30 déc. 2022


 " La bataille d'Occident "   de Éric Vuillard   12/20

      Elles sont toutes là ces graines ; à peine déposées dans le sillon de la vie ; à peine germées ; à peine sorties du monde de l'enfance ; à peine le temps d'apprendre un métier ; à peine le temps d'avoir les mains calleuses ; à peine la joie d'apprécier les distractions du dimanche avec ses premiers amours ; même pas le temps de se douter du traquenard qui les attend. Ces beaux plants humains ne se doutent pas du soc de la charrue qui avance vers eux sous les feux de l'été ; ils ne se doutent pas qu'ils vont être découpés, démembrés, broyés, retournés à la terre, par la volonté folle de petits-fils d'une famille royale qui tiennent les rênes de la faucheuse.

      Voilà résumée l'effroyable introduction que nous propose Eric Vuillard dans cet essai sur la première guerre mondiale. Comme à son habitude, il décentre le propos, il décale l'objectif, n'hésitant pas à s'emparer de personnages historiques ; empereurs ou terroristes pour redessiner la courbe du tragique, de la haine et de l'absurde. Il redéfinit ce qui fut le premier massacre industriel de l'humanité. Malgré un Occident pétri d'art, de littérature et de science, la bêtise et l'arbitraire triomphent sur le dos d'une jeunesse tout juste sortie du moule, d'une jeunesse sacrifiée sur l'autel de l'inintelligence la plus criante.

      Ainsi, dans un style travaillé, l'auteur cherche à comprendre les raisons de ce suicide collectif, son ambition est louable, mais fait l'impasse sur tellement d'autres éléments que j'ai eu l'impression d'une ébauche de travail, parfois il prend de grands détours pour revenir à son sujet initial, cette dispersion aurait été envisageable sur un essai beaucoup plus long, mais l'ensemble faisant moins de 180 pages, le travail semble inachevé. Dommage.


29 déc. 2022

 Souvenirs de Noël 2022 :



















                                                            A bientôt !

18 déc. 2022

 


HAÏKU   Partie CLXX

°°°°°°°°°


voûte céleste

un fin croissant de lune

y accrocher un rêve



ciel nocturne

dix mille diamants aux cieux

la nuit est chouette



les couloirs de la nuit

je les parcours les yeux ouverts

- insomnies



minuit au clocher

plus haut, beaucoup plus haut

l'indifférence des étoiles



humanité déchirée

pourtant le ciel nocturne

le même pour tout le monde


12 déc. 2022


" Le colonel ne dort pas "   de Emilienne Malfatto   8/20

      Dans une ville indéterminée d'un pays en guerre, un colonel, spécialiste des interrogatoires fait chaque jour son effroyable office. Depuis quelque temps, le colonel ne dort plus du tout, victime d'une armée de fantômes qui viennent prendre possession de son sommeil. Plus loin, dans son palais, un général joue quotidiennement aux échecs, seul ; la folie l'envahie peu à peu. Voilà c'est tout !

      En effet, tout le roman tient sur ces quelques lignes. On pourrait dire qu'il s'agit plus d'un roman d'ambiance, tout se passant dans la tête de trois ou quatre personnages, tous plus gris et flous les uns que les autres. D'ailleurs le temps est gris et flou, la ville est grise et floue, la pluie est grise et floue, ainsi, par effet miroir, cette lecture devient vite grise et floue !

      Malgré tout, il y a deux ou trois beaux passages littéraires, notamment celles des pensées de l'ordonnance du colonel. Il y a quelques belles pages de poésie, et surtout, une réflexion sur ce que fait la guerre aux hommes, sur l'absurdité de tout cela. Malgré tout ce que l'on sait, malgré les souffrances qu'engendrent n'importe quel conflit, l'Homme continue inlassablement à tout faire pour générer guerre après guerre, comme un mal nécessaire, nécessaire à qui ?

