous condamnés à subir une vie terne et sans joie ? Notre vie est-ce nous-même qui nous nous la sommes construite indépendamment des autres ? Comment faire pour vivre en accord avec nous-même ? Avons-nous rencontré beaucoup de forces coercitives qui nous ont fait dévier de notre but initial ? Devons-nous tout balancer, le bébé avec l'eau du bain, pour partir à l'aventure là où nous porte notre aspiration naturelle ? Cela en vaut-il la peine ? Et puis qui sommes-nous vraiment ? Victimes ou coupables dans ce monde déshumanisé et mercantile ? Ou les deux à la fois ? En un mot : Sommes-nous HEUREUX ? 

Tel que je l'ai compris, ce livre ouvre énormément de questions, mais prudemment, il laisse chacun trouver ses propres réponses. 

Paradoxalement, malgré la puissance de toutes ces interrogations, il règne sur ce roman, qui est considéré comme un roman culte dans les pays nordiques, un humour sous-jacent, baroque et burlesque dû à une ivresse de liberté qui laisse ouvert tant de portes, que d'intrépides courants d'airs farfelus et espiègles s'y engouffrent sans vergogne. Et la plume d' Arto Paasilinna sait y faire dans ce domaine. 

Ecrit en 1975, ce roman avance d'étape en étape au rythme des chapitres, nous faisant parcourir une ballade à pied dans les grandes étendues finlandaises. Le lièvre sert de fil rouge, une liaison animal à toutes les péripéties bucoliques que va traverser Vatanen ; cet homme qui se sent perdu au sens figuré, et qui petit à petit va réorganiser sa vie autour d'autres priorités. Dans cette recherche du sens de la vie, Vatanen va braver un gigantesque feu de forêt, va coucher à côté d'une personne décédée (sans le savoir), va sauver une vache d'une mort certaine, va être confronté à l'appétit vorace d'un corbeau, puis au voisinage inquiétant d'un ours, etc... On le voit, Arto Paasilinna ne manque pas d'imagination et de fantaisie tragi-comique pour nous surprendre et nous interroger. Il met le doigt sur l'absurdité de rechercher le bonheur au travers d'une société vorace et outrancière de consommation en nous poussant en dehors des sentiers battus vers les plaisirs simples de Dame nature. D'ailleurs l'écriture aussi ne fait pas d'arabesques érudites et intempestives, elle s'exprime pleinement dans une simplicité bienfaitrice, le fond et la forme se rejoignent pour nous offrir  une bouffée d'air salvatrice dans cette ode à la nature.

Cependant, passer l'originalité du propos et le risible de certains chapitres, il se passe réellement peu de chose, le propos initial est vite éculé. Peut-être manque-t-il un fond de consistance, une trame plus approfondie, plus copieuse. Malgré tout il reste cet art de savoir prendre son temps, il reste un questionnement opportun de nos propres vies, il reste que l'on ne pourra plus voir un lièvre sans penser au personnage de Vatanen, il reste un grand souffle d'air frais aux odeurs de pinède, il reste l'idée que l'on peut toujours dire non au système, que rien n'est forcément définitif, bref il reste l'espoir peut-être futile qu'il peut exister des lendemains moins routiniers, certes plus aléatoires, mais avec des joies plus pures.



25 oct. 2016


HAÏKU   Partie   XXII

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

les fourmis rouges
la nuit
sont noires

au potager
un lapin à l'affût
du cri de la carotte

sifflements d'oiseaux
bourdonnements d'abeilles
les bruits du silence

grand vent d'hiver
les feuilles mortes
sont heureuses d'être mortes

novembre
le vieux jardinier se couche
tristesse des pissenlits

24 oct. 2016


" Vendredi ou les limbes du pacifique "  de Michel Tournier   15/20

Voici une réécriture originale du célèbre roman de Daniel Defoe Robinson Crusoé. En opérant quelques modifications pertinentes sur le texte sorti en 1719, Michel Tournier en modifie sensiblement les perspectives et les aboutissants avec une vision plus ésotérique, mais surtout plus indulgente, sinon plus altruiste.