      Honnêtement, est-on en face d'une escroquerie littéraire ? Ce récit de moins de 100 pages (à 16 euros le livre, cela fait chère la page !) aurait mérité une autre ampleur, là on tourne en rond, comme les protagonistes, les scènes se répètent à l'infini sur 50 nuances de gris. Par contre, l'aquarelle en couverture est tout simplement magnifique, bravo M. Nicola Mangrin, vous avez beaucoup de talent !


7 déc. 2022

 Petit aperçu du jardin automnal 2022

Partie 2


Couleurs cuivrées du Sumac de Virginie.



Belle espèce de Volvaire gluante.



Improbable : une salade poussant sur la terrasse !



Dernières cosmos de l'année.



Novembre sous le châtaignier.



Méli-mélo de minis chrysanthèmes.



Rose téméraire osant gouter la fraicheur de décembre.



Quand le chou devient oeuvre artistique.



Tous mignons, ces Coprinellus, blottis les uns contre les autres.



Visiteuse sur fleurs de sauge.



Quand le feuillage se fait fauve.



Encore des framboises en décembre !

A bientôt.


5 déc. 2022

 


" Par le fer et par le feu "   de Henryk Sienkiewicz   18/20

      Au milieu du 17ème siècle, la République dite des Deux Nations : Couronne polonaise et Grand-Duché de Lituanie, se voit grandement menacée d'insurrection. En effet, exaspéré par les abus de pouvoir, les privations de terre et la non redistribution des richesses du royaume par les seigneurs locaux et par toute la royauté, un homme se dresse face à ces injustices criantes : Bogdan Khmelnitsky. En quelques mois, il parvient à lever du fin fond des steppes de l'Ukraine une armée d'un demi-million d'hommes pour les élancer contre les armées polonaise et lituanienne. Ainsi, il s'en est fallu de peu que l'Europe orientale ne bascule sous la botte des Cosaques zaporogues et des Tatars de Crimée.

      L'écrivain nobélisé en 1905, Henryz Sienkiewicz, déploie sous nos yeux une fresque historique de plus de 700 pages où héroïsmes, traîtrises, supplices, honneurs, combats et amours, constellent le roman d'un souffle épique qui déborde des pages pour rapidement devenir une question universelle, d'où le succès du roman. Choisissant une petite porte pour nous faire pénétrer dans la grande Histoire, l'auteur nous fait suivre le parcours de quatre personnages principaux, soudés comme nos fameux quatre mousquetaires nationaux. Tous sont officiers, il y a Jean Kretuski, un homme dévoué et fier, tombé sous le charme de la princesse Hélène ; Wolodowski, petit par la taille mais immense par sa promptitude au combat ; Podbipieta, un chevalier géant qui a fait vœu de chasteté jusqu'au moment où il aura tranché trois têtes d'un coup ; Zagloba, un compagnon très rusé dont la langue volubile lui permettra de cacher, avec une ironie toute bienvenue, une couardise héréditaire. D'ailleurs, l'auteur a certainement créé ce protagoniste plein de joie de vivre, d'extravagance et d'humour dans le dessein de contrebalancer le tombereau d'horreurs qui envahit certaines pages noires à coup d'empalements, de décapitations et de toutes les tortures ignobles que l'homme est seul capable d'imaginer. 

      Naturellement, ce roman à une vision trop patriotique et idéalisé du conflit : le beau et preux chevalier face à la brutalité toute animale du cosaque, néanmoins, l'auteur glisse également du cœur et de l'honneur dans le clan cosaque, afin de rétablir un déséquilibre et de mettre le doigt sur la complexité de chacun.

      Cependant, la réflexion inhérente à cette lecture remet sur la table politique l'éternel abus de pouvoir des plus riches envers les plus faibles. Toute insurrection trouve son humus dans cette suffisance inacceptable, ce mépris émétique qui ne peut créer en retour qu'une gigantesque vague révolutionnaire, laquelle, ivre de vengeance, renverse tout sur son passage, et ne laisse qu'un fleuve de sang où tout le monde s'y noie.

      A noter qu'à son apogée, au début du XVIIème siècle, cet état des Deux Nations s'étendait de la mer Baltique à la mer Noire, et des contreforts des Carpates jusqu'aux limites de la Russie, ainsi l'Ukraine faisait partie intégrante de ce royaume. Cette Ukraine en mal d'équilibre, déjà tiraillée entre les influences occidentales et orientales, et oscillant politiquement entre Varsovie et Moscou, on n'est pas loin des résonnances actuelles.

      A noter enfin que ce roman a dû être lu en long en large et en travers par deux grands écrivains du XXème siècle : J.R.R. Tolkien et George R.R. Martin, car des similitudes me sont venues à l'esprit en cours de lecture. Comme un hommage singulier à celui qui sut écrire une oeuvre touchante, devenue depuis une oeuvre littéraire fondatrice de l'identité nationale polonaise.


2 déc. 2022


" Face au vent " de Jim Lynch   13/20


      Installés au bord du Pacifique, au cœur de la baie de Seattle, la famille Johannssen ne vit que par et pour la voile. Ainsi, Grumps, le grand-père, dessine des plans de voiliers, Bobo Jr, le père les construit et Marcelle, la mère, étudie leur trajectoire. Peu importe le temps, chaque dimanche la mer les réunit pour une séance d'embruns. Par conséquent, les enfants, Bernard, Josh et Ruby, tous biberonnés aux vents salés, se sont vite piqués au jeu, d'autant que la cadette n'a pas son pareil pour deviner d'où le vent, même léger, va souffler. Cependant, le jour où Ruby, alors qu'elle était en tête, zappe volontairement sa qualification aux jeux olympiques, la famille vole en éclats.

      Chacun sa route, chacun son chemin, comme le chantait Tonton David. En effet, pas facile de filer à l'unisson quand chacun aspire à vivre sa vie, à obéir à ses propres désirs. Ainsi, Bernard, épris de liberté, rebelle à la société et recherché par la police, s'embarque sur un voilier avide d'autres horizons plus ouvert à ses pensées libertaires ; Ruby, ne conçoit sa vie que dans l'humanitaire et file en Afrique ; quant à Josh, il n'est heureux qu'en côtoyant les voiliers et leurs propriétaires farfelus, ceux qui jouent les plaisanciers du dimanche idéalisant un projet de tour du monde sur un rafiot qui se brisera à la première grosse vague. Très vite, Josh deviendra un as de la réparation naval, et en réconciliateur invétéré il deviendra aussi celui des cœurs. Sous la narration de Josh, petit à petit, la véritable personnalité de chacun va se révéler. Les failles, les tensions, principalement instillées par le caractère autoritaire et bourru du père, vont diffuser des ondes négatives amenant une lame de fond de rejet qui les éparpillera tous. Une occasion de retrouvailles se fera jour, peut-être pour mieux se quitter à nouveau.  

      Pour s'opposer à un système capitaliste cannibale, pour tenter l'expérience d'une utopie inspiratrice du grand soir, Bernard et Ruby vont accorder leurs pensées à leur façon de vivre, mais doit-on au nom d'une idéologie libertaire déconsidérer ce qui ont peu d'ambition ? En effet, Josh se contente de rester sur place et d'affronter les soucis familiaux d'un père dominateur et d'une mère perdue dans ses équations, car son plaisir est là, au cœur de l'entretien de voiliers, magicien de la bricole et des relations humaines, il agit pour le bien de tous, même bénévolement, qui osera le condamner ?

      La plume de Jim Lynch est belle et ample, la narration adroite, il possède un vrai lyrisme maritime, malheureusement, en grand connaisseur des voiliers, il noie le lecteur sous un accastillage de termes techniques propres au monde de la voile. De même, il me manque des navigations autres que ces courses de skippers, des navigations où il n'est pas question de performances, de vitesse et de records, des navigations où le plaisir simple de respirer la mer, de la regarder, de l'admirer stérilise toute idée de compétition. Sans oublier le rebondissement final concernant Ruby qui se voit arriver au port depuis un bon paquet d'encablures.  Dommage. Vraiment dommage.


26 nov. 2022

 Nouvelles réalisations pâtissières :
































Un grand classique pour se dire à bientôt.