D'abord le lieu du naufrage, Defoe situait son action aux Caraïbes, Tournier la place au large des côtes chiliennes en plein pacifique. Mais la notion de "limbes" annonce une orientation plutôt symbolique et allégorique du roman. 

Ensuite, Defoe met son Robinson sur un piédestal, puisqu'il domestique l'île avant de civiliser Vendredi et d'en faire son serviteur reconnaissant. On ressent vite les relents d'un odieux colonialisme. Chez Tournier, tout ce modèle d'exploitation finit par s'inverser, substituant et élevant les valeurs simples de la vie sauvage, représentées par Vendredi, à celles de la civilisation moderne, moralisatrice, capitaliste et colonisatrice. Même si Robinson essaie d'imposer à l'île, puis à Vendredi, l'autorité de l'homme blanc, cette hiérarchie discriminante vole en éclats sous les coups de boutoirs d'un Vendredi plus effronté et insouciant que jamais. Cette inversion des valeurs justifie à elle seule ce roman.

Enfin, le dénouement met en exergue les différences de point de vue des deux auteurs. Si chez Defoe Robinson dompte une nature inhospitalière, grâce à une application raisonnée et méthodique, se considérant comme le roi de cet univers îlien. Cependant, il n'hésite pas à quitter sa création lorsque 28 ans plus tard l'occasion se présente de retourner à la civilisation. Tandis que chez Tournier la personnalité de Robinson évolue sans cesse, surtout sous l'influence de Vendredi, qui révolutionne radicalement sa façon de penser. C'est pourquoi quand la situation lui permet de réintégrer le monde dit "civilisé", il hésite... puis renonce. Un homme nouveau est né, plein de sagesse, gorgé de la certitude d'avoir enfin trouvé une sorte de bonheur supérieur. Là est la patte de Tournier en métamorphosant constamment le personnage de Robinson, en partant de l'idéalisation d'une civilisation moderne et triomphante où prime l'économie de marché pour aboutir à une vie en harmonie entière avec la nature. Peut-être ne sommes-nous pas si loin d'un bouddhisme parfait, respectueux de tout ce qui l'entoure ?

Cependant, la lecture ne se fit pas sans quelques difficultés. J'ai souvent tâtonné, relu un passage, réfléchi à en avoir mal aux cheveux, à la recherche du sens d'une forêt d'allégories dont le livre est jonché. Ah cet indécrottable Michel Tournier, plein d'engouement cet écrivain est l'un des grands rois de l'allusionnel. En effet, l'île devient vite la matrice, un être à par entière, symbole de la mère, celle qui enfante, notamment des mandragores sous l'amour que lui donne sexuellement Robinson, comme une purification de son corps et de son esprit. Puis l'éducation judéo-chrétienne de Robinson lui fait voir des relations incessantes entre ses agissements et le texte de la bible.  Tout y passe, Noé, Adam, le paradis, le bien, le mal, les prophètes : Jérémie, Osée, etc... Bref tout résonne à un niveau de conscience qui me laisse parfois pantois ! Comme quand on veut absolument donner une explication, une justification à tout ce qui nous arrive. Ce n'est pas la partie qui m'a le plus séduit même si parfois, il y a des fulgurances intéressantes. 

Le plus passionnant, c'est que Michel Tournier renoue avec une thématique ancestrale, toujours en vigueur de nos jours, celle de la rencontre de l'homme blanc "civilisé", arrogant de ses certitudes, avec l'homme de couleur, forcément sauvage et ignare. Ce qu'il y a de merveilleux aussi avec l'écriture érudite de cet écrivain, c'est cette magie du mot juste et idéal. Un bonheur à lire, mais pas toujours à saisir toutes les allusions nichées au coeur du texte !