22 nov. 2022


" Nous mourrons de nous être tant haïs "   de Aymeric Caron   17/20


      2054 Nouvelle-Zélande. Alors qu'un parfum de fin du monde règne sur la terre, Auréline fouille sa mémoire et rédige l'histoire de sa famille. Une famille dont le centre de gravité aura été la résistance face au déclin écologique et politique de notre espèce.

      Avec ce premier roman, Aymeric Caron, journaliste engagé, veut mettre à l'honneur les actions humanitaires mises en mouvement depuis les années 50, afin d'essayer de contrer ce bulldozer aveugle, détruisant inlassablement la planète et ses habitants. Telle une machine infernale broyant tout ce qui lui résiste, tout ce qui n'est pas croissance, tout ce qui n'est pas profit. Ainsi, nous revivons la création de Greenpeace, la crise des missiles de Cuba, l'ayatollah Khomeini à Neauphle-le-Château, son retour en Iran, le massacre des bébés phoques, l'accident de l'Amoco Cadiz, la guerre syrienne et ses réfugiés, etc. Ce ne sont pas les drames qui manquent. Ainsi, nous naviguons de tragédies en catastrophes, pour aboutir, par une suite de circonstances tronquées et impitoyables, à l'apocalypse absolu. Pas de déflorement de l'intrigue, tout est annoncé dès l'incipit.

      Aymeric Caron cherche la prise de conscience, la réaction de chacun face aux épreuves inédites et effroyables qui se faufilent à l'horizon, avec une interrogation ultime : y-a-t-il encore un avenir digne de ce nom pour l'humanité ?

      Mon bémol vient d'un final qui manque de crédibilité : genre la France seule qui déclare la guerre à la Chine !!! Sans parler d'un épilogue un peu trop imaginatif, le roman n'en avait pas besoin, il est assez puissant et très dérangeant par son propre propos.

      En rassemblant des morceaux de vies perdus dans l'espace et le temps, Aymeric Caron dresse le tableau d'une nature humaine non seulement prédatrice, mais aussi autodestructrice. Difficile, avec le réchauffement climatique qui frappe à nos portes depuis plusieurs décennies, d'imaginer que tout ceci n'est qu'une dystopie.


19 nov. 2022


" La traversée des temps " Tome 1 "Paradis perdu" et Tome 2 "La porte du ciel"   de Eric-Emmanuel Schmitt   8/20

      Mission impossible !

      Noam est né il y a 8 000 ans au bord d'un gigantesque lac dans un village lacustre. Au cœur d'une nature paradisiaque, il vit paisiblement jusqu'à jour où il croise le chemin de Noura, une belle jeune femme aussi imprévisible que fascinante. Sa présence va créer une division du clan et Noam finira par rentrer en conflit avec son père. Les ennuis allant par paire, le niveau du lac commence à monter de plus en plus...

      S'emparant de l'histoire biblique, Eric-Emmanuel Schmitt nous en propose une réécriture complète. Pourquoi pas ? L'idée est généreuse et intéressante, cependant le résultat me laisse pantois. En effet, vouloir raconter toute l'histoire de l'Homme sous une forme purement romanesque, faire défiler les siècles sous nos yeux, embrasser les différentes périodes de l'humanité, nous balader du déluge à Babel, puis en prenant la direction des pyramides, avant de filer vers la Grèce, etc, cela relève d'un défi gigantesque. L'ensemble doit s'étaler sur 8 tomes, une vraie course de fond. D'autant que chaque partie frôle les 600 pages. 

      Si la plume d'Eric-Emmanuel Schmitt est belle et harmonieuse, à l'exception de l'utilisation exagérée du verbe "susurrer", la narration manque d'ampleur (on n'est pas chez George R.R. Martin), elle se replie sur trop peu de protagonistes, et certains, dans le dessein de se les garder sous la main pendant des siècles, se voit devenir tout simplement immortels, bah voyons, c'est pratique, mais c'est ridicule. Ce procédé narratif enlève toute crédibilité au récit. Au fil du roman, l'auteur nous explique que la Bible est pleine d'erreurs (ainsi on nous aurait menti, non ?), certes, mais pourquoi en rajouter une belle brochette supplémentaire aussi improbable que l'original ? Ainsi, il enfile les invraisemblances comme des perles, sans compter les anachronismes et les situations que l'on devine à l'avance. Néanmoins, cela nous fait un beau collier au final, mais est-ce le but ?

      Ce qui m'a énormément gêné, est cette impossibilité de me croire 8 000 ans en arrière en plein néolithique, le décor semble artificiel, la nature paraît trop aimable, trop facile à vivre, tout sonne faux et les dialogues sont d'une modernité confondante, difficile de croire une telle virtuosité dans le language 6 000 ans avant notre ère !

      Heureusement, ce récit contient en bas de page quelques réflexions sur la condition humaine et notamment sur l'hubris guerrière des hommes. Cela permet de réfléchir à autre chose qu'à un récit si incrédible.

      D'après la fiche informative, ce projet titanesque, Eric-Emmanuel Schmitt le garde en lui depuis 30 ans, peut-être aurait-il dû patienter encore 30 ans !?! Certes, l'entreprise est honorable et courageuse, elle pourra séduire tous ceux qui ne sont pas trop regardant sur la vérité historique, ceux qui aiment se laisser emporter par le vent romanesque voire rocambolesque de l'histoire, ceux qui se laisse facilement séduire par des sentiments amoureux, cependant le défi est beaucoup trop grand pour l'appétit de M. Schmitt, qui, pour venir à bout de son projet titanesque devra faire des coupes sombres dans la généreuse Histoire de l'humanité tant ses péripéties sont innombrables et complexes.


15 nov. 2022

 


HAÏKU   Partie CLXIX


°°°°°°°°°


pluie sur la forêt

sous mille petits parapluies

lutins à l'abri



même sur un seul pied

les champignons sautillent

dans la poêle



jogging en forêt -

sur l'humus les champignons

font aussi leurs spores



balade en voiture

le feu passe à l'orange

j'appuie sur le champignon



mycélium en réseau

ma cueillette est détectée

la forêt omnisciente


9 nov. 2022

 


" Tristesse de la terre "   de Eric Vuillard   14/20

       Une nation construite dans le sang.

      Dans les années 1880, figure incontournable de la conquête de l'Ouest, Buffalo Bill, de son vrai nom William Cody, a su faire fructifier sa propre légende en créant et mettant en scène le légendaire Wild West Show, où un public nombreux pouvait voir la reconstitution en différents tableaux vivants de l'histoire du Grand Ouest, avec notamment de célèbres batailles qui opposaient l'armée américaine aux tribus indiennes. A l'époque, les foules se bousculaient pour profiter de cette attraction itinérante qui alla des Etats-Unis jusqu'en l'Europe, comme à Paris, Londres, Nancy ou Marseille. Finalement, Philippe de Villiers n'a rien inventé avec ses spectacles du Puy du fou, un siècle plus tôt Buffalo Bill fut le pionnier avec ce concept de Show-business grand attracteur de foules.

      A mi-chemin entre essai et roman, Eric Vuillard nous décrit la vérité qui se niche derrière les décors de carton-pâte. C'est-à-dire celle d'indiens humiliés et martyrisés, qui pour gagner leur vie, depuis que leurs terres leurs ont été volées, sont contraints de jouer les figurants dans des scènes de combat irréalistes par ceux-là mêmes qui les en ont chassés. Peuple doublement exploité et exhibé par une société blanche qui broie tout ce qu'elle touche. Et encore, si les exhibitions relevaient de la vérité, mais non, tout est truqué, manipulé, les tueries dignes de massacres contre l'humanité se transforment en lutte acharnée, les batailles gagnées par les indiens se transmutent en effroyables défaites, rien n'est vrai, on touche au révisionnisme, tout est arrangé pour abonder dans le sens du public qu'il faut chérir et qui ne demande pas mieux que d'insulter ces pauvres peuples inadaptés à un XIXème siècle industriel que rien n'arrête. Martyres d'un génocide, ils n'auront jamais le droit à la parole, et qui jugera leurs bourreaux ? A une époque où on déboulonne les statues, la question se pose.

      A noter que le célèbre Sitting Bull, après bien des tractations, fit lui aussi partie de ces représentations fallacieuses où voir l'indien haï constituait le fantasme ultime. Ainsi la soi-disant vérité historique est toujours écrite par les vainqueurs.

      Derrière cette critique acerbe de la société du spectacle se délectant d'un simulacre du passé, Eric Vuillard insiste sur l'inqualifiable extermination d'un peuple adapté à son environnement, par une société aveugle, influente et mercantile ; et même, lorsque les objets si particuliers de ces peuples furent exposés dans les musées, il faut savoir que leurs majorités furent dérobés sur leurs cadavres. Ainsi, l'auteur remet l'église au centre du village et cela honore la mémoire de ces peuples indiens, disparus sous la pression d'une immigration sans morale.

      Dans un style sec, parfois aride, Eric Vuillard déploie ce court essai romancé. J'aurais apprécié une biographie plus ample de Buffalo Bill, avec une évocation de sa jeunesse et de ses massacres de bisons qui sont justes évoqués vaguement, comme-ci cette hécatombe ineffable ne changeait rien aux propos. Sans oublier un dernier chapitre qui tombe comme un cheveu dans la soupe, aucun rapport avec le sujet, bizarre ! Petits regrets, malgré tout ce texte donne suffisamment à réfléchir, et c'est bien là l'essentiel.


3 nov. 2022



" Loin de l'Irlande "   de Ann Moore   11/20


      Veuve depuis peu, Grace O'Malley s'embarque sur un voilier de commerce pour traverser l'Atlantique vers le Nouveau Monde, afin d'y retrouver son frère Sean, qui l'attend depuis des mois. Le cœur brisé, car non seulement Grace fuit une Irlande natale frappée de famine et de guerre où plus aucun espoir n'est permis, mais elle est contrainte d'y laisser son père et son nouveau-né, trop faible pour endurer un tel voyage.

      Cette deuxième partie d'une trilogie reprend les codes du premier tome, (Grace O'Malley critiqué en ces pages le 28 mai 2017) malheureusement, sans les améliorer. En effet, la plume reste terne pour ne pas dire insipide, les rebondissements sont peu crédibles, et surtout, les protagonistes sont si caricaturaux, ébauchés en deux coups de pinceaux, ils ne varient jamais d'une once : les méchants sont trop méchants, et les gentils, indécrottablement gentils. Pas d'évolution, pas d'introspection sur l'origine de la violence, une psychologie, à part pour Grace, réduite au minimum syndicale, quand il y en a une ! Débrouillez-vous avec ça !

      Par contre, l'intérêt de ce roman, oui il y en a un, est défini par l'évocation appuyée de forts moments historiques : les épouvantables traversée de l'Atlantique où les plus pauvres des migrants irlandais étaient relégués en fond de cale, d'où une mortalité effroyable ; une fois débarqués sur le Nouveau Monde ces mêmes irlandais faisaient encore partie de la classe la plus basse de la société, seuls les noirs étaient moins bien considérés qu'eux ; les cortèges d'injustice et de misère inhérents à une immigration massive ; la vie nouvelle des esclavages ayant réussi à gagner, au péril de leur vie, les états abolitionnistes, mêmes si des chasseurs de prime d'esclaves en fuite rôdent partout ; les origines de la fondation de l'église des Mormons en 1830. Ainsi, toutes ces pages révélatrices d'un climat, d'une époque en évolution nous font digérer ces autres pages au manque criant de relief.

      Effectivement, envisagé comme lecture de plage, c'est idéal : léger, quelques scènes dramatiques, avec de bonnes pages d'amour hésitant, puis contrarié... à l'effigie de mon avis final : hésitant au début, puis franchement contrarié au fil des pages. Néanmoins, écrit avec une plume plus agressive, et bien moins académique, ce roman avait en lui la matière pour toucher à l'universel et en faire un chef-d'œuvre !


29 oct. 2022


" Underground railroad "   de Colson Whitehead   15/20


      En Géorgie, dans une période antérieure à la guerre de Sécession, Cora est une jeune fille noire de 16 ans, esclave, qui survit comme elle peut, sur une vaste plantation de coton, à la violence de sa condition. Quand elle eut 10 ans, sa mère Mabel, esclave aussi, n'avait pas hésité à l'abandonner pour s'évader. Jamais reprise, aurait-elle réussi à recouvrer le chemin d'une certaine liberté ? Un jour, Caesar, un esclave récemment arrivé sur la plantation, propose à Cora de s'enfuir pour gagner les états libres du Nord, elle accepte. Dès lors, traqués comme des bêtes, une incroyable et terrible odyssée se met en branle avec une seule idée en tête pour chaque individu : conquérir sa liberté.

      Au début du XIXème siècle, un mouvement anti-esclavagiste prend forme dans les Etats du nord. Dès 1820, c'est une véritable organisation qui se met en place pour venir aider les fuyards, prenant le nom de "Chemin de fer clandestin". Par symbolisme, Colson Whitehead, prend l'expression au premier degré et fait fuir ainsi Cora sous terre. L'image est belle, la fin de la souffrance et le début de la liberté ne peut se vivre qu'à plusieurs pieds sous terre, soit par une fuite éperdue, soit par le décès, car en surface règne les démons haineux d'une Amérique esclavagiste. Tous ces abolitionnistes blancs prennent des risques importants pour faire accepter leurs convictions à un pays très divisé. Ils mènent le combat d'une vie pour sauver l'honneur d'une nation.

      A travers son récit où prend place une populace collaborationniste et des chasseurs d'esclaves opportunistes, Colson Whitehead nous dessine une société fasciste aux lourds relents d'eugénisme, à vous glacer le sang. Description qui peut se voir comme le terreau de l'Amérique actuelle où un puritanisme outrancier continue de déverser sa bile encore de nos jours.

      Néanmoins, malgré un fond historique captivant, le déroulé de l'histoire de la jeune Cora prend d'innombrables chemins de traverses, à coups de flash-back et d'ellipses qui perturbent la lecture et tend à diminuer l'empathie que l'on aurait pu ressentir pour les principaux protagonistes. Il faut une attention de tous les instants pour ne pas se laisser déstabiliser par le foisonnement des personnages secondaires et le découpage déconcertant des chapitres.

      Même si ce roman a obtenu le Prix Pulitzer et le National Book Award, sans pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain, je n'ai pas eu l'enthousiasme équivalent aux honneurs décernés à ce livre. Dommage.


22 oct. 2022


 " Colère "   de Eric la Blanche   20/20


      Face aux conséquences inéluctables du dérèglement climatique avec la destruction définitive de nos conditions de vie, face aux comportements inqualifiables des dirigeants des multinationales, face aux comportements irresponsables et criminels des hommes politiques, Eric la Blanche nous écrit cet essai consternant et très documenté d'une main tremblant de colère. En effet, depuis la naissance de sa fille et voyant ce monde en déliquescence totale (climat déglingué, pollutions multiples, biodiversité en récession, raréfaction des ressources, océans de plastique, etc) il ne peut que crier sa révolte. Ainsi, sans la moindre indulgence, il analyse la situation précise de la planète, il explique comment et pourquoi on en est arrivé là, et il fait un tableau édifiant du partage des responsabilités. Sans tabou, sans la volonté de ménager qui que ce soit (journalistes, politiques, médias), il expose clairement les données du problème. Le point fort de cet essai est de décrypter, de dessiller nos yeux avec une belle simplicité, tout semble crédible et logique sous sa plume colérique.

      Désormais, le compte à rebours a commencé avant l'extinction non seulement de notre civilisation, mais également de l'humanité entière. Eric la Blanche nous le dit clairement : Réagissez, mettez-vous en colère, ou mourrez !!!


20 oct. 2022


 " Courriers de nuit "   d'Olivier et Patrick Poivre D'Arvor   16/20


      Que de noms plus évocateurs de liberté : Saint-Exupéry, Mermoz, Guillaumet, Roland Garros et tant d'autres ? Tous donnent l'assaut au ciel, tous sont jeunes et intrépides, tous gravent leur nom dans la tête de ceux qui rêvent d'aventures ailées, tous seront fauchés dans leur élan inextinguible de vivre au-dessus du champ de la vie, tous, pas un pour vieillir et mourir bêtement au fond de son lit.

      En effet, tels des Icare animés d'un désir fiévreux, ils se brûleront l'âme dans les nues, incapables de réfréner leur besoin de se sentir oiseau. Ils partageaient la nécessité irrépressible de voir des côtes argentées par la luminosité lunaire, d'être émus jusqu'aux larmes par la beauté inégalable d'aurores de feu après une nuit sans sommeil, enfin de s'emplir le corps et l'esprit quand seuls, ils apprivoisaient avec sérénité un sentiment de solitude enchanté. Ainsi, en tant que pionniers, ils écriront les grandes heures et lignes de l'Aéropostale.

      Les frères d'Arvor, dont leur grand-père, lui-même pilote, leur a donné très vite le virus de l'aviation, nous font partager à quatre mains la vie bouillonnante de ces êtres d'exception, comme un bel hommage à ceux qui furent les tout premiers héros et héroïnes, car il y eut bien des femmes, à s'envoyer en l'air !


17 oct. 2022


 " La maison de terre "   de Woody Guthrie   6/20

      Dans les années 1930, au Texas, Tike et Ella sont un jeune couple de métayers. Vivant sur une terre austère, ils ont d'énormes difficultés à parvenir à vivre normalement. Quand Ella tombe enceinte, elle a le désir de ne plus vivre dans leur cabane dont le bois pourri est envahi par les insectes. Bien que Tike pourrait se bâtir une maison économique en pisé (construction en terre crue), malheureusement, il n'a pas de quoi s'acheter un maigre lopin de terre pour l'édifier. Mais les banques sont là pour que les pauvres s'endettent à vie.

      Par son résumé, ce roman avait tout pour être une oeuvre poignante et remarquable, à l'instar Des raisins de la colère, sur cette période terrible de la Grande Dépression où la misère sévit en Amérique suite au crack boursier de 1929. Cependant, choisissant de traité son sujet avec une extrême originalité, soit le lecteur adore, soit il est désarçonné. Vous avez deviné où je me situe ?

      Pendant les trois quarts du roman, Tike et Ella discutent, font l'amour, puis rediscutent, avant de... mais vous m'avez compris. Leur discussion infinie tourne en rond, puisque, même le lecteur le moins attentif aura saisi les problèmes générés par la météo, par la terre aride, par le manque cruel d'argent et par la rapacité atavique des banques. Quand Tyke et Ella songent à se révolter, j'y ai enfin vu l'occasion d'ouvrir de nouvelles perspectives romancières, mais non, cela retombe comme un ballon de baudruche crevé, décidément, rien ne se passe sous le soleil et la poussière texane, que le temps semble long, dès lors une lassitude s'installe, les paupières semblent lourdes...

      Ce livre est typique des romans que l'on aurait aimé adorer, mais dont la forme stérilise sévèrement notre envie de lecture. Par contre, dans une postface signée Douglas Brinkley et Johnny Depp, oui celui du cinéma, nous apprenons la vie atypique de l'auteur, Woody Gutherie (entre autres auteur-compositeur de 3000 chansons), une vie bâtie à l'aune des grandes épreuves du destin, une vie qui aurait pu devenir une autobiographie extraordinaire, mais les choix de l'auteur l'ont conduit sur d'autres rails plus hasardeux.

      Au final, l'auteur n'aurait-il pas souhaité construire son roman en fonction de l'aridité des terres texanes, rendre ainsi sa lecture épuisante en adéquation totale avec la vie des ces protagonistes, ainsi le lecteur éprouve ce qu'éprouvent Ella et tyke ? Ce n'est qu'une simple hypothèse, mais qui peut se défendre.

      Bon courage aux courageux qui voudront tenter l'expérience, ils en auront un grand besoin